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De la musique à la restauration : Batlik, un artiste éconduit qui a changé de vie

C’est à Paris que nous avons rencontré Stéphane Caruelle, appelé Batlik lorsqu’il faisait de la scène. S’il n’éprouve aucune rancœur envers la musique, elle ne manque pas à celui qui fut auteur-compositeur, interprète et producteur indépendant. Aujourd’hui, ce n’est plus dans une salle de spectacle que ses fans et les autres peuvent le rencontrer, mais à l’Orso, le restaurant qu’il vient d’ouvrir à Paris 20e aux côtés de Jeanne Cottet.

◆ Rendre son tablier musical pour un autre

Il ne faut pas se mentir : pour notre journaliste, c’est un moment particulier que de rencontrer, le 5 novembre 2024, celui dont elle apprécie la voix, les mélodies et la poésie. Après 13 albums indépendants et 20 ans de fidélité, Stéphane Caruelle, ou Batlik, a décidé de se détourner de celle qui l’a en quelque sorte éconduit selon lui : la musique. Alors qu’une de ses dernières guitares est en vente sur leboncoin, c’est avec un tablier noir, un petit carnet et un stylo qu’il prend la commande de notre journaliste, sur fond agréable de jazz des années 50.

Après un article sur la vaccination animale à la une du dernier numéro 155 de Nexus qu’elle vient d’ingurgiter, c’est vers les plats non carnés suggérés sur la carte qu’elle se tourne ce jour-là. « Nous proposons toujours un choix de plats végétariens dans notre menu », lui explique Jeanne Cottet, l’associée de Stéphane. Elle ajoute que sont privilégiés les produits de saison et français, et que certains fruits et aromates utilisés proviennent de leurs jardins respectifs et attenants à Aubervilliers. Eh oui, Stéphane et Jeanne sont voisins et c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés et ont commencé cette aventure nourricière commune.

Pendant que Jeanne s’affaire dans la cuisine ouverte, visible depuis la salle de restauration, Stéphane, de son côté, s’occupe des clients. Bien que le premier contact avec lui puisse sembler un peu distant, on ressent rapidement qu’il s’intéresse réellement à eux. Ce jour-là, la conversation porte notamment sur la musique, avec l’une de ses clientes, ingénieure du son, qui semble ravie de son repas (à l’instar de notre journaliste) et réserve une table pour un dîner deux semaines plus tard afin de faire découvrir ce lieu à des amis.

Quelques instants plus tard, alors que les derniers clients sont partis, notre journaliste est invitée à partager en présence du vigneron producteur Valentin Morel, fan de l’artiste, la dégustation d’un vin blanc biologique et sans intrant. Cuvée spéciale 2021, il porte le nom de l’un des albums de Batlik, L’Art de la défaite. Un art que Batlik semble pratiquer de manière très naturelle. En effet, malgré son grand talent, on ne peut pas dire qu’il excelle dans celui de se mettre en valeur, quand on le questionne au sujet de sa carrière musicale ou de lui-même.

◆ Un musicien éconduit par sa belle

Pourtant, « certaines personnes viennent au restaurant pour pouvoir rencontrer l’artiste et semblent intimidées », confie Jeanne. Elle a beau annoncer à la cantonade à la clientèle présente que Batlik y fera un petit concert pour les un an du restaurant en octobre 2025, on se demande s’il faut prendre ses mots ou non à la rigolade. Car Stéphane n’a pas du tout l’air d’avoir envie de reprendre la musique, même pour son plaisir. « On vient d’ouvrir le restaurant il y a un peu plus d’un mois, je n’ai ni l’envie ni le temps d’en faire. Ma fille est beaucoup plus fière d’avoir un papa qui gère un restaurant qu’un papa qui va sur scène. »

