Entretien avec Édouard Gaudot, qui souhaite une « école-logis »
Nous avions mis en lumière à plusieurs reprises l’instruction en famille. Aujourd’hui, Édouard Gaudot répond à nos questions au sujet du livre « Dessine-moi un avenir » dont il est l’un des co-auteurs. Le but de l’ouvrage ? Souligner les failles de l’Éducation nationale et, pour y remédier, proposer une refonte de l’école publique.
Édouard, vous avez co-écrit le livre « Dessine-moi un avenir » avec Rodrigo Arenas et Nathalie Laville. Vous mettez l’accent sur les dysfonctionnements de l’Éducation nationale et proposez des solutions pour y remédier.
1) Pouvez-vous vous présenter brièvement, ainsi que les deux autres auteurs ?
Nous sommes tous les trois des écologistes convaincus, passés un jour par les rangs du parti vert mais désormais dégagés des engagements partisans. Rodrigo Arenas est très engagé dans la FCPE, fédération de parents d’élèves dont il a été le co-président national. Nathalie Laville est conseillère de Paris et ancienne professeure en Lycée pro. Quant à moi, je suis un ancien professeur d’histoire-géo, passé depuis quinze ans aux affaires européennes.
2) Comment est venue l’idée de co-écrire ce livre et pourquoi avoir choisi de travailler ensemble ?
Nos itinéraires nous permettent d’avoir des visions différentes mais complémentaires. C’était intéressant de travailler ensemble pour faire aboutir des propositions concrètes issues de nos conversations. Ce livre est le résultat de nos échanges et de nos réflexions communes, politiques et éducatives. Il nous a toujours paru étrange et problématique que le débat sur l’école soit confisqué par la seule dispute sur les moyens, matériels et pédagogiques, et trop exceptionnellement par le fond : le projet politique de l’école. D’où la question que nous posons en introduction : « Pour quoi allons-nous à l’école ? ».
3) Avez-vous fréquenté vous-même l’école publique française et avez-vous apprécié cette période ?
Mes deux coauteurs sont des enfants du public. De mon côté, après le CM1, j’ai fait toute ma scolarité dans une école privée confessionnelle non-mixte. J’en garde un souvenir très ambivalent. Quoique très bon élève, je n’ai jamais vraiment aimé aller à l’école. J’aime étudier, apprendre, et socialiser, mais l’environnement scolaire me pèse.
4) L’école a-t-elle changé en bien ou en mal depuis ? Pour quelles raisons ?
Le problème que nous soulevons, c’est que l’école n’a pas vraiment changé depuis sa création par les Jules de la République. Bien sûr il y a eu des transformations importantes, de la mixité au collège unique, du contenu des disciplines à la disparition de certaines rigidités pédagogiques. Mais au fond, l’école républicaine française reste un lieu de dressage des corps, des cœurs et des esprits, un environnement assez carcéral de contrôle et de reproduction sociale. Elle est aussi toujours aussi centrale à l’identité politique et culturelle française et c’est ce qui en fait un objet de polémiques stériles et stridentes : voiles et crop tops, drapeau tricolore, récit national, théorie du genre…
5) Vous avez eu une expérience d’enseignant ? Dans quelle(s) classe(s), pour quelle(s) matière(s), et pendant combien de temps ?
J’ai enseigné l’histoire-géographie-éducation civique trois ans, de la sixième à la terminale, d’abord à la French School of Sydney en Australie en tant que Coopérant du Service national, puis à St-Martin-d’Hères en banlieue de Grenoble.
6) Pouvez-vous citer quelques points fondamentaux qu’il faudrait actuellement changer au sein de l’école publique française et pourquoi ?
Nous pensons qu’il faut la changer complètement. Nous prônons une réforme qui réponde non pas à la question : « comment garder la structure et l’esprit de l’école républicaine ? » mais à la question « pour quoi y aller ? » Il y a besoin d’une révolution culturelle, il faut en changer la grammaire.
