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« Hétéroclite en kit », une nouvelle sur le discernement en accès libre

En 2010, une de nos journalistes sortait « Mes 7 Alliés Capitaux », un recueil de nouvelles dans lequel elle faisait un point sur les 7 valeurs primordiales auxquelles elle aspirait, alors que le sens de la vie lui échappait. Cela lui a demandé près de trois ans pour finaliser 7 chapitres principaux, divisés en 7 nouvelles, soit 49 histoires, racontées avec humour, énergie, émotion et piquant, par autant de personnages différents. Aujourd’hui, à l’heure où tout s’accélère, nous vous proposons en accès libre sa nouvelle sur la nécessité de se ménager pour avoir plus de discernement. Autrement dit pour l’auteure, de prendre le temps de faire une seule chose à la fois et de se reposer. Une quête intérieure, une proposition…

« Hétéroclite en kit » est un dialogue entre deux amis d’enfance, publié sous la forme d’une nouvelle classée dans la rubrique « Discernement », l’un des 7 « Alliés Capitaux » présentés dans ce livre, défini dans cet ouvrage de 333 pages comme étant la capacité à voir clair et juste, et à prendre les bonnes décisions.

Se ménager : je prends le temps de faire une chose à la fois
et de me reposer

 

« HÉTÉROCLITE EN KIT »

 

J’aime quand ça change, moi. On dit que je suis instable, mais je rencontre plein de monde. Je vois du paysage et je touche un peu à tout. Je reste en moyenne un an dans le même appartement et je vais de ville en ville.

Ça fait six mois que j’ai ce poste de commercial pour une société qui fabrique des raquettes de tennis. J’en ai déjà marre. Juste avant, j’étais pompier volontaire, mais les interventions de nuit ont fini par me gaver. Encore avant, j’ai été CPE dans un collège, pompiste, carreleur, vendeur de chaussures, figurant, assistant marketing, masseur, animateur au Club Med, serveur, caissier et j’en passe. Dernièrement, j’ai commencé à prendre des cours par correspondance de psychologie.

« Pour faire quoi ? » me demande mon pote d’enfance David, alors que nous sommes en train de boire une bière dans le bar en bas de chez moi.

« À ton avis ? Pour devenir psy, pardi ! »

Mais au bout d’un trimestre, je me demande déjà si je vais continuer, ça prend trop de temps.

« Il y a tellement de choses à faire sur cette planète ! Comment choisir une voie et la même toute sa vie ? C’est impossible maintenant qu’on vit de plus en plus vieux ! J’ai envie de tout faire, de mordre la vie à pleines dents, de connaître des tas de sensations, de personnes, d’expériences nouvelles en permanence, c’est mon droit, non ?

— Bien sûr que c’est ton droit. Mais tu n’as pas l’air si heureux que tu le prétends et c’est ça qui m’inquiète.

— Ça y est, tu commences… Comment ça, je n’ai pas l’air si heureux ? Pourquoi tu dis ça ?

— Tu es plein d’herpès, tu maigris à vue d’œil, tu fumes plus d’un paquet par jour, t’es toujours enrhumé. Quand on sort, tu encaisses le triple de ce que je bois. Tu dors à peine à cause de tes insomnies, tes fêtes et tes nanas d’un soir… Notre corps nous parle, il est peut-être temps d’accorder au tien un peu de repos après toutes ces années de course.

— “Notre corps nous parle”… Non mais écoutez-moi ce vieux ringard ! On n’a que 34 ans, on aura tout le temps de se reposer quand on sera dans le trou !

— Ouais, sauf que si tu continues à ce rythme, tu vas y aller plus tôt que prévu dans le trou.

— Arrête tes conneries, j’ai de l’endurance mon gars. Je suis un winner, t’entends ? »

Je me tape sur le thorax comme un singe pour le faire rire. Ça ne marche pas du tout.

« Tu vas voir où il va finir le winner… Quand je te vois faire, je suis fatigué à ta place. Tu fais de la gym en regardant un film, tu lis en écoutant la radio, tu manges en téléphonant et parfois tout en même temps. Tous les soirs, t’as un cours différent, de danse, de poterie, de tir à l’arc, de badminton, de mime. Tu frôles tout sans jamais rien approfondir. Du coup, excuse-moi, mais t’es bon nulle part. »

Tiens, prends ça dans les dents. Mais c’est vrai, il n’a pas tort, je n’excelle dans rien.

