L’État condamné pour avoir empêché un homme de se rendre au chevet de son père mourant pendant le premier confinement
En avril 2020, un habitant du Loir-et-Cher a fait des centaines de kilomètres, mais n’a jamais pu franchir le pont de l’île de Ré pour se rendre au chevet de son père mourant. Alors qu’il avait toutes les attestations requises, les gendarmes ont refusé de le laisser passer. Quatre ans plus tard, l’État a été condamné pour faute lourde par le tribunal judiciaire de La Rochelle.
◆ Un blocage incompréhensible
Malgré tous ses efforts, il n’a jamais pu dire un dernier au revoir à son père, avant que celui-ci ne s’éteigne trois jours plus tard des suites de son cancer. Le 4 avril 2020, en plein confinement, Patrice Dupas s’est retrouvé, comme tant d’autres, seul face à un dispositif absurde et inhumain. Seul, face à des gendarmes impassibles qui n’ont pas voulu le laisser passer. Seul, face à une administration sourde, devenue quasi kafkaïenne.
Pourtant, Patrice Dupas avait tous les certificats médicaux prouvant l’urgence de l’état de santé de son père. D’ailleurs, les gendarmes du Loir-et-Cher l’avaient autorisé à quitter son département de résidence pour se rendre à l’île de Ré, où demeurait son père, pour « motif familial impérieux ». Mais arrivé presque à la fin de son trajet, l’homme s’est retrouvé bloqué. En dépit de l’intervention du médecin de famille auprès des gendarmes et des sollicitations faites à la préfecture, Patrice Dupas n’a jamais pu franchir les derniers kilomètres qui le séparaient de son père.
◆ Des excuses publiques de la gendarmerie
Le Loir-et-Chérien ne s’en est jamais remis, même si, le 16 avril 2020, la gendarmerie de Charente-Maritime s’est excusée publiquement sur les réseaux sociaux et a annulé l’amende de 135 € dont il avait écopé.
En octobre 2020, comme l’indique France 3 Nouvelle-Aquitaine, l’homme écrit une lettre au président de la République. Puis décide, deux ans plus tard, de saisir la justice. « Ce 4 avril, il y a eu une erreur et il faut la réparer. Le montant des indemnités que l’on demandera sera juste symbolique. Mais ça serait réparateur dans mon deuil. Ça ira pour mes enfants. C’est une question de principe. Vous faites une connerie sur la route, vous payez. L’État fait une erreur, il paye », expliquait à l’époque Patrice Dupas à nos confrères de France 3.
◆ Un « dépassement disproportionné des pouvoirs de contrôle »
Le 19 décembre dernier, le tribunal judiciaire de La Rochelle lui a donné raison, en confirmant qu’il y avait eu un « processus de dépassement disproportionné des pouvoirs de contrôle » et « un déni de justice pour Monsieur Patrice Dupas, à savoir le droit de se trouver avec son père pour un motif familial impérieux », rapporte le journal 20 minutes dans un article paru le 14 février dernier.
Estimant que « la faute lourde de l’État » était établie, le tribunal rochelais a condamné ce dernier à verser 12 000 € de réparation au plaignant. Selon les sources de son avocat du barreau de Poitiers, Me Kevin Gomez, l’État ne fera pas appel et le jugement sera définitif le 6 mars.
◆ Un précédent juridique pour d’autres actions possibles
D’après le journal La Croix, l’avocat estime également que cette décision de justice « crée, de fait, un précédent ». D’autres procédures de même nature pourraient donc être engagées dans les mois à venir. Selon le site Village de la justice, le délai de prescription pour engager une action en responsabilité de l’État est en effet de « 4 ans, à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué ». Tout est donc encore possible jusqu’à fin 2024.
Article par Alexandra Joutel
👉Lire dans notre n° 148 (sept.-oct. 2023), notre article sur l’affaire Covid
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