C’est pourquoi nous avons identifié quatre grands chantiers :
- La santé et le bien-être des élèves. C’est à dire aussi bien ce qu’ils mangent que les conditions matérielles et physiques dans lesquelles ils évoluent. De la salle de classe aux contraintes des corps, des rythmes scolaires à la qualité de la cantine, des activités en classe à la régularité des activités hors-classe. Notre école est encore trop catholique et académique : elle néglige le corps.
- La revalorisation du corps enseignant. Maltraités par leurs ministères de tutelle et mal considérés par la société qui les rémunère disproportionnellement en dessous de leur valeur sociale et culturelle, les profs sont en outre recrutés sur des critères absurdes d’érudition et d’amour de la matière alors qu’ils devraient d’abord être recrutés sur des critères professionnels d’amour de l’éducation. De plus ils sont prisonniers d’une école qu’ils n’ont jamais vraiment quittée, et n’ont que très peu de voies d’évolution en dehors de l’institution.
- Le bouleversement des contenus enseignés. Qu’il faudrait repenser autour des défis de ce siècle. C’est à dire le Vivant auquel il faut éduquer à la fois scientifiquement et empiriquement ; le Virtuel, c’est à dire les codes, les langues et toutes les grammaires, dont il faut apprendre à maîtriser la lecture et l’écriture pour naviguer dans le réel ; et les Liens, c’est à dire toutes les interdépendances, historiques, sociologiques, civilisationnelles, qui forment nos cultures et nos identités multiples.
- La centralité urbaine du bâtiment « école », qu’il faut absolument remettre au milieu de nos cités. L’école est le lieu essentiel d’une communauté, celui autour duquel nous devrions concevoir nos lieux-communs, nos réseaux de transports, nos réseaux de communication.
7) Comment changer ces points selon vous ?
On ne changera aucun de ces points fondamentaux par des grandes réformes assénées d’en-haut, mais pas non plus par des petites réformes superficielles. Cette « révolution culturelle » ne surviendra pas du jour au lendemain, sur la table rase d’un passé omniprésent et profondément ancré dans nos représentations mentales et culturelles. Et puis les chocs brutaux d’un système qui s’effondre au profit d’un autre produisent beaucoup trop de « laissés-pour-compte » et de cabossés du système. Nous n’en voulons ni pour les enfants ni pour leurs enseignants. Les réformes de court terme n’ont de valeur qu’à condition d’avoir une vision sur le moyen, voire le long terme. Pour ça il faut un débat national, long, sérieux et surtout honnête.
Avant de se mettre en route, il faut donc se mettre d’accord vers où on veut aller. L’objet de notre livre n’est pas de préempter les formes et les résultats de ces réflexions. Nous voulons que les chantiers évoqués précédemment en soient vraiment. C’est-à-dire qu’ils s’adressent à l’ensemble de la société française, dans un processus transpartisan permettant d’évoluer à moyen terme, au-delà du bref temps d’un mandat. Et puis il faut prendre en compte les perspectives, l’expérience et l’implication des nombreux acteurs de l’école.
8) Pouvez-vous citer quelques points fondamentaux qu’il faudrait actuellement préserver au sein de l’école publique française et pourquoi ?
Il faut garder à l’école publique française son engagement pour l’universalité de l’éducation, son principe hérité des lumières de l’émancipation par le savoir et l’étude, ses exigences intellectuelles mais dans un autre esprit, débarrassées des réflexes de compétition. Il faut lui conserver sa mission humaniste, son rôle de socialisation dans une communauté humaine et politique. Mais il faut la défaire de sa mission de sélection des élites qui aujourd’hui écrase tout le système scolaire et fabrique de l’échec, de la frustration et de la violence.
9) Déscolariser son enfant ou l’inscrire dans une école alternative est-elle la meilleure des solutions selon vous ?
