Ligne à très haute tension dans les Landes : quand les citoyens tracent une ligne rouge
Depuis 2021, dans les Landes et au Pays basque, une mobilisation citoyenne s’organise pour s’opposer au projet de ligne à très haute tension (THT) « Golfe de Gascogne ». Ce combat, né dans la foulée de la lutte contre l’autoroute A69, incarne un refus collectif des « Grands Projets inutiles et imposés ». À l’heure où les autorités envisagent d’évacuer les militants, retour sur une résistance inspirée par les succès récents des mouvements écologistes.
◆ Une ligne à 3,2 milliards d’euros
Le projet « Golfe de Gascogne », porté par la société Inelfe (partenariat entre RTE, côté français, et REE, côté espagnol), consiste en une interconnexion électrique entre les deux pays. Longue de 420 km offshore le long du littoral, dont une boucle souterraine de 30 km pour contourner le gouffre sous-marin de Capbreton, cette ligne à très haute tension est financée par l’Union européenne à hauteur de 3,2 milliards d’euros ; un record pour un projet énergétique. Les travaux ont débuté en novembre 2023 pour entamer le passage de cette ligne de 400 000 volts sur le littoral landais, sa zone urbaine et dans la fameuse forêt littorale ratiboisée au passage. Soit l’équivalent de deux réacteurs nucléaires passés en force au nom du sacro-saint dogme de la transition et de la sobriété.
◆ Un projet qui cristallise les tensions
Les promoteurs du projet le présentent comme un outil de transition énergétique, visant à faciliter l’échange d’électricité, notamment d’énergies renouvelables. Mais les opposants y voient une opération purement économique. « L’électricité exportée sera majoritairement d’origine nucléaire, produite en France, pour alimenter les opérateurs espagnols qui en tireront des bénéfices en la revendant plus cher. Comme le démontre une étude de la CADE, les États français et espagnol ont déjà une capacité électrique “excédentaire”. L’interconnexion actuelle reste “largement suffisante et récemment accrue”. Les compagnies électriques privées espagnoles achètent de l’électricité d’origine nucléaire à la France, le prix étant bien plus bas qu’en Espagne. En achetant de l’électricité (82 % du temps) et en la revendant plus cher en Espagne, les opérateurs espagnols font une marge importante aux dépens du consommateur. C’est de la pure spéculation », explique Marie Darzacq, porte-parole de Landes Aquitaine Environnement (LAE).
L’impact local est également pointé du doigt : destruction de forêts, fragmentation des habitats naturels et champs électromagnétiques inquiétants pour la santé des riverains. « Ce projet sacrifie nos territoires au nom d’une vision dépassée de l’énergie. La mise en danger de nos enfants, de la biodiversité, des mammifères marins, et la destruction de nos forêts sont cautionnées par nos maires et par Madame la préfète. C’est inacceptable », ajoute-t-elle.
◆ L’arrivée des écureuils activistes dans les arbres
Si, dès le départ, des citoyens ont formé le collectif Stop THT 40, le combat actuel contre la ligne THT des Landes trouve ses racines dans celui contre l’autoroute A 69 entre Castres et Toulouse. Là-bas, militants, riverains et associations avaient uni leurs forces pour protéger les écosystèmes menacés. La création d’une zone à défendre (ZAD) et une mobilisation nationale ont abouti à un premier succès : en novembre 2024, le rapporteur public a demandé l’annulation de l’autorisation environnementale du projet.
Ce précédent galvanise des opposants à la ligne THT fraîchement arrivés et ayant pour certains déjà œuvré auprès de Thomas Brail, le fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), qui a joué un rôle clé dans la lutte contre l’A69. Leur réponse aux écocides qu’ils ne cessent de contester de lutte en lutte consiste à occuper des arbres tels des écureuils, en menant des grèves de la faim. Désormais impliqué dans la mobilisation landaise, ce mouvement de désobéissance civile, non affilié au GNSA bien que proche de lui, incarne la ténacité de ces citoyens prêts à tout pour défendre leurs territoires. Tel que l’affirme un écureuil, « il y avait besoin de soutien pour donner de la visibilité à une lutte, on a donc choisi de venir soutenir ce collectif et les habitants ».
