Le microbiote, essentiel à notre santé et à notre avenir alimentaire
Quel est le lien entre les micro-organismes hébergés dans nos intestins (appelés aussi « microbiote ») et ceux du sol ? En quoi ce que contient le sol est-il fondamental pour nos cultures, notre alimentation et notre santé ? C’est le genre de questions auxquelles va répondre Céline Basset, paysanne-chercheuse, formée à l’école du Dr Elaine Ingham.
Nous avions déjà interviewé Céline Basset dans notre magazine numéro 132 de janvier-février 2021, et également dans une vidéo accessible sur internet. Aujourd’hui, elle livre à Nexus les secrets du microbiote du sol en partant de celui de nos intestins.
◆ Nexus : Céline, peux-tu nous dire ce qu’est un microbiote intestinal ?
C’est l’ensemble des micro-organismes qui colonisent notre système digestif et qui nous protègent quand celui-ci est en bonne santé. J’ai eu une infection au Candida albicans : cette maladie fongique du microbiote intestinal m’a fait prendre conscience à quel point notre équilibre et notre bonne santé dépendent de l’équilibre d’un ensemble de petits êtres vivants invisibles à l’œil nu, et pourtant si puissants dans leurs fonctionnalités. Les micro-organismes sont partout et ils sont aussi responsables de la bonne santé des humains, des animaux, des végétaux… de l’ensemble du Vivant.
◆ Quel est le lien entre le microbiote intestinal et le microbiote du sol ?
J’ai commencé à me pencher sur ce que je mangeais, l’ensemble de mon alimentation à l’époque était dépourvu de vivant : alimentation transformée, légumes et fruits dévitaminés, perfusés aux engrais et aux biocides. Je me nourrissais quotidiennement de matière morte. Dans les études épidémiologiques, les infections au Candida albicans sont plutôt dans les régions industrielles du monde – et non dans les régions en développement.
J’ai donc regardé le contenu de mon assiette, pour remonter à l’endroit où ma nourriture était dévitalisée : mes fruits et légumes provenaient de sols inertes – sans microbiote.
C’est là que j’ai compris l’interaction entre la bonne santé de mon microbiote intestinal et la bonne santé des sols.
◆ Où trouve-t-on les micro-organismes de notre intestin ?
Il semblerait que nous passons notre temps à ingérer des micro-organismes lorsque nous mangeons. Nous avons certes notre microbiote intestinal initial, transmis à la naissance par notre mère, mais nous le développons à travers notre alimentation. Alors, nous avons plutôt intérêt à être sûrs que ce que nous mangeons contient les micro-organismes bénéfiques du sol.
◆ Donc le sol a son propre microbiote ?
Oui, tout comme notre intestin, le sol n’est pas une matière inerte, selon les travaux de Hans Jenny, père fondateur des sciences du sol, et du Dr Elaine Ingham (microbiologiste), un sol a le nom et la définition de cela si et seulement si il est composé des 3 éléments suivants :
1- la qualité agronomique (sable, limon, argile)
2- la présence de matière organique (min 5 %)
3- la présence des micro-organismes (biomasse bactérienne et fongique > 135 μg/g de sol sec).
Si ces trois éléments ne sont pas présents dans un sol, alors cela n’est pas un sol, mais une matière morte et inerte.
◆ Qui sont-ils, peux-tu nous les décrire ?
Tout d’abord, il existe les micro-organismes bénéfiques et les micro-organismes pathogènes. Ce qui détermine la présence des micro-organismes (m.o.) bénéfiques, ce sont les conditions, leur environnement. Ainsi les m.o. bénéfiques se développent dans des conditions aérobies – c’est-à-dire avec une bonne concentration d’oxygène dans leur milieu (> 6 ppm/litre d’oxygène). Finalement, ils sont comme nous, ils ont besoin de respirer. Alors que les pathogènes pour les humains, les animaux et les plantes se développent bien souvent dans des conditions anaérobies (sans oxygène ou très peu) et où il n’y a pas de compétition pour eux. En d’autres termes, les m.o. bénéfiques ne sont pas présents dans ces conditions pour lutter contre les pathogènes qui, eux, se sentent comme des poissons dans l’eau dans un milieu avec peu ou pas d’oxygène (< 6 ppm/litre d’oxygène).
Parmi ces m.o. bénéfiques pour le sol et notre microbiote intestinal, se trouvent des bactéries (75 000 espèces) et des champignons (25 000 espèces), qualifiés de décomposeurs et dénommés aérobes. Ils sont responsables d’un processus de décomposition aérobie (aérée, oxygénée) – et non d’une décomposition anaérobie (sans oxygène). C’est pour cela d’ailleurs qu’il n’y a pas d’odeur d’œuf pourri, d’ammoniac, de vinaigre ou de putréfaction lorsque cette méthode de décomposition est utilisée dans un compost microbiologique. On y cultive les m.o. bénéfiques.