C’est une question très délicate. D’abord il est trompeur de mettre les deux démarches sur le même niveau. Il peut y avoir de nombreuses raisons très légitimes pour la déscolarisation, par exemple l’incapacité (inacceptable et problématique) du public à accueillir certains enfants, souvent à cause de handicap physique ou mental. D’autres moins généreuses comme le contournement de la carte scolaire pour éviter la mixité sociale ou l’enfermement doctrinal de certaines familles. Évidemment c’est surtout une question de valeurs et de choix éducatifs, comme pour les écoles confessionnelles, ou à pédagogie alternative.
Mais dans tous les cas, avant les choix des parents, il faut prendre en compte le bien-être des enfants, leur insertion dans la communauté où ils sont nés, leur connexion avec le monde tel qu’il est et non tel qu’on l’aimerait être. Faire vivre ses valeurs au contact du reste du monde est souvent beaucoup plus transformateur pour le monde qu’on essaie de changer que de s’en retirer. La sécession du système nous en protège ponctuellement, mais elle ne contribue pas à le modifier.
Nous pensons qu’il est toujours préférable de s’engager dans la communauté éducative, les associations de parents, les rencontres avec les enseignants, et les activités périscolaires pour encourager et incarner le changement qu’on souhaite. Les enfants peuvent être de fantastiques levier de transformation du système. Et leur capacité à faire la synthèse entre les valeurs qu’ils reçoivent à la maison et l’éducation qu’ils reçoivent à l’école ne peut que les rendre encore plus éveillés.
10) En quelques mots, à quoi ressemblerait une école « idéale » et quel type de citoyen engendrerait-elle ?
Nous l’avons appelée « l’école-logis », c’est à dire à la fois un refuge pour se construire et base de départ pour embrasser en confiance la complexité et les défis du vaste monde. Une matrice pour apprendre à se connaître soi-même, les autres et le monde, et pour naître au monde ensuite.
L’école doit porter un projet civilisationnel humaniste et former des hommes et des femmes conscients d’eux-mêmes, des autres et de la planète, et non pas le projet politique périmé de fabriquer des citoyens-contribuables-consommateurs dociles et utiles à la nation.
11) Serait-elle la même partout, ou ce modèle s’adapterait-il à chaque territoire ?
Évidemment elle serait à la fois universelle dans les principes et particulière dans la mise en œuvre. C’est le principe de l’écologie : think global, act local.
12) Dans cette école, quel serait le rôle des parents ?
Les parents sont essentiels dans l’école. Ils sont co-éducateurs. Ils doivent avoir leur place dans le projet pédagogique, mais savoir s’y tenir aussi. Coopérer, mutualiser : les familles doivent être partie prenante du parcours scolaire de l’enfant pour qu’il soit bien compris, bien vécu et soutenu par l’ensemble des adultes qui interagissent tout du long de son parcours de vie. Aujourd’hui, les recherches l’affirment, les élèves qui ont des parents investis dans l’école réussissent mieux que les autres. Sans doute parce que, pour commencer, les parents soutiendront davantage l’école s’ils possèdent des informations claires et précises sur ce qu’elle essaie de faire et s’ils ont le sentiment d’être réellement perçus comme étant des partenaires à part entière. Ils seront aussi plus positifs s’ils ont participé aux activités de l’école, si les décisions concernant les enfants, leurs activités sont partagées et invitent à une coopération réelle.
Cela pourrait aussi permettre de ramener pas mal de parents à l’école, qui en auraient bien besoin. Pour mettre à l’épreuve leurs préjugés sur le monde, la vie et leurs propres enfants, parfois même. L’éducation est une entreprise au long cours. Elle ne s’arrête pas avec le bac ou les diplômes. Elle se confond avec notre parcours de vie. Nous ne devrions jamais cesser d’apprendre.
13) Vous semble-t-il possible à la fois de construire un projet scolaire commun harmonieux, tout en respectant les individualités de chacun ? Si oui, comment ?
Oui, évidemment. C’est le défi majeur, mais ces dimensions ne s’opposent pas. Elles s’additionnent dans le cadre non pas de parcours individuels en concurrence, mais d’interdépendance. Cela passera donc par un autre recrutement des enseignants, une implication sincère de toute la société et une ouverture générale de l’école sur le monde tel qu’il est et tel qu’il vient.
