Entretien

Fonnker, la poésie du coeur avec Titwann

Rencontre avec Titwann, « powète » et chanteur qui nous invite à laisser s’exprimer le fond de notre cœur pour partager, libérer et parfois guérir…

Nexus : Bonjour Titwann, tu te présentes comme un « powète ». Pourquoi cette orthographe ?

Titwann : En effet, dans Le Manifeste de la Powésie édité en 2019 chez AML Éditions, j’écrivais ceci : « La Powésie est l’enfant né de l’union des mots Pow-wow et Poésie. » Les pow-wows d’abord sont des cérémonies amérindiennes où les tribus autochtones se réunissent pour célébrer ensemble des « rites de passages » importants de la communauté. Le passage des saisons, du temps, de la vie d’enfant à celle d’adulte… c’est l’expression de la sacralisation du vivant. La poésie quant à elle est un espace de liberté, un territoire d’exploration. À la rencontre de soi puis de l’autre et de sa différence, c’est-à-dire de sa richesse.

C’est quoi « la poésie », être « un poète » pour toi ?

J’aime revenir à l’étymologie du mot Poiêsis qui, pour les Grecs, signifie « création » au sens de « faire, créer quelque chose »… Loin des salons et autres milieux autorisés où l’on a voulu l’enfermer, la poésie est partout, une force de création à l’œuvre dans notre vie… quelque part, nous devenons poètes, poétesses dès lors que l’on prend la responsabilité de… « faire »… bien au-delà de cette chose littéraire, nous entrons en Poésie dès lors que l’on « met au monde » quelque chose… de vivant, de vibrant, une idée, une envie, un désir… un poème.

Le monde manque-t-il de poésie selon toi et pourquoi ?

Cette question-là immédiatement me fait penser à la réponse de Rainer Maria Rilke dans Lettres à un jeune poète… il écrivait : « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. » Je rêve d’un monde où la publicité aurait été remplacée par la poésie, où les murs de nos villes ne seraient plus tapissés de « corps-objets » nous vendant un nouveau produit indispensable ou les promesses d’une liberté accessible en trois fois sans frais. Je crois que ce nouveau monde est en germe et qu’il n’attend que nous… quelques rêveurs, quelques rêveuses, quelques poètes pour le mettre au monde.

Quand t’est venu le goût d’écrire ? A-t-il toujours été présent ou s’est-il développé progressivement ?

Je me souviens exactement du moment. J’étais un enfant dyslexique, dysorthographique… dys, dys, dys… Ma grand-mère que j’adorais est décédée brutalement. Ce fut un choc. Un drame pour l’enfant que j’étais. On m’a proposé de lui écrire un texte pour la cérémonie. Les mots comme par magie sont arrivés… et dans le bon ordre… comme enfin apprivoisés… Les mots puis la poésie sont venus combler un vide… je n’ai plus jamais arrêté… j’en ai fait ma vie…

Quel(s) genre(s) de textes écris-tu ?

Surtout aucune limite. La poésie, c’est faire de la musique avec les mots… je ne connais aucun musicien digne de ce nom qui se cantonnerait à la valse, par exemple… chansons, poèmes, théâtre, récit musical… chercher puis trouver la musique propre à chaque forme qui servira le fond au plus juste… c’est cela qui m’anime, me nourrit, me rend réellement vivant.

Ensuite, l’oralité revêt pour moi une grande importance. Cela tient à mon parcours auprès des poètes de mon île de la Réunion ou des griots d’Afrique de l’Ouest auprès de qui j’ai eu le privilège de vivre plusieurs années.

Où puises-tu ton inspiration ?

