Une association se mobilise contre l’effondrement de la biodiversité à l’aide d’un outil légal jusque-là peu utilisé : l’ORE
Depuis près de 25 ans, l’association indépendante Agir pour l’Environnement se mobilise pour une planète vivable. Elle enquête, lance des actions citoyennes, interpelle les pouvoirs publics et les décideurs économiques. Aujourd’hui, ce sont les réserves de biodiversité qu’elle souhaite mettre à l’honneur et préserver par un outil peu connu qui existe depuis 2016 : l’obligation réelle environnementale (ORE) qui permet aux propriétaires fonciers et aux collectivités publiques de protéger des zones naturelles jusqu’à 99 ans.
Nous avons interrogé Aurore Bonnefoi, coordinatrice des campagnes Nature et Biodiversité au sein de l’association.
◆ Nexus : Quelle action êtes-vous en train de mettre en place ?
Aurore Bonnefoi : Nous avons lancé une campagne de financement pour sauvegarder la biodiversité ordinaire. L’objectif est de créer des réserves de biodiversité en se servant d’un nouvel outil légal, l’ORE, ou obligation réelle environnementale, qui peut être opposable aux atteintes qu’on porte à la nature et ce jusqu’à 99 ans.
◆ Pouvez-vous nous expliquer plus précisément le mécanisme d’une ORE ?
L’ORE existe depuis la loi Biodiversité de 2016 et se signe devant un notaire entre un propriétaire foncier (ou une collectivité publique) et une association de protection de l’environnement comme la nôtre.
Le propriétaire s’engage à faire ou ne pas faire certaines choses sur son terrain dans le but de préserver la biodiversité, que ce soit un jardin, un champ, une prairie, un bois, une forêt, une montagne etc.
Il peut par exemple vouloir que sa propriété reste en friche, en libre évolution notamment pour préserver des espèces d’insectes, d’animaux, de plantes, et il pourra ainsi empêcher que des parcelles soient artificialisées, construites, transformées en parkings, en aéroports, en immeubles ou en zones agricoles industrielles.
Le but officiel du gouvernement en autorisant cette pratique était d’“éviter, réduire, compenser” les dégradations environnementales ce qui est louable en soi.
Mais nous, nous cherchons au maximum à éviter ces dégradations, pas à les réduire, ou encore moins à les compenser. Quelle absurdité par exemple d’abattre des forêts primaires en replantant des arbres ailleurs, en pensant que la valeur écosystémique puisse être la même. Idem pour une zone humide, qui ne se reconstitue pas en quelques semaines ou même mois !
◆ Pouvez-vous nous présenter un des intérêts majeurs d’une ORE ?
L’un des intérêts d’une ORE, c’est qu’elle survit aux personnes qui l’ont mise en place, jusqu’à 99 ans après sa signature, mais on peut décider qu’elle dure moins longtemps et sur des périodes renouvelables (10 ans, 20 ans, etc). Elle peut être opposée à des institutions publiques, des entreprises, des acheteurs ou des successeurs qui ne partageraient pas les mêmes valeurs que le propriétaire et qui voudraient en faire un usage qui participerait à la destruction de la biodiversité.
◆ Comment s’assurer qu’un propriétaire respecte ses engagements ?
Étant donné que le propriétaire est 100% volontaire pour signer l’ORE et qu’il s’agit avant tout de son initiative, il n’y a pas matière à vérifier ce qu’il fait, avant que le terrain soit légué ou vendu.
On passe néanmoins tous les 2 à 5 ans pour voir si tout va bien. Si par la suite, on constate de graves manquements à l’ORE initialement signée, nous devons déployer les moyens humains et financiers nécessaires pour demander réparation ou remise dans l’état initial du terrain dans la mesure du possible. C’est surtout lorsqu’il y a changement de propriétaire que le contrôle s’avère nécessaire.
Un propriétaire peut vouloir revenir sur une ou plusieurs obligations, dans ce cas, nous nous mettons d’accord pour faire un avenant à l’ORE ou bien la dissoudre. Si les successeurs voulaient également renégocier tout ou partie, dans l’objectif explicite de porter atteinte à la biodiversité, nous ne donnerions pas notre accord.
◆ S’il y a des pressions ou attaques extérieures à l’encontre de l’ORE, que se passe-t-il ?
Nous sommes garants du respect de la biodiversité sur les terres pour lesquelles nous avons signé des ORE. En cas d’attaque extérieure, c’est nous qui prenons en charge la défense active de la parcelle atteinte.
◆ Est-ce que le cas s’est déjà présenté ?
En réalité, l’ORE est un outil très jeune, au sujet duquel il y a peu de jurisprudence. On ne sait pas encore quelles dispositions sont plus ou moins fortes que l’ORE : par exemple entre un droit de préemption SAFER et l’ORE. Sur le papier, c’est l’ORE qui doit l’emporter, mais dans les faits, le problème ne s’est pas encore posé, il n’y a encore jamais eu de litige à notre connaissance.