14) Éduquer sans autoritarisme, est-ce possible et souhaitable selon vous ? Pourquoi ?
Sans autorité, non. Mais l’autoritarisme n’a rien à voir avec l’autorité. Il signale au contraire sa défaite, la radicalisation et le conflit d’une figure d’autorité qui en serait dépourvue. Michel Serres rappelait très justement que la racine du mot « autorité » (auctoritas en latin) est la même que celle d’augmenter. Il nous faut des autorités qui nous fassent grandir. Pas de l’autoritarisme qui nous rabaisse – que ce soit dans la classe, dans l’entreprise, dans la société, dans la politique, partout.
15) Avez-vous un exemple d’école qui soit une réussite selon vous ? Pourquoi est-ce une réussite ?
Il n’y a pas de système parfait. Mais il y a des réussites remarquables partout, même dans les systèmes en échec comme le nôtre. On peut s’inspirer des expériences qui fonctionnent. La Finlande qui supprime ses enseignements par discipline et fait un travail exceptionnel sur l’information et l’écosystème médiatique. Ou bien ces classes, avec du matériel ergonomique comme par exemple à Eaubonne au lycée Louis-Armand (avec des tables-chaises roulantes) ou encore à Neufchâtel où les espaces se transforment selon les activités (choix d’où et comment les jeunes travaillent dans un même espace). Ou bien les cantines en régie municipale bio comme à Mouans-Sartoux, les écoles avec des jardins, des heures de méditation, ou des cours de philo à la maternelle. Le changement de système se fera par petites touches, petits pas, comme on relie les points entre eux pour dessiner un visage qu’on ne pouvait pas voir auparavant.
16) Le logis familial est peu évoqué dans votre livre. Pensez-vous qu’un changement de paradigme scolaire puisse transformer la société à lui-seul ? Peut-on détacher l’école du reste ?
Oui et non. Notre livre est un livre politique sur l’école. Il ne portait pas sur les familles. C’est à la fois trop vaste et un peu hors sujet pour nous. Alors certes, non, on ne peut pas détacher l’école du reste mais oui, nous pensons que l’école est le premier pavé sur la route pour changer le monde. Nous voulons reconnecter l’école avec l’ensemble de la société, faire en sorte qu’elle ne soit plus un terrain d’affrontement pour des polémiques politiques idiotes, mais bien le levier pour transformer la société, qui sera bâtie par les enfants d’aujourd’hui justement.
17) En quoi la crise sanitaire Covid a souligné « toutes les faiblesses de l’Éducation nationale » ?
Inégalités territoriales, inégalités familiales, inégalités entre établissements… on a vu la désorganisation d’un ministère qui prétend tout gérer et d’une culture politique qui veut tout contrôler au centre, mais qui au fond est démunie parce qu’elle est coupée du terrain et que ses seuls relais sont les rectorats, qui sont déjà des institutions politisées donc coincées entre la relation au ministre et les réalités sur le terrain. Illusion de continuité scolaire. Illusion d’une continuité sociale.
18) Les mesures sanitaires actuellement appliquées dans les écoles (masque, vaccination, distanciation sociale) vous semblent-elles salutaires pour les enfants et utiles pour le bien-commun ?
Ce n’est pas à moi de juger de leur caractère sanitaire. C’est un débat pour les médecins et les experts de la santé publique. En revanche, certains aspects de leur caractère politique sont assez évidents. En outre, on peut déplorer les incohérences et les demi-mesures. Par exemple, puisque le gouvernement décide de remettre les masques dont on sait qu’ils ont un gros impact affectif, pédagogique et sanitaire sur les enfants, qu’il aille au bout de la logique et fournisse aux enfants et aux enseignants obligés de faire cours avec ces contraintes, des « masques inclusifs » (qui laissent voir la bouche), mette en place des réductions d’effectifs pour des classes réduites où les masques seraient moins nécessaires, ou des roulements pour alléger ces classes, etc. L’école et la santé des enfants ne peuvent pas être des variables d’ajustement pendant que les priorités sont de garder l’économie active.