◆ Des militants enracinés dans le territoire
Arrivé en catimini, le 26 décembre 2024, ce groupe d’activistes suspend ses hamacs dans des arbres sur la place de la mairie de Capbreton, comme un symbole de leur refus du tracé prévu. Ces actions s’accompagnent d’une sensibilisation locale : réunions publiques, pétitions et mobilisation des associations comme Stop THT 40, Extinction Rebellion ou les Soulèvements de la Terre.
Pour les riverains, l’enjeu est aussi sanitaire. « Tel qu’ont été contraints de l’affirmer les promoteurs du projet : les champs électromagnétiques générés par ces lignes peuvent avoir des effets graves sur les personnes électro-sensibles ou portant des stimulateurs cardiaques. Donc ces personnes-là ne pourront plus emprunter les pistes par lesquelles passera la ligne : pistes cyclables, chemin de forêt. Sachant aussi que la ligne passe aussi le long des habitations, et part depuis un tunnel dans la dune qui a déjà commencé à s’effondrer. Suite à des études épidémiologiques démontrant des associations statistiques entre l’exposition aux champs magnétiques et certaines pathologies (leucémie chez l’enfant, maladie d’Alzheimer…), l’Anses et la directive recommandent en effet depuis 2010, par précaution, de ne plus installer ou aménager de bâtiments sensibles à moins de 100 m des lignes de transport d’électricité à THT. La directive Batho de 2013, du nom de la ministre de l’Écologie et de l’Énergie Delphine Batho, recommande que les maires refusent l’autorisation d’implantation de nouveaux établissements sensibles (hôpitaux, crèches, écoles, etc.) dans les zones exposées à un champ magnétique élevé. Sous prétexte que le projet a été reconnu d’utilité publique, le principe de prévention des risques n’existerait plus ? Clairement, ce cauchemar relève d’une omission de combattre un sinistre ! », souligne un membre de Stop THT 40.
◆ Au-delà des Landes, une question de modèle énergétique
Le projet THT soulève aussi des interrogations plus larges sur le modèle énergétique européen. Historiquement, l’Europe a misé sur le nucléaire, encouragé par le traité Euratom de 1957. Mais ce modèle semble aujourd’hui en décalage avec les ambitions de transition écologique, à l’heure où les énergies renouvelables montent en puissance.
Les opposants dénoncent également l’opacité et la centralisation des décisions. Ils rappellent que les interconnexions comme celle-ci ne profitent qu’aux grandes entreprises énergétiques, au détriment des territoires et des citoyens. Et craignent une mainmise des lobbies sur cette autoroute nucléaire, puisque le projet X Link, qui prévoit prochainement de relier le Maroc à l’Angleterre, devrait en toute logique emprunter cette autoroute nucléaire.
◆ Une bataille loin d’être terminée
Malgré les mobilisations mises en place depuis trois ans et 94 % d’opposition de la population, la commission d’enquête a émis un avis favorable à la déclaration d’utilité publique, tout en demandant à RTE de « réduire l’impact psychologique » du projet sur les habitants. Pour les opposants, cette recommandation est dérisoire face aux enjeux réels. Ils se désolent aussi des promesses non tenues ; puisque certains d’entre eux ont tenté une coalition avec les acteurs de la politique locale que sont les maires. En 2021, lors de réunions Zoom, le maire d’Hossegor, Christophe Vignaud a rencontré un géobiologue de terrain salarié par la chambre d’agriculture de Haute-Loire lui indiquant la nécessité de demander une étude préalable des risques sur quatre saisons ; ainsi que maître Lafforgue du cabinet TTLA, qui a depuis fait dédommager par RTE de près d’un demi-million d’euros un agriculteur dont le bétail a été rendu largement malade par une ligne THT.