◆ Comment la démarche se passe-t-elle avec les notaires ?
Avant cette campagne 2022, nous en avions lancé une première en 2021 qui nous a permis de créer 3 ORE et de constater que signer une ORE avec un notaire était plus compliqué et long que ce que l’on pensait.
Comme le concept est nouveau et qu’une poignée d’ORE seulement dans toute la France ont été signées depuis 2016, la plupart des notaires n’en ont jamais fait et ne maîtrisent pas le sujet.
Nous avons pris l’habitude de traiter avec les notaires de famille, car ils ont l’historique des parcelles. Nous leur fournissons l’acte presque entièrement rédigé pour leur faciliter les choses. Certains notaires de famille, par méconnaissance du sujet, ou parce qu’ils ne partagent pas nos convictions, ou encore par peur pour leur réputation, préfèrent ne pas signer d’ORE. Nous faisons alors appel à un autre notaire qui va demander au notaire de famille certains documents, et le prix de la transaction ainsi que le temps d’attente s’en verront forcément augmentés.
En moyenne, la signature d’une ORE peut demander entre 3 et 6 mois de travail avant de voir le jour !
◆ Combien coûte la mise en place d’une ORE ?
Entre les frais de notaire, de diagnostic écologique, nos charges salariales et de fonctionnement, une seule ORE nous coûte entre 3 000 et 5 000 euros.
Nous avons calculé que pour préserver en moyenne 500 m2, il nous faut donc 5 euros.
Nous avons demandé dans le cadre de notre campagne 30 000 euros minimum pour créer au moins 6 ORE. Mais la campagne fonctionne par paliers : aujourd’hui, nous en sommes à 80.000 euros, ce qui nous permettra de créer au moins 12 réserves de biodiversité. Plus nous aurons de moyens, plus nous pourrons sanctuariser d’espaces naturels et plus nous pourrons recruter pour donner de l’ampleur à ce projet.
◆ Comment sélectionnez-vous les personnes avec qui vous allez conclure une ORE ?
Aujourd’hui, face à l’augmentation des demandes, nous avons créé un formulaire que les postulants peuvent remplir, ce qui nous permettra d’arbitrer sur la base de critères objectifs (surface, menaces particulières pesant sur la zone, espèces protégées, en voie de disparition ?). Nous allons commencer par sélectionner 20 propositions puis ferons autant d’ORE que possible.
Nous proposons une dizaine d’obligations à la carte que les propriétaires peuvent s’engager à respecter, comme par exemple ne pas utiliser de pesticides ou ne pas couper les arbres ou les haies. S’ils ne sont pas tenus de toutes les intégrer dans leur ORE, nous favoriserons malgré tout les cas de figures protégeant au maximum .
Par ailleurs, nous établissons systématiquement un diagnostic écologique sur chaque site par des professionnels écologues pour documenter la faune et la flore existants et pouvoir mettre en place un suivi.
Précisons qu’il n’y a pas de taille minimum ou maximum de terrain pour lancer une ORE.
◆ La liste des ORE que vous allez conclure sera-t-elle accessible quelque part pour les participants à la campagne Ulule ?
Nous proposons actuellement une carte avec toutes les potentielles réserves de biodiversité à créer, mais qui ne contient ni les noms des personnes ni les adresses bien sûr.
Nous ne pouvons pas communiquer l’adresse exacte des réserves de biodiversité, car il s’agit de propriétés privées. Mais nous demandons à chaque propriétaire contractant s’il accepte que soient rendues publiques certaines informations, pour la presse notamment.
◆ L’ORE a-t-elle été beaucoup utilisée depuis sa création en 2016 ?
Non, elle n’a pas été très utilisée en 6 ans. Il n’y a pas de registre national officiel, mais à vue de nez, je dirais qu’il en existe à ce jour une vingtaine maximum.
Peut-être parce que le gouvernement avait promis de revenir amender la loi initiale avec des mesures d’incitation fiscale, permettant notamment d’exempter les propriétaires signataires d’ORE de taxe foncière. Malheureusement cette promesse n’a pas été tenue pour l’instant…
◆ Comment vous financez-vous en plus des campagnes de financement ?
Nous sommes 100% indépendants. Nous refusons toute subvention publique ou privée, ou versement de toute entreprise, pour pouvoir rester libres de ton et d’action. On fonctionne uniquement avec des dons de particuliers qui plébiscitent nos campagnes de mobilisation citoyenne.
◆ Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Nous allons avoir besoin de coopérer avec des pros du diagnostic écologique dans les mois à venir dans plusieurs zones de France. Si des écologues qui connaissent bien la faune, la flore et tous les enjeux écologiques de leur région veulent faire partie de l’aventure dans leur secteur géographique, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter !
Réponses par Aurore Bonnefoi, coordinatrice des campagnes Nature et Biodiversité
Propos recueillis par Estelle Brattesani
👉 Pour participer à la campagne de financement, cliquez ici :
Image principale par Alain Audet de Pixabay
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