Je cherche… quoi ?… la petite lumière là-bas au bout du tunnel, tout au bout… Sur scène, avec mon groupe Kafé Zibraltar ou seul avec ma guitare… je sais l’importance qu’il y a à se réunir, danser, chanter, dire sa peine, sa joie, son espérance en un monde meilleur. C’est-à-dire moins apeuré. Et par voie de conséquence plus altruiste. J’ai trouvé dans le créole réunionnais la plus belle définition qu’il soit de ce que pourrait être la Powésie : c’est un fonnkèr. Sur cette « île-diversité » où j’ai grandi adolescent, le mot « fonnkèr » désigne toute forme d’expression orale, qu’il s’agisse d’une chanson, d’un poème, d’un conte, d’une histoire à dormir debout ou bien à coucher dehors… sans indication de forme, le mot porte son attention sur le fond de la démarche de celle ou celui qui vient livrer à l’assemblée réunie, littéralement le « fond de son cœur »… pour cela… bien plus qu’écrire, le poète doit apprendre à écouter… le vent, les regards qui se croisent, les mains qui s’effleurent… le silence est un foutu bavard…

As-tu la sensation d’être seul lorsque tu écris ?

Non, jamais. Ou alors… une solitude… pleine… de présences… c’est une sensation magnifique…

Est-ce que pour toi les mots peuvent soigner ?

Oui, c’est une évidence. Ils m’ont soigné et plus encore sauvé… Mon ami et complice de toujours le poète Jean Rio a écrit : « Il faut cirer son âme et dire… je t’aime. Il est des mots qui sauvent la vie »… À celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu, je ne saurais trop conseiller l’ouvrage La nuit, j’écrirai des soleils de Boris Cyrulnik. Le psychiatre démontre ce que je peux observer à chaque résidence d’écriture que j’anime… demain, je suis en prison, après-demain en Ehpad, après après-demain dans un quartier prioritaire… si je n’en étais pas absolument persuadé… vraiment, je pourrais te lire, te dire pendant des heures comment la magie des mots opère et ce qu’ils ont produit chez les participant·e·s de mes résidences d’écriture…

Quels types d’ateliers d’écriture animes-tu ?

Je ne vais pas rentrer dans le technique ici, mais disons que je me sers de mon parcours, de mon expérience pour reconnecter à l’écriture… Le powète ne cherche pas à dompter la phrase… il l’apprivoise… patiemment, jusqu’au jour où elle accepte enfin, en confiance, de rejoindre sous sa plume la lumière du jour… En début de travail, je cite souvent cet aphorisme de René Char : « Les mots qui vont surgir savent des choses de nous que nous ignorons d’eux. » Leur faire confiance… C’est que je dis souvent à celles et ceux qui appréhendent cette rencontre… « Je ne sais pas écrire », je l’entends à chaque fois, c’est systématique. « Oui mais les mots eux savent… et savent ce qu’ils ont à dire… » Se laisser traverser par eux : je me délecte de transmettre cette expérience.

Peux-tu nous en dire plus sur les ateliers que tu proposes en lien avec les personnes meurtries ? Quel est leur objectif, quel est ton rôle pour l’atteindre et qu’est-il demandé aux participants ?

Je travaille auprès de toutes celles et tous ceux qui… cherchent, souvent sans le savoir, cette lumière au bout du tunnel justement… Auprès d’enfants violentés en début d’année, auprès de jeunes en perte de sens au moment d’entrer dans la vie adulte, auprès de prisonniers ou encore le week-end dernier lors d’un stage ouvert au « tout public ». Il s’agit avant tout de remettre en route la fonction du « rêve » trop souvent éteinte. La capacité de tout un chacun à « rêver » est quelque chose que je prends très au sérieux… je veux dire que tout part de là… je rêve donc je suis… ou du moins, je deviendrai… ce que j’ai rêvé. À chacun la responsabilité de son rêve. Son rêve propre… gare à nous laisser imposer des rêves préfabriqués par d’autres… voilà le fond de ma démarche. Tout cela bien sûr prend forme à partir des mes années d’expérience d’animateur de groupe, de formateur d’adultes, de poète et d’auteur-compositeur-interprète.

