Eaux en bouteille illégalement traitées : une ONG porte plainte contre Nestlé Waters et Sources Alma, et dénonce une « fraude massive »
Suite à une enquête journalistique révélant un scandale autour des eaux mises en bouteille par les groupes Nestlé et Sources Alma, l’ONG de défense des consommateurs Foodwatch porte plainte contre les deux industriels pour neuf infractions pénales et dénonce une « fraude massive ». Un tiers des eaux en bouteille vendues en France est concerné.
◆ Des eaux naturelles mélangées à de l’eau du robinet
Une enquête de la cellule investigation de Radio France et du Monde révélait le 30 janvier dernier que les groupes Nestlé et Sources Alma ont eu recours à des systèmes de purification interdits pour leurs eaux en bouteille. Cristaline, Hépar, Vittel, Contrex, Perrier, Saint-Yorre, Vichy Célestins… Un tiers des marques commercialisées en France est concerné par ce scandale.
Tout a commencé en décembre 2020, quand un lanceur d’alerte, salarié du groupe Alma, a fait un signalement à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Lors de son enquête, celle-ci découvre que l’industriel procède effectivement à des injections de sulfate de fer et de CO2 dans ses eaux, à de la microfiltration inférieure au seuil autorisé (0,8 micron) et, mieux encore, coupe ses eaux minérales ou de source avec de l’eau du robinet.
◆ Des filtres pour purifier des eaux provenant de sources contaminées
Mais la répression des fraudes découvre également que le groupe Alma n’est pas le seul industriel du secteur à avoir recours à ce genre de pratiques et que beaucoup d’entre eux, dont Nestlé Waters (filiale du géant suisse de l’agroalimentaire Nestlé), utilisent sur leurs eaux des filtres non autorisés, à charbon actif et ultraviolet. Convoqué au ministère de l’Industrie fin août 2021, Nestlé aurait expliqué que ces filtres avaient pour but de purifier des eaux provenant de sources régulièrement contaminées, notamment par des bactéries de type Escherichia coli et des traces de polluants chimiques (métabolites de pesticides).
◆ « Des pratiques délibérément dissimulées »
En octobre de la même année, le gouvernement ordonne à l’Inspection générale des affaires sanitaires (Igas) de mener une enquête administrative, afin de déterminer l’impact de ces traitements, ou de leur arrêt, sur la qualité sanitaire de l’eau. Dans ce cadre, 32 inspections sur sites sont réalisées par les services des agences régionales de santé (ARS).
Dans un rapport remis en juillet 2022 au gouvernement, et que nos confrères de Radio France et du Monde se sont procuré, les inspecteurs indiquent que « près de 30 % des désignations commerciales subissent des traitements non conformes » au Code de la santé publique et 100 % des marques de Nestlé Waters (Hépar, Vittel, Contrex, Perrier). Ils précisent également que le niveau de non-conformité est « très probablement supérieur », mais impossible à estimer étant donné les « difficultés pour les services de contrôle d’identifier des pratiques délibérément dissimulées », notamment dans les usines de Nestlé Waters. Donc, non seulement il y a utilisation de traitements illégaux, mais en plus il y a dissimulation !
◆ Pas de risque sanitaire, selon Bercy
En octobre 2022, l’ARS Grand Est a saisi le procureur de la République d’Épinal, dans les Vosges, où Nestlé Waters possède des usines à Vittel et Contrexéville (l’eau Hépar y est aussi mise en bouteille). Une enquête préliminaire pour « tromperie » au Code de la santé publique a été ouverte par le parquet en janvier 2023, selon le quotidien Vosges Matin. De son côté, l’ARS Occitanie, où se trouve l’usine Perrier dans le Gard, n’a pas donné de suite judiciaire.
Quant au gouvernement, il n’a informé ni la justice française ni les autorités européennes de ces pratiques illégales, dont il était au courant depuis au moins 2021. L’article 40 du Code de procédure pénale et l’article 11 de la directive européenne sur les eaux minérales naturelles auraient pourtant dû l’y obliger. Selon la réponse donnée par Bercy aux journalistes de Radio France et du Monde, on comprend qu’aucun risque sanitaire en lien avec l’utilisation de ces traitements illégaux n’ayant été identifié, la question de la fraude n’est visiblement pas importante…
◆ Traitées ou non, les eaux contaminées posent problème
De son côté, Nestlé Waters a déclaré ne plus exploiter certaines sources contaminées servant à la production d’Hépar et de Contrex. L’industriel suisse assure également ne plus faire usage des filtres à charbon et des traitements UV, mais uniquement de la microfiltration inférieure à 0,8 micron, comme le gouvernement l’a plus ou moins autorisé à le faire, à sa demande.
Seulement, si certaines eaux naturelles continuent d’être contaminées à la source, l’arrêt des traitements pour les purifier pose un autre problème sanitaire pour les consommateurs, comme l’a souligné l’Igas dans son rapport.
Plus discret, le groupe Alma s’est abstenu de toute déclaration et continue à promouvoir sur son site des eaux à la qualité irréprochable.
◆ Neuf infractions pénales
Quoi qu’il en soit, dénonçant une « fraude massive », l’association de défense des consommateurs Foodwatch a décidé de porter plainte le 21 février dernier contre Nestlé Waters et le groupe Alma, pour neuf infractions à la directive européenne sur les eaux minérales, au Code de la consommation et au Code de la santé publique.
« La fraude est bien caractérisée, selon le communiqué de l’ONG, puisqu’il y a clairement une infraction à la réglementation, tromperie des consommateurs, gain économique et intention de tromper puisque les entreprises ont dissimulé les procédés de filtration aux contrôleurs et se sont bien gardées de donner les informations aux consommateurs ou aux distributeurs. »
Foodwatch a également interpellé par courrier la commissaire européenne à la santé et la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides, sur la responsabilité de l’État français, qui n’a pas jugé bon d’informer les citoyens et les autres États membres de l’Union européenne sur cette fraude, alors que l’appellation « eau minérale naturelle » est encadrée par une directive européenne très stricte.
◆ Bientôt une enquête parlementaire ?
Dans une interview accordée le 28 février 2024 à la chaîne YouTube Le Monde Moderne, le sénateur de l’Oise Alexandre Ouzille (PS) regrette pour sa part que les sénateurs ne puissent pas avoir accès au rapport de l’Igas, qui est selon lui « tenu secret » par le gouvernement. Une enquête parlementaire pourrait être ouverte à ce sujet.
Article par Alexandra Joutel
(Image par congerdesign de Pixabay)
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