Sortie du film « Témoins » : les expériences de mort imminente face à la science
Quatorze ans après Faux départ, la réalisatrice Sonia Barkallah revient avec un second film sur les expériences de mort imminente. Riche en témoignages inédits, ce nouveau documentaire confronte des cas parfois très troublants à l’avis de plusieurs scientifiques, spécialistes du cerveau ou de la conscience. En salle depuis le 6 novembre.
◆ Une enquête à partir de cas intrigants
Témoins n’est pas un second Faux départ. Si le premier film de Sonia Barkallah, sorti en 2010, avait pour objectif de faire un tableau d’ensemble de ce que sont les expériences de mort imminente, à partir de nombreux témoignages de personnes en ayant vécu, le second prend plutôt l’allure d’une enquête. Il s’agit, pour la réalisatrice, de collecter des cas parmi les plus intrigants et d’aller les soumettre à l’avis de différents scientifiques ou chercheurs s’intéressant à la conscience.
Pour les non-initiés, une expérience de mort imminente (EMI) peut se définir comme un ensemble de visions et de sensations exceptionnelles vécues, la plupart du temps, par des individus en état de mort clinique (arrêt cardiorespiratoire), de coma ou en danger de mort (que celui-ci soit réel ou ressenti).
La question qui obsède Sonia Barkallah est la suivante : les expériences de mort imminente sont-elles des hallucinations ou, selon ses propres termes, des « accès à une réalité plus vaste » ?
◆ L’expérience immersive du docufiction
Tout commence évidemment par des témoignages. Car le phénomène des EMI, éminemment intime et subjectif, ne peut être étudié et évalué qu’à travers les récits qu’en font ceux qui l’ont vécu et que l’on appelle les « expérienceurs » (bien que ce terme puisse être attribué à toute personne vivant des expériences autres sortant du champ de l’ordinaire).
Pour ce deuxième opus, la réalisatrice a décidé d’aller un cran plus loin que dans le précédent en optant pour la forme du docufiction. Grâce aux images, aux sons et aux scènes reconstituées, le spectateur est plongé au plus près des expériences vécues par les témoins et a ainsi la possibilité de s’en faire une idée plus concrète, même s’il faudrait sans doute encore d’autres moyens techniques pour y parvenir totalement (peut-être à l’aide d’un casque de réalité virtuelle accompagné de stimuli multisensoriels ? Et encore manquerait-il le phénomène de télépathie et la dimension transcendante de l’expérience…).
◆ Une ouverture aux avis sceptiques
Certains témoignages sont bouleversants et constituent l’un des aspects forts de ce film. L’autre intérêt est l’enquête menée en parallèle par Sonia Barkallah. Plutôt que de donner la parole, comme dans Faux départ, à des experts convaincus que les EMI sont une quasi-preuve de l’existence d’une autre réalité ou de la survivance de la conscience au-delà de la mort, la réalisatrice a cette fois ouvert le dialogue avec ceux qui font partie du camp des sceptiques.
Parmi eux, le célèbre neurologue et neuroscientifique belge spécialiste de la conscience Steven Laureys et l’une de ses collaboratrices spécialiste des EMI, la neuropsychologue Charlotte Martial ; mais aussi les parapsychologues britanniques Suzanne Blackmore et Christopher French, tous deux membres actifs des mouvements sceptiques contemporains.
◆ La question de la preuve scientifique
Tous trouvent des explications rationnelles (parfois convaincantes, parfois franchement tirées par les cheveux) aux expériences de détachement corporel ou de perceptions extrasensorielles rapportées par les témoins du film. Et ce malgré les témoignages de proches ou de soignants qui confirment la véracité de ce que les expérienceurs ont pu voir ou entendre dans une autre pièce que celle où ils se trouvaient au moment de leur EMI. Seul un cas, le dernier du film, laisse la neuropsychologue Charlotte Martial sans explication.
Est-ce suffisant pour dire que ces expériences ne sont pas des hallucinations ? Bien sûr que non. Sonia Barkallah, elle, est convaincue qu’elles n’en sont pas, mais les témoignages n’étant pas suffisants, comment en apporter la preuve scientifique ?
La réalisatrice Sonia Barkallah sur le tournage
◆ L’échec de l’expérimentation Aware
Une seule expérimentation a été menée jusqu’à présent pour vérifier que les expérienceurs sortent bien de leur corps et sont capables de voir des choses qu’ils ne pourraient voir autrement : le projet Aware. Pour résumer, son dispositif consistait à placer des images cibles en hauteur dans les salles de réanimation de plusieurs hôpitaux, de telle manière qu’elles ne pouvaient être vues que par des personnes en sortie de corps, « flottant » au plafond de la salle. Dans une seconde version du projet, les images étaient diffusées aléatoirement par un ordinateur.
Les résultats n’ont rien donné, en premier lieu parce que peu de patients survécurent à leur arrêt cardiorespiratoire. Parmi eux, rares sont ceux qui ont pu (pour des raisons de santé) ou qui ont accepté de participer à l’étude. Encore plus rares sont ceux qui ont vécu une expérience correspondant à la définition d’une EMI. Et dans ce minuscule échantillon, aucune personne n’a perçu l’image cible.
◆ Un projet de dispositif inédit
Pour Sonia Barkallah, le fiasco de cette expérimentation provient du choix de la cible. Ce qui frappe en effet, quand on écoute les récits des expérienceurs, c’est que leur préoccupation, une fois hors de leur corps, n’est pas de percevoir s’il y a une image de banane ou d’éléphant qui traîne quelque part dans la pièce où ils se trouvent. Non, ce qui attire indubitablement leur attention, ce sont leurs proches. Ils veulent leur parler, les rassurer, leur dire que tout va bien. C’est vers eux qu’en esprit ils se transportent. Et ils sont capables de décrire exactement ce qu’ils font dans le couloir ou dans la salle d’attente, alors que leur corps est inerte.
La cible doit donc être affective. Partant de ce constat, la réalisatrice se met à imaginer un dispositif qui permettrait de valider objectivement l’expérience vécue par ces personnes, en plaçant notamment des caméras dans les salles d’attente des hôpitaux pour filmer les proches et vérifier par l’image que la description faite par les expérienceurs correspond à la réalité. Les chercheurs se disent intéressés. Le projet a été baptisé Rosetta et une association, Qualia Science, a été créée pour réunir les fonds nécessaires. Un seul cas avéré suffirait à remettre en question l’hypothèse selon laquelle le vécu des expérienceurs est juste une hallucination. Wait and see…
Article par Alexandra Joutel
(Image extraite de la bande annonce du film, à découvrir ci-dessous)
⇒ Lire l’article sur les expériences de mort imminente (ou near death experiences, en anglais) « NDE : sortir du dogme neurochimique » paru dans le numéro 101 du magazine Nexus (nov.-déc. 2015), à commander en format papier ou numérique dans notre boutique en ligne :
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