Au Koweït : l’enregistrement des données biométriques à marche forcée, avec sanctions bancaires
Officiellement pour des raisons de sécurité et de contrôle d’identité, le Koweït a mis en place une procédure d’enregistrement des empreintes digitales biométriques pour tous ses citoyens et les expatriés présents sur son sol. Tout retardataire s’expose à voir son compte bancaire gelé et sa carte d’identité suspendue. En d’autres termes, à être socialement désactivé.
◆ Un processus en plusieurs temps
Le gouvernement koweïtien a une façon très spéciale d’inciter les individus présents sur son sol à se conformer à certaines de ses décisions. S’il en est une avec laquelle il ne rigole visiblement pas, c’est la procédure d’enregistrement des empreintes digitales biométriques. Tous les Koweïtiens devaient s’y soumettre avant le 1er octobre dernier et tous les expatriés devront le faire avant le 31 décembre 2024. À défaut, les uns et les autres s’exposent à des sanctions bancaires et administratives.
Le système d’enregistrement biométrique a commencé à être mis en place au Koweït en mai 2023. Dans un premier temps, comme en témoigne un article d’Arab Times Kuwait de cette époque, il n’a concerné que les personnes arrivant dans le pays (citoyens et résidents de retour de voyage ou visiteurs étrangers). Puis il s’est étendu à toute la population adulte à partir du 1er mars 2024, avec une date butoir d’abord fixée au 1er juin, et finalement repoussée aux deux dates distinctes citées plus haut.
◆ Lutte contre la fraude et renforcement des contrôles d’identité
Biometric Update explique que « l’État a entrepris de recueillir des données biométriques pour s’attaquer aux problèmes liés à la double nationalité et renforcer les mesures de sécurité. En outre, cela permettra de détecter automatiquement les personnes utilisant des passeports frauduleux pour entrer dans le pays. »
D’après Gulf News, le gouvernement koweïtien aurait l’intention de collaborer avec d’autres pays, y compris Interpol et les pays du Conseil de coopération du Golfe (dont le Koweït fait partie avec l’Arabie saoudite, Oman, le Qatar, les Émirats arabes unis et Bahreïn), pour établir un réseau de sécurité solide.
◆ Augmentation des menaces envers les récalcitrants
Dès le mois de mars, des sanctions étaient prévues pour ceux qui manqueraient à cette obligation : « Le non-respect de cette mesure de sûreté entraînera des restrictions sur certains services ministériels, y compris le renouvellement des permis de séjour et le renouvellement du permis de conduire », indiquait Biometric Update dans son article du 25 mars 2024.
Mais début septembre, encore 175 000 citoyens et 800 000 expatriés n’avaient toujours pas procédé à l’enregistrement de leurs empreintes digitales biométriques, toujours selon Biometric Update. La date limite fixée pour les citoyens approchant, le gouvernement a décidé de brandir des menaces supplémentaires pour accélérer le processus et inciter les retardataires (ou les récalcitrants) à s’y conformer.
◆ Les banques sommées de sanctionner leurs clients
« Ceux qui ne respectent pas les délais d’enregistrement biométrique seront suspendus des services publics. La Banque centrale du pays prévoit également de mettre en place des restrictions échelonnées sur les comptes bancaires des personnes qui ne se conforment pas aux prescriptions en matière d’enregistrement des données biométriques », prévient Biometric Update.
La Banque centrale du Koweït a en effet « ordonné aux banques [du pays] de se conformer à la décision ministérielle », selon un article du Times Kuwait précisant les quatre étapes de restrictions prévues : d’abord l’envoi d’un message d’alerte à tous les clients non conformes avant le 30 septembre, suivi de l’arrêt de tous les canaux électroniques (accès à ses comptes en ligne et virements en ligne) à partir du 1er octobre, puis la désactivation des cartes bancaires et, pour finir, le gel intégral des comptes.
◆ Des restrictions bancaires très étendues
Selon ses sources, le Times Kuwait souligne également que « les restrictions bancaires ne seraient pas limitées aux seuls soldes bancaires. L’interdiction devrait s’étendre à tous les comptes détenus par les clients sur les marchés financiers, y compris les actions, les fonds, les portefeuilles et autres actifs gérés par des tiers, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. Cela signifie que tout fonds provenant de la vente d’actions, d’un bien immobilier ou d’autres opérations commerciales sera transféré sur des comptes gelés par la banque. »
En revanche, « les versements dus par les clients continueront d’être déduits pendant la période de restriction pour payer les créanciers, y compris les bailleurs de fonds et les prestations gouvernementales ».
◆ Des enquêtes administratives, en plus des sanctions
Le 30 septembre (date limite d’enregistrement pour les citoyens), Arab Times Kuwait indiquait que près de 60 000 Koweïtiens n’avaient toujours pas complété leur procédure d’enregistrement biométrique. Dès le 1er octobre, leurs canaux électroniques et systèmes de paiement en ligne ont été bloqués. Depuis le 15 octobre, les cartes bancaires de ceux qui ne s’étaient toujours pas conformés ont été désactivées, les obligeant à se rendre en agence pour retirer de l’argent. À partir du 1er novembre, leurs comptes seront complètement inaccessibles.
En plus des sanctions bancaires et administratives (notamment la suspension de leur carte d’identité), les retardataires risquent également d’être soumis à une « enquête » visant à déterminer les raisons pour lesquelles ils n’ont toujours pas effectué leur procédure, a par ailleurs déclaré le directeur du Département des preuves criminelles du ministère de l’Intérieur koweïtien, le général de division Eid Al-Awaihan, selon des propos rapportés par Arab Times.
◆ Des Koweïtiens préfèrent quitter le pays
De manière anecdotique, le Département général de sécurité a fait savoir début octobre qu’un citoyen koweïtien avait quitté de son plein gré l’aéroport international du Koweït, après avoir refusé d’achever sa procédure d’enregistrement biométrique désormais obligatoire pour entrer dans le pays. Sont-ils nombreux à avoir fait le choix de quitter leur pays plutôt que de se conformer la nouvelle mesure ? Nous n’avons pas trouvé les informations.
◆ Un avant-goût de ce qui nous attend ?
Même si le Koweït peut nous sembler loin, ce qu’il s’y passe devrait nous interpeller sur la façon dont l’enregistrement de nos données biométriques (ou toute autre mesure gouvernementale) pourrait nous être imposé dans un avenir plus ou moins proche, en utilisant nos comptes bancaires comme moyen de pression, dans un univers numérique où le cash est en train de disparaître et où tout est contrôlé à partir des banques centrales. Un homme averti en vaut deux, dit-on. Sans doute est-il encore temps de réagir.
Article par Alexandra Joutel
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