Puis viennent les autres groupes, qui sont les prédateurs des bactéries et des champignons : les protozoaires (flagellés, amibes), les nématodes et les micro-arthropodes, qui sont visibles uniquement au microscope, pour ensuite arriver aux niveaux trophiques supérieurs et visibles à l’œil nu : les macro-arthropodes et les vers de terre.
◆ À quoi ressemblent-ils sous le microscope ?
Les bactéries sont les plus petits micro-organismes (1 μm) et les champignons peuvent être les organismes vivants les plus grands au monde, c’est pour cela qu’on raisonne souvent en termes de biomasse plutôt qu’en nombre d’individus. Les bactéries bénéfiques sont souvent rondes, alors que les pathogènes ont des formes en spirale par exemple. Au microscope, les champignons bénéfiques sont souvent de couleur marron chocolat, ils ont un diamètre régulier et assez gros (4-5 μm), une régularité dans leurs septa (septum : cloison transversale), alors que les champignons pathogènes ont un diamètre plus petit, sont translucides sans réellement de régularités dans leurs septa. Les nématodes sont comme des vers translucides avec différentes formes de bouche et différents appareils digestifs en fonction de ce qu’ils mangent.
◆ Quelles sont leurs relations ?
Il s’agit d’une véritable chaîne alimentaire souterraine et invisible à l’œil nu.
Les relations ont donc une notion de prédation, où les bactéries sont mangées par les protozoaires, les nématodes, les micro-arthropodes. Les protozoaires mangent en moyenne 10 000 bactéries par jour. Les nématodes et micro-arthropodes mangent environ 5 à 10 cellules de champignons par jour. Ces relations de prédation sont responsables du bon fonctionnement des sols : structure, aération, micro et macro-agrégats, et disponibilité des nutriments pour les plantes.
Pendant que les proies (bactéries et champignons) s’occupent des minéraux et nutriments stockés dans le sol, les prédateurs, une fois qu’ils ont mangé les bactéries, se retrouvent en excès de nutriments que leurs corps ne peuvent assimiler. Ils relâchent donc ce trop-plein sous forme d’excréments contenant des nutriments biodisponibles pour les racines des plantes.
Pour faire simple, les prédateurs des bactéries sont responsables du cycle des nutriments pour les cultures végétales. Donc, en remettant des protozoaires, des nématodes et les autres copains du réseau bénéfiques, il n’y a techniquement plus besoin d’engrais acheminés depuis l’autre bout du monde pour avoir une molécule de phosphore. Il y a juste à remettre la biologie à sa place dans le sol.
La présence de l’ensemble des m.o. est importante, il faut toutes les espèces, en grand nombre et de manière équilibrée.
◆ Quelles relations avec les plantes et nos cultures ?
Elle est symbiotique. Les plantes sont comme des reines qui décident qui elles veulent voir et quand. En relâchant des sécrétions sucrées (exsudats : sucres, carbohydrates et amino-acides) au niveau des racines au printemps, elles activent le microbiote dormant du sol. Ainsi, elles sélectionnent les micro-organismes qu’elles peuvent contrôler pour assurer le cycle des nutriments et le bon pH au niveau de leurs racines. Parfois, elles émettront des sécrétions plus complexes pour nourrir davantage les champignons et parfois des sécrétions plus simples pour nourrir davantage les bactéries. Finalement, la plante est un véritable génie végétal capable de coopération, d’échanges, de sélection et d’autonomie. Elle décide en quelque sorte de passer commande chez les bactéries et les champignons pour obtenir ce qu’elle souhaite manger. Cette relation symbiotique est le Uber Eat du sol.
Le rapport de biomasse de bactéries et de champignons varie en fonction du stade où l’on se situe dans la succession écologique (succession de stades de développement d’un écosystème).
Donc, si tu pars du caillou et que tu souhaites développer une forêt, tu pars donc de la bactérie seule et souhaites arriver aux 25 000 espèces de champignons qui résident dans des systèmes forestiers complexes. Il te faudra te munir de patience vu qu’il faut 100 ans pour créer une forêt !
Si tu fais pousser des brocolis et de la moutarde, ton sol sera plus à dominante bactérienne, alors qu’il te faudra autant de bactéries que de champignons pour cultiver des tomates, et plus de champignons pour obtenir des abricots ou des forêts gourmandes. Tout est question de microbiote, de temps et de succession écologique.
◆ Et le compost alors ?
Attention avec la définition du compost. Selon les travaux du Dr Elaine Ingham, il faut distinguer une pile ou un tas de traitement de déchets verts de la notion de compost. Pour être compost, le procédé de décomposition doit être fait dans des conditions aérobies – c’est-à-dire des conditions avec de l’oxygène, aérées, ou oxygénées. Puis, deuxième point, le compost doit contenir l’ensemble des micro-organismes de la chaîne alimentaire du sol : de la bactérie aux champignons, aux protozoaires, aux nématodes et aux micro-arthropodes… Je l’appelle compost microbiologique ou microbiotique parce qu’il se caractérise par la présence de ces micro-organismes bénéfiques pour le sol.