19) Que pensez-vous du fait que politique sanitaire et politique éducative soient aussi étroitement liées ? Rappelons par exemple que l’administration de 11 vaccins aux enfants conditionne aujourd’hui leur droit d’aller à l’école, malgré une concertation nationale ayant abouti à une autre conclusion. Dans le système éducatif auquel vous aspirez, comment les décisions scolaires liées au sanitaire seraient-elles prises ?
Ce n’est pas vraiment l’objet de notre livre. Mais il est vrai qu’il faudrait réfléchir collectivement aux choix de société que représentent ces obligations. Parce qu’elle est centrale à notre vie civique et politique, et parce qu’elle est organisée sur le mode d’une éducation-contrôle, l’école est un des lieux où se déploie une certaine idée de la médecine, une certaine idée de la santé publique. C’est cette idée qu’il faut questionner en se posant la question du bien-être des enfants, avant celle de nos préjugés politiques et sanitaires. En outre, le fait que les conclusions de la concertation nationale n’aient pas été entièrement respectées est un problème démocratique et politique, pas scolaire. Il y a encore beaucoup de travail pour que nos institutions et nos pratiques politiques soient pleinement démocratiques.
20) Vous parlez de l’importance de connaître la loi pour se défendre, notamment en matière de violence. Pensez-vous que la Loi soit toujours respectueuse des valeurs auxquelles vous aspirez ?
Libérer l’esprit critique des élèves n’aboutira-t-il forcément pas à des changements de législation ? Rappelons que l’esclavage à une époque était légal…
Évidemment, mais quand la loi est bonne et qu’elle défend les valeurs d’humanisme et de tolérance, de respect des personnes et des femmes en particulier, où est le problème avec la connaître et l’appliquer ?
21) Comment allier bénéfiquement le développement des nouvelles technologies et l’amélioration de l’Éducation et du bien-être humain ? Que faire pour pallier au remplacement de l’être humain par les robots pour bon nombre de professions ?
D’abord demandons-nous quand même s’il n’y a pas quelques raisons de se réjouir de sortir d’une société entièrement construite sur le travail et la place des hommes et femmes dans la machine productive. Qui voudrait sérieusement envoyer ses enfants sur une chaîne d’usine ?
Ensuite, même si nous l’avons évoquée en tant qu’élément du « monde qui vient », la question de la robotisation dépasse le champ de notre livre et en exigerait un autre. Le voilà, le seul grand remplacement dont on peut s’émouvoir. Mais nous le soulignons à plusieurs reprises : il faut inclure aussi une éducation aux écrans, et un apprentissage du code, des algorithmes et de leur fonctionnement. C’est comme la lecture, ou presque.
22) Qu’est-ce que « le complotisme » selon vous ? Avec quoi ne faut-il pas le confondre et que faut-il faire pour s’en prémunir, en particulier à l’école ?
Le complotisme est une facilité de langage journalistique qui ne correspond à aucune réalité. Le ‘isme’ suppose une idéologie construite et une doctrine politique, ce qui n’est pas le cas. C’est un mot qu’il faut éviter d’employer, même par dérision.
En revanche, il y a bien des théories du complot (et donc des « complotistes » qui adhèrent à telle ou telle théorie). Certaines sont anciennes, comme celle du complot juif pour la domination du monde, nourrie en outre de faux célèbres comme le Protocole des Sages de Sion. D’autres sont plus farfelues, comme celle de la terre plate dissimulée par la NASA derrière la fable du voyage lunaire etc. D’autres sont politiquement toxiques et mènent à des violences illégitimes, comme par exemple la croyance en un grand remplacement organisé par les élites globalisées, qui a pu mener Anders Breivik ou Brenton Tarand à commettre les massacres d’Uttoya en 2011 et de Christchurch en 2019.