Depuis le collectif Stop THT 40 s’est structuré en association Landes Aquitaine Environnement pour entamer une bataille juridique qui n’empêche pour le moment pas les travaux de se dérouler. L’autorisation du projet devrait être révisée en 2025 au tribunal administratif d’appel de Bordeaux, sachant que dans cette attente la seule et unique autorisation de RTE est un arrêté inter-préfectoral nommé « Autorisation de destruction des espèces et des habitats d’espèces protégées ». Une autorisation sinistre, d’autant plus qu’elle n’aurait jamais dû être octroyée, puisqu’elle ne peut l’être qu’à la seule et unique condition qu’il n’existe pas de tracé alternatif. Or, les citoyens le martèlent : il existe un tracé alternatif le long de l’A 63, sur les parcelles de RTE.
◆ Appel à résistance
Venus en renfort, les écureuils ne baissent pas les bras. Après la mairie, le dimanche 5 janvier 2025, une annonce est lancée pour rejoindre le mouvement plus loin dans la forêt d’Hossegor sur le tracé de la ligne. C’est là que les habitants, suivis par les forces de l’ordre ébahies, sont invités à rejoindre la dissidence. Une plate-forme rejoignant quatre pins majestueux est montée à 5 mètres de hauteur. Les écureuils, toujours plus déterminés, y sont réapparus. En guise de banderole, le message est clair : « Vivants aujourd’hui, droit de l’être demain ».
Aidés par les citoyens affiliés ou non à des collectifs, la résistance s’organise. Et puisque la météo ne s’annonce pas clémente pour la semaine à venir, ils sont régulièrement ravitaillés en nourriture comme en matériel. À la guerre comme à la guerre, le mot d’ordre est lancé. Les réseaux s’enflamment et invitent à « rejoindre l’occupation Extinction Rebellion dans les bois juste au niveau du tracé THT ». Le but étant encore et toujours de soutenir la résistance dans l’attente du retour concernant la demande d’un moratoire adressé au Premier ministre, il y a déjà deux semaines.
◆ Ce qui est légal est-il légitime ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les autorités viennent d’annoncer à ces résistants de la dernière heure qu’elles interviendront pour les déloger dans la forêt d’ici peu. Le maire d’Hossegor aurait envoyé une lettre au Collectif Stop THT 40 et au GNSA, leur intimant de démonter les structures présentes dans un délai de 24 heures, faute de quoi il serait contraint de « faire appel au concours de la force publique ». Ironie du sort, les écureuils ne se revendiquent pas de ces organisations. Cela n’empêche pas la préfète des Landes, Françoise Tahéri, de soutenir sur les réseaux sociaux qu’au nom du droit de propriété, cette occupation illégale serait délogée une fois les mesures nécessaires prises. Elle ajoute que « sur le terrain où ils sont installés, il n’a jamais été question d’abattages d’arbres ». « Les éléments qui sont portés à la connaissance du public ne correspondent pas à la réalité », selon elle. Très drôle…
◆ Les Landais invités à édifier un village de cabanes au sol
Ainsi, ce mercredi 8 janvier, alors qu’un goûter était organisé pour réunir les familles auprès de la passerelle, un cordon de gendarmes, puis de policiers municipaux, accueillait la soixantaine de citoyens consternés. Questionnés avant leur arrivée, les écureuils indiquaient ne « pas avoir dans l’immédiat la volonté de lever le camp », tout en souhaitant plus de renfort et en invitant les Landais à « édifier un village de cabanes au sol ».
L’un d’eux précise : « Quand on sait d’où viennent ces conquêtes, et les succès qu’elles obtiennent, on voit que la détermination paye ». Et de citer les paroles de Gandhi à propos du changement social : « D’abord ils vous ignorent, puis se moquent de vous, ensuite ils vous combattent. Et finalement vous gagnez. » Début 2025, c’est donc en pleine forêt landaise que l’action civique devrait s’amplifier.
⇒ Le magazine Nexus continuera de vous tenir informés sur cette action, à laquelle un dossier sera consacré dans son prochain numéro de mars-avril 2025.
(Image principale par le Collectif Stop THT 40, autres images dans l’article par Ysabelle Gomez)
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