« Et est-ce qu’au moins tu apprécies ce que tu vis ?

— Bien sûr que j’apprécie !

— Quand est-ce que tu prends le temps de te poser, de laisser macérer tout ce que tu as fait comme du bon vin ?

— Oh là, c’est quoi ces grandes phrases ?… À quoi ça sert de revenir sur ce qu’on a vécu ? C’est terminé pour toujours, non ? C’est une perte de temps la nostalgie, mec !

— Je ne te parle pas de nostalgie. Je te parle de prendre des pauses régulièrement pour reposer ton corps et ton esprit. La fatigue nous pousse à dire et faire n’importe quoi. Il faut recharger les batteries, mon gars. Il n’y a que comme ça que tu pourras faire des sortes de bilans, comprendre tes erreurs et ne pas reproduire indéfiniment les mêmes. Réaliser tout ce que tu as engrangé de positif et de constructif.

— Tu te prends bien la tête toi ! T’es trop cérébral. Pour moi, ce qui compte, c’est l’action. Vivre, c’est agir. J’ai pas envie d’être un mou. Ça m’agace les gens ramollis, qui marchent, qui parlent, qui conduisent, qui mangent, qui font leurs courses lentement !

— Pourquoi ça t’agace ?

— Parce que… Parce qu’ils sont sur ma route, qu’ils me gênent et qu’à cause d’eux, je suis obligé de ralentir.

— Et pourquoi ça t’ennuie de ralentir ?

— Parce que… Parce que ça m’empêche de faire toutes les choses que j’avais prévu de faire dans la journée.

— Et pourquoi c’est si dramatique que ça si elles ne sont pas faites dans la journée toutes ces choses ?

— Parce que… Parce que… C’est comme ça. C’est le planning que je me suis fixé !

— Et pourquoi tu t’imposes de tels plannings ?

— “Pourquoi ?”, “pourquoi ?”, t’en as pas marre de poser cette question ? Tu commences à m’emmerder !

— Et c’est toi qui as commencé des études de psy…

— Ouais, mais j’vais arrêter.

— Excuse-moi, mais… pourquoi ?

— Parce qu’il y a trop de cours, je n’ai pas le temps de réviser.

— Tu ne prends pas le temps de réviser, nuance, tellement tu es débordé.

— J’me suis trompé, j’croyais que ça me plairait et finalement, ça me plaît pas, c’est tout ! Arrête de me faire chier !

— Mais pour tout le reste, c’est pareil. J’te connais depuis l’enfance et ça a toujours été comme ça ! Tu prends des décisions importantes sur un coup de tête, tu te surcharges de contraintes et t’es au taquet.

— Ben oui, j’suis un hyperactif, c’est ma nature.

— Mais arrête avec cette excuse bidon ! Toi qui es obsédé par le temps, si tu ne t’étais pas précipité pour faire cette formation, si tu avais pris le temps de réfléchir un peu, tu en aurais perdu moins. Quand tu auras compris qu’en faisant moins, on fait mieux et qu’en faisant mieux, on perd moins de temps et qu’au final, on fait plus… Je ne sais plus d’ailleurs quel poète latin disait que “le temps de la réflexion est une économie de temps”.

— Amen.

— Tu peux être cynique… Quand on est tout le temps dans l’action, c’est qu’on a peur de la réflexion. Au moins, quand on est épuisé, on n’a pas le temps de penser. Et c’est de ça que tu as peur.

— C’est fini la séance ? Je vous dois combien docteur ? »

Je regarde ma montre. Déjà 20 h. Mon cours d’escrime commence dans trente minutes. Il faut que je coure pour être à l’heure. Rien que d’y penser, je suis déjà exténué.

Texte par Estelle Brattesani

Illustration par Odile Hervois

Pour se procurer le livre « Mes 7 Alliés Capitaux », cliquez sur l’image ci-dessous :

⇒ Lire notre dossier « Respirer, apprendre les bons réflexes pour soigner le corps et l’esprit » dans notre n° 134 (mai-juin 2021) :

 

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