Ceci étant dit, à la base des théories du complot, il y a souvent des questions très légitimes. Le « complotiste » cherche la vérité politique que le « citoyen » soupçonne qu’on lui cache. Ce qui fait le « complotiste », ce n’est pas la question posée, ce sont les réponses choisies. L’école a un rôle à jouer. Elle n’est pas là pour livrer une doxa gouvernementale. Elle est là pour éduquer à l’esprit critique. Pour apprendre à lire le monde et questionner le réel. Elle est là pour offrir les outils de l’émancipation intellectuelle et politique, et se construire une boussole pour naviguer sur l’océan du monde. Apprendre à rechercher les sources de ses informations et à exercer son esprit critique, à poser des questions c’est la base.
Moi, je préfère une société où on pose des questions, plutôt que répéter ce que disent les autorités. L’école doit nous apprendre à nous méfier des réponses toutes faites, qu’elles soient celles d’une autorité officielle, d’un gourou en ligne, d’une Église quelconque ou même de nos propres parents. Et bien sûr les réponses toutes faites des théoriciens du complot.
23) Vous un êtes un européiste convaincu. En quoi l’Europe pourrait-elle aider à changer de paradigme scolaire selon vous ?
L’éducation et la culture, pour des raisons évidentes de souveraineté nationale et de subsidiarité, ne sont pas des compétences de l’Union européenne. Donc l’organisation de notre école et les contenus des enseignements sont une compétence nationale, voire régionale pour les pays fédéraux comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Belgique.
En revanche, si nous voulons que nos enfants prennent la mesure du monde et la conscience de notre communauté de destins à l’échelle de la planète, nous avons besoin du décentrage du regard et de l’insertion dans quelque chose de plus large – et la dimension de l’Europe permet cela.
Ainsi, nous pensons que la construction européenne est une entreprise désirable et nécessaire, pour des raisons historiques et politiques. Ce qui ne revient pas à soutenir chaque action de la Commission européenne ni chaque aspect de l’actuelle Union européenne. En somme, « Européiste » ne veut pas dire grand-chose car c’est un mot qui suppose une idéologie et un bloc « Europe » homogène alors qu’il y a de multiples motivations, forces, acteurs, et justifications, parfois contradictoires, derrière « l’Europe ».
24) Vous préparez un nouveau livre, cette fois-ci en solo. De quoi va-t-il parler ?
Mon prochain livre, à paraître au printemps 2022 chez Plon dans la collection « Renaissances » s’intitule « les 7 piliers de la Cité – guérir la politique ». Il s’agit de sortir la politique de ses réflexes religieux infantiles pour l’articuler sur une vraie démarche spirituelle adulte. C’est une réflexion philosophico-politique pour sortir notre façon de concevoir et de faire de la politique de notre conditionnement aux jeux de domination et de notre addiction au pouvoir. Il s’agit de fonder la Cité sur la réconciliation entre politique et spiritualité.
25) Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Juste une : la nécessité d’avoir un projet d’avenir pour l’école dans le débat public français, surtout pour 2022. En fait, Il y a peu de forces politiques aujourd’hui qui ont un vrai projet éducatif. Les réactionnaires en ont un, c’est le retour aux traditions. Selon eux, il faut remettre des professeurs avec beaucoup d’autorité, de la discipline, parfois l’uniforme. C’est une militarisation de l’école qu’ils fantasment et c’est un projet anti-éducatif.
Selon nous, la seule famille politique (au sens large, évidemment, pas seulement EELV) qui a encore un projet éducatif progressiste, ce sont les écologistes.
L’écologie est l’avenir. Et elle est l’avenir de l’éducation aussi. Les écologistes doivent réinvestir l’école complètement et pas simplement pour apprendre aux enfants à trier leurs déchets (parce que ça, la Commission Européenne peut le faire). Le défi du 21e siècle n’est pas vraiment l’économie ou la transition énergétique. C’est notre rapport à nous-mêmes, aux autres et à la planète. Et ça passe par l’école.
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