Est-ce que ces ateliers ont aidé des personnes ? Peux-tu nous donner un exemple qui t’a marqué ?

Il y en a tellement : une collégienne en phobie scolaire a décidé de reprendre une formation professionnelle à l’issue d’un atelier, un autre qui ne sortait plus de chez lui a décidé de monter un groupe de musique, il s’est autorisé à retisser du lien, une autre encore a appelé sa mère après des années de silence… la poésie, c’est faire parler le ventre et rebrancher le cœur… le fonnkèr… aucune énergie sur terre n’est plus puissante que celle-là. J’enfonce des portes ouvertes là, je sais… et pourtant… combien sommes-nous à tourner en rond dans la cage de nos cerveaux surstimulés, saturés… et je m’inclus bien sûr à bien des égards ! Seulement, comme disent les chamans, j’ai appris à « stopper le monde »…

Tu proposes aussi avec Océane Allessi-Ravasini, praticienne en chamanisme, des ateliers d’écriture chamanique. Qu’est-ce que c’est ?

Oui en effet, Océane a été une rencontre déterminante. Une personne sincère et réellement compétente… je veux dire qu’elle a travaillé dur sa vie durant pour accéder à une telle connaissance. De plus, elle n’est pas du tout dans la « posture », mais au contraire dans la pleine intégrité de la sagesse chamanique. Elle m’a initié, transmis ses connaissances pendant plusieurs années. Un jour, je l’ai appelée, j’avais cette envie forte de se faire se rencontrer ces deux voies d’accès à la connaissance… l’art et la spiritualité.

Pendant toutes ces années de cheminement personnel, j’ai été maintes fois frappé de découvrir à quel point chamanisme et poésie ont partie liée… là encore, l’accès à l’imaginaire, à la visualisation créatrice, au rêve, au symbolique, à la célébration du vivant… l’un ne va pas sans l’autre, c’est évident dans mon esprit, en tout cas. Nous avons donc imaginé un séminaire, unique, accessible à toutes et tous (c’était important pour nous !) où nous proposons, Océane et moi, aux participant·e·s d’aller à la rencontre de soi en empruntant l’écriture et en découvrant la cosmovision chamanique, tellement riche d’enseignements. Quand le processus créatif rencontre une spiritualité « ouverte » (et sans aucune prise d’aucun produit… CQFD), il se passe des choses merveilleuses… c’est les retours de nos explorateurs-trices en tout cas.

 

Est-ce que tout le monde peut s’adonner à la poésie, selon toi ?

L’accès au beau ! c’est une autorisation à se donner si nos cercles de socialisation ne nous l’ont pas donné ! c’est une nécessité… la beauté, la joie qu’elle procure, ce frisson qui nous parcourt… C’est un art du refus et du détournement. J’aime ce qui est moche, cassé, détruit, rouillé… car à ce moment-là, la beauté me met au défi… Je la trouve à l’instant où je trouve ce qui fait… harmonie. Les Navajos le savent… ils ont remplacé les panneaux de limitation de vitesse par cet écriteau : « Drive in beauty »… voilà la poésie… c’est ça, juste ça… témoigner de sa présence, partout, tout le temps. Et pour ce qui est du passage à l’écrit… garder à l’esprit cette phrase que l’on m’a transmise lorsque je vivais au Niger : « Si tu ne sais pas écrire bicyclette… écris vélo ! »

Peux-tu partager avec nous un  texte court que tu as écrit et que tu affectionnes particulièrement ?