Stéphane poursuit : « Je ne peux même pas dire que je me suis senti rejeté par la musique, car être rejeté implique que l’on a été un jour accepté. Or, j’ai vraiment le sentiment que la musique a été comme une femme que j’ai courtisée pendant vingt ans et qui n’a jamais voulu de moi. Frustré, essoufflé, j’ai fini par me lasser d’être dans la demande et par me détourner d’elle. Quand au bout de vingt ans, vous avez 15 000 personnes seulement qui vous suivent sur Deezer, que vous avez réussi à survivre surtout à coups de subventions et que le public que vous avez ne vous suffit pas à remplir les salles, vous vous dites que c’est le moment d’arrêter les frais. Et puis je n’ai pas beaucoup travaillé pendant vingt ans : les musiciens avec qui j’ai joué oui, eux, bossaient beaucoup. Je ne regrette rien, mais j’en ai eu marre. Là, j’ai l’impression de travailler vraiment pour la première fois de ma vie après des années de “vacances.”. »

◆ De la gauche à l’apolitisme

S’il avait fait d’autres choix, la carrière aurait pu être tout autre : « J’avais ma structure de production. Au début, ça n’était pas un choix parce que les producteurs ne voulaient pas de moi. Puis après un concert au Printemps de Bourges, j’ai eu des propositions par de grosses sociétés comme Warner ou Sony. À cette époque-là, j’étais ouvertement de gauche et je les ai refusées. Ça aurait été malvenu de travailler pour les gros capitalistes. »

« Tous les artistes de gauche m’ont vacciné contre les idées de gauche. Il y a une trop grande différence entre ce qu’ils prêchent et ce qu’ils font. Quand vous voyez par exemple des artistes très engagés qui vont dire qu’ils sont indépendants, qu’ils montent un label qu’ils mettent sur le devant de la scène mais que, derrière, dans l’ombre, y’a Universal, on comprend que c’est une posture, une mise en scène, une mascarade. Mais je les comprends parce que même si moi j’ai refusé de signer avec les gros, moi aussi, à d’autres niveaux, je n’ai pas fait ce que je prônais. Pendant longtemps, j’ai confondu discours politique et poésie, mais encore une fois, je ne regrette pas ce choix. J’ai rencontré des gens formidables, aussi imparfaits que je le suis. Aujourd’hui, je ne suis pas de droite pour autant. J’ai simplement préféré m’extraire de tout ce qui est politique. »

◆ De la sensibilité intransigeante

Batlik est particulièrement ému lorsqu’on en vient à parler de son chien Raoul. « Très tôt j’ai pris un chien qui me suivait partout, c’était un genre de meilleur ami. Il est mort il y a presque deux ans. Je me suis même demandé si je n’ai pas fait de la musique juste pour l’accompagner. La dernière chanson, Brindille, de mon dernier album, Numéro 13, lui est dédiée. »

Quand il parle de lui-même, l’énergie de Batlik change, et le ton qu’il utilise ne peut que nous faire tendrement sourire, voire rire : « J’ai mauvais caractère, je ne suis pas aimable, je peux être méprisant et très obséquieux. À vrai dire, je ne suis pas la personne avec qui j’aime le plus passer du temps. Plus je me connais, moins je m’apprécie. J’ai pas le temps de déterminer pourquoi et même si je savais pourquoi, je ne sais pas si je pourrais régler le problème. Ce n’est pas parce qu’on sait d’où vient le problème qu’on peut forcément le résoudre. »

Quand on lui demande ce qui l’émerveille le plus, Batlik nous répond : « Le vin de Valentin Morel, la cuisine de Jeanne Cottet, et les gens individuellement, pas pris en groupe. » Et ce qui le désole le plus ? La réponse est la même, ou presque : « Les gens. Ils m’émerveillent autant qu’ils me répugnent et je m’inclus dedans. »

⇒ Pour réserver au restaurant Orso, 3 rue Pierre-Bayle, 75020 Paris : appeler au 06 13 03 68 76.

⇒ Pour découvrir le passé musical de Batlik : son site / sa chaîne YouTube

Article par Estelle Brattesani

(Portrait principal par TOINE)

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