Lorsque je regarde un compost avec mon microscope et que je ne vois que des bactéries, le compost ne remplit pas les critères microbiologiques. Bien souvent, il y a aussi des composts où on n’a pas vraiment besoin de regarder au microscope, la couleur (marron chocolat), l’odeur (forêt), la texture du compost (structuré ou friable) et une lixiviation (faire couler passivement de l’eau à travers un peu de compost situé dans un filtre à café, recueillir l’eau du dessous dans un pot transparent et regarder la couleur finale) donnent déjà de très bons indices sur la présence ou l’absence de certains micro-organismes dans un compost.
◆ Quelles sont les raisons de la mort des micro-organismes dans le sol ?
Des pratiques erronées, déconnectées du règlement intérieur du vivant.
Le labour est la première cause de la mort des micro-organismes qui sont coupés, tranchés et écrasés par le passage des lames à différentes profondeurs (30 cm à 60 cm) dans le sol.
Puis pour conséquence directe, la compaction des sols en est la deuxième cause. Le sol a donc été retourné et a perdu sa structure, les particules du sol ne se tiennent donc plus entre elles, le sol devient friable comme un crumble aux pommes. Ce qui crée des petits effondrements, des tassements, détruisant les pores et les passages qui constituaient les habitats des différents micro-organismes bénéfiques. Par la suite, cette compaction retire la possibilité à l’oxygène et à l’eau de s’infiltrer dans le sol et retire donc aux micro-organismes du sol toute possibilité de vivre et de faire leurs boulots.
Ils se mettent donc soit en dormance, soit meurent. Laissant ainsi leur place aux organismes anaérobies, qui eux sont capables de vivre métaboliquement sous des concentrations d’oxygène réduites et qui sont responsables des pathogènes humains et des pathogènes pour les cultures végétales.
Enfin, la troisième cause est l’utilisation d’engrais et de biocides prescrits par l’industrie. On applique donc des « pansements » pour pallier des « hémorragies » de dysfonctionnements lorsqu’il s’agit de faire pousser des cultures. Alors on perfuse, on fragilise et on détruit chaque jour le système immunitaire du sol. C’est comme cela qu’on se retrouve avec des légumes et fruits aux valeurs nutritionnelles faibles et dévitalisés de microbiote.
◆ La biologie du sol, pourquoi pas une matière en tronc commun à l’école ?
OUI ! Tout passera par la transmission. Il est urgent de démocratiser les savoirs sur le fonctionnement du sol pour tout public. Je ne vois pas pourquoi la connaissance du sol serait réservée aux scientifiques ou aux agriculteurs. Notre souveraineté commence par récupérer le pouvoir de s’alimenter. C’est par la paysannerie que tout commence – remettons de l’ordre dans nos savoirs et priorisons les savoirs qui nous font vivre. Lorsque j’étais à Bali, j’ai été très touchée de voir que la Green School mettait dans son programme pour les enfants la culture du sol et la bienveillance envers les écosystèmes nourriciers.
Si 67 millions de Français cultivent leurs petits jardins avec les bonnes connaissances, au même moment, c’est un effort collectif organique et massif en matière de régénération et de résilience alimentaire.
◆ Une question de sécurité nationale ?
Oui, si nous remettons le savoir dans les mains des citoyens et des citoyennes, collectivement et simultanément, il y a un potentiel énorme de pouvoir produire en régénérant, et par conséquent de devenir résilient sur le plan alimentaire en pratiquant ensemble les bons gestes.
Pour voir notre entretien vidéo avec elle de novembre 2020 :
L’agriculture et l’alimentation doivent être basées sur le « règlement intérieur » du Vivant.
Le microbiote territorial se retrouvera donc moins fragilisé si chacun sait comment traiter son sol, comprendre les messages qu’envoie Dame Nature et comment produire en régénérant avec les bons micro-organismes.
Tout commence avec l’apprentissage et la transmission.
Céline Basset est formée à l’école du Dr Elaine Ingham : Soil Food Web. Elle a fondé la Ferme Blue Soil, association d’intérêt général que l’on peut soutenir ici. Depuis 2019, elle est détentrice d’un brevet d’ensemencement des sols. En 2021, elle a écrit son premier livre, Produire en régénérant, Carnet de voyage d’une paysanne, et plus récemment elle a contribué à la rédaction du livre L’Agriculture au cœur de la santé unique : un lien régénéré entre la nature et le vivant.
Pour lire notre premier entretien avec Céline Basset dans notre numéro 132 :
Sources :
https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.2307/1942528
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929139398001632
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0038071707001241
https://link.springer.com/article/10.1007/BF00260580
https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.1097396
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0016706104000898
https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rstb.2007.2185
https://nph.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/nph.13288
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0169534706002126
http://www.prober.it/upload/6th_International_Comgress_Organic_Viticulture.pdf#page=93
Image principale par Jing de Pixabay
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