Tiens pourquoi pas… Extrait de mon spectacle Furcy, le Risque de la Liberté, qui pose la question du refus de la servitude, sous quelque forme que ce soit, le combat pour son indépendance de pensée et d’agir. Je crois que c’est en résonance avec votre revue Nexus. Belle lecture…

Suivez votre chemin.
Le seul qui vous ressemble vraiment
Transmettez votre part d’espérance,
Votre part de survivance
Votre part… d’insouciance…
Hâtez-vous de prendre votre temps
A presser le pas vous risqueriez seulement que l’air brassé l’éteigne
Cette petite flamme… qui brille en vous
Partout des frères et sœurs tiennent dans leurs mains des cierges éteins
Par le défaitisme, par le désespoir
Et qui n’attendent qu’une étincelle pour éclairer à nouveau la nuit…
Essaimez la lumière…
Le monde en a tant besoin
Faites de vos rêves les plus fous votre réalité de demain
Je vous souhaite d’être vous
Quelqu’en soit le prix
Parce que… vous le méritez
Allez
C’est à nous maintenant
d’éclairer le monde… de nos rêves d’enfant.

Aurais-tu un exercice à recommander à nos lecteurs pour qu’ils puissent se libérer par les mots ?

Je ne sais pas… Je réfléchis… Ce que je disais tout à l’heure : écouter, entendre… Sortir de chez soi, emprunter le même chemin, la même ligne de métro que tous les jours, mais cette fois, faire « comme si »… Comme si c’était la première fois. Et pour citer Rimbaud, « voir autre chose que ce qu’il paraît […] je voyais très franchement une mosquée à la place d’une usine »…

Et puis noter ses impressions… jamais, presque jamais, ses réflexions… Il faut laisser cela aux universitaires.

Quels sont tes projets en cours et à venir ?

De beaux projets m’animent… en premier lieu mon groupe de rock métis Kafé Zibraltar, une belle équipe de musicien·ne·s m’accompagne sur scène, nous allons sortir notre premier album, « ARCHIPEL », à l’automne, puis nous préparerons la tournée en 2025. Au gré des compositions, nous inventons une musique engagée, lumineuse, dansante en français et créole dans le texte… nous aimons faire rencontrer les rythmes et les musicalités du monde, ainsi riff cubain et gwerz breton dialoguent sur « Monde d’Après », afrobeat et blues électro sur « La Baroude », maloya et dancehall sur « Eden », jazz éthiopien et rock sur « Koulër lo Ker »… nos chansons sont des manifestes pour la diversité, l’enrichissement mutuel par la rencontre sincère de l’autre, l’altérité.

En parallèle, je suis en création de mon prochain spectacle dont la première est prévue en octobre à la salle de l’Hydrophone à Lorient lors du festival des Aventuriers de la mer. Le spectacle s’appelle NUIT NOIRE : il s’agit d’un récit-concert-dessiné librement inspiré de « La longue Route » écrit par le marin Bernard Moitessier qui entreprit en 1968/1969 la première course autour du monde sans assistance et sans escale et refusa finalement les honneurs d’un tour du monde victorieux en faisant demi-tour dans l’Atlantique car, je le cite, « la mer me dit des tas de choses que je commence seulement à comprendre et aussi peut-être pour sauver mon âme »… Une réflexion sur le refus de parvenir, la sobriété et la poursuite « des rêves créateurs ».

Je partirai ensuite à la Réunion pour jouer Furcy le risque de la liberté à l’occasion du 20 décembre, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage sur l’île. C’est un récit-concert-dessiné sur l’histoire vraie de Furcy, le premier homme esclave à avoir intenté un procès à son maître pour obtenir son affranchissement après 27 années de lutte.

Je continue également à me produire sur une forme plus intimiste, en formule guitare-voix, ou guitare-piano-voix, où je partage mes chansons issues de mon dernier recueil « Rue de la Soif » édité en 2022 chez Sémaphore Éditions – Maison de la Poésie de Quimperlé.

Où peut-on en savoir plus sur ce que tu proposes, prendre contact avec toi et suivre tes actualités ?

Mon site internet est en « maintenance ». Il faut que je relance ce chantier dès que possible…

Mon mail : titwann.powete@gmail.com

Fb : Kafezibraltar et titwann powete

Insta : Kafe Zibraltar

Ma chaîne YouTube

 

Propos recueillis par Estelle Brattesani

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