« L’école ou la vie ? », NEXUS n° 100 (sept.-oct. 2015).
École 2.0
Je suis un de vos fidèles et assidus lecteurs depuis 5 ans et chacun de vos numéros m’est précieux, il circule beaucoup autour de moi et je peux affirmer que vous êtes un de mes seuls outils d’information à ce jour. J’ai été interpellé par votre dernier numéro qui parle beaucoup d’éducation, car notre petit groupe « d’utopistes » a créé une école de la Transition dans le sud de la Gironde, à Captieux. Pour faire court, il s’agit d’une école basée sur trois notions : la Joie, la Paix et la Coopération qui se déclinent dans leur projet pédagogique inspiré de pédagogies alternatives et centrées sur l’enfant, qui est considéré comme un être unique et spécial. […] Après un an et demi de travail et de maturation, le rêve devient réalité !
En effet, le 1er septembre 2015, La Chrysalide a ouvert ses portes dans un cadre magnifique situé en pleine campagne. […] Nous avons décidé de faire de cette école un endroit accessible à tous ! Pour cela, nous avons décidé de financer l’école et son fonctionnement par le biais de la générosité de chacun ! […] 152 gentils donateurs nous soutiennent déjà… il nous en faut encore d’autres… Nous cherchons 1 000 citoyens qui s’engagent, a minima, à hauteur de 5 euros/mois pour l’année !
Et un grand merci pour votre énorme boulot au service de l’humanité !
Marc Milgram
http://ecolelachrysalide.org/
Faites confiance à vos enfants
Merci d’avoir écrit un si bel article sur la possibilité de s’épanouir en dehors de l’école. Je suis convaincue depuis toujours par le fait que l’école ne permet pas à tous les élèves de s’épanouir, bien au contraire. Comme disait notre cadette, « les profs ne voient que des élèves, pas les personnalités qui se cachent derrière. Ils ne cherchent pas à nous connaître et à savoir qui on est. » Comme elle avait raison ! […] J’aime bien savoir ce que deviennent des anciens élèves et je me suis rendu compte que des enfants brillants avaient été massacrés par ce système, parce qu’incompris par la machine infernale de ce système. J’ai souvent encouragé des amis ou des parents dont les enfants souffraient, voire devenaient dépressifs, à les changer d’école et à trouver d’autres voies. L’enseignement en dehors de l’école est une école de la vie, extraordinaire et enrichissante pour les enfants. J’ai rencontré, en faisant du bateau, un couple avec trois enfants qui parcouraient le monde sur un voilier et ce qu’ils vivaient tous ensemble les épanouissait bien plus qu’en allant à l’école tous les matins.
Chacun doit trouver le chemin qui lui correspond : cela devrait être l’école, mais si ce n’est pas le cas il y a d’autres possibilités, d’autres méthodes, une interruption d’une année, etc. […] J’ai conclu ma réunion de parents en début d’année en leur demandant de faire confiance à leurs enfants, de les aimer, mais surtout de les soutenir tout le temps, même si leur scolarité est chaotique et pas « conforme » à leurs attentes ou à celles du système scolaire. En effet, combien de personnes ont réussi leur vie après des scolarités « moyennes », ennuyeuses… et heureusement ! […].
Brigitte, institutrice
C’est décidé, j’arrête l’école !
Je viens d’envoyer cette lettre de démission au proviseur de mon lycée. « Monsieur le proviseur, voilà plusieurs années que je me dirige lentement, par le biais d’un perpétuel questionnement, vers le contenu de cette lettre, qui n’est autre que ma “démission”, que je vous adresse respectueusement, étant actuellement en classe de 1re […]. En aucun cas, cependant, je ne compte cesser toute activité […]. J’ouvre enfin les portes à mes projets, et à mon imagination qui déborde, retenue depuis trop longtemps, faute de temps et d’espace intellectuel. […]. De manière plus globale, j’entends construire ma culture générale, améliorer ou apprendre les langues de mon choix, en somme, multiplier mes connaissances, et ce par moi-même.
En allant à l’école, j’ai plutôt appris à détester certaines matières, à cause de méthodes et de professeurs fonctionnant sur le système de la peur, de l’intimidation, de la pression, du stress. Or, ces méthodes paralysent plus qu’elles ne mobilisent, font perdre confiance en soi, en les autres et en les adultes, détruisant ensuite tout enthousiasme d’apprendre, tout plaisir, et toute conscience de ce pourquoi nous sommes ici. […] Je fais partie de ceux et celles qui pensent que s’ils ont une mauvaise note, une mauvaise moyenne, ils rateront leur vie. Si je pense ainsi, je ne peux pas l’avoir imaginé par moi-même: on nous le fait sentir chaque jour, et on nous écrase sous les responsabilités […]. Je décide alors de ne plus me faire abîmer par les professeurs qui disent éduquer leurs élèves en les “tenant”, comme des animaux qu’il faut mater. Ainsi, à mon sens, et au sens de beaucoup d’autres, je me sauve, je me préserve, me protège, me délivre de ce mauvais rêve long de douze années, pour enfin ouvrir les yeux sur la vraie vie qui m’attend. J’espère vous rassurer en vous disant: chaque jour, je craignais de rater ma vie ; maintenant je sais que je vais la réussir […]. »
Lilou, 15 ans
Qui éduquera les enfants ?
J’ai lu avec grand intérêt le dossier paru dans le dernier NEXUS consacré à l’éducation sans école. Je ne suis pas entièrement d’accord avec ce qui est dit par les intervenants et certaines idées m’ont choquée, particulièrement dans l’interview de Léandre Bergeron. L’histoire de l’humanité prouve, malheureusement, que l’école ne peut être tenue pour responsable des guerres et des tueries. Il me semble même que l’instruction donne une plus grande faculté de juger les prises de décisions des gouvernants et d’y adhérer ou non. […] Je remarque, à la lecture de ces articles, que tous ceux qui théorisent sur ce sujet sont des hommes et cela me questionne… Si les enfants devaient être entièrement éduqués à la maison, qui s’en chargerait ? J’ai peur de retrouver les anciens réflexes qui désignent dans ce cas toujours les femmes. Il suffit de voir qui prend effectivement, en France, le congé parental. Cela me rend très méfiante. Je rêve d’une société qui permettrait aux hommes et aux femmes de travailler moins et de partager beaucoup de temps avec leurs enfants, une société moins cloisonnée qui permettrait à l’enfant d’être entouré de toute une constellation d’adultes avec des échanges riches, une école ouverte et non dogmatique. Pour l’instant, il faut peut-être essayer de faire avancer la société et l’école dans cette direction, pas à pas, et tant mieux pour ceux, hommes et femmes, qui ont les moyens et la formation suffisants pour garder leurs enfants auprès d’eux.
Françoise Lesburguère
Vous nous avez oubliés
Travaillant intensément à la déscolarisation de la société, nous pensons que vous auriez pu/dû nous contacter pour qu’on participe à votre numéro de septembre-octobre 2015. En effet, il manque à la fin de votre dossier « Réussir sa vie sans école », un article qui commencerait par ces mots : « Certains, en Savoie, vont même jusqu’à totalement prendre au mot Ivan Illich et font de la déscolarisation de la société une revendication quotidienne, etc. Mathilde et Sylvain animent le site Internet www.descolarisation.org… » Ainsi le dossier aurait pu donner l’ensemble du spectre des tendances sur ce sujet que vous avez choisi. Est-ce un choix délibéré de ne pas parler de la tendance la plus radicale et la plus « militante » de toutes ?
De plus, et cela est très important, vous avez cité notre blog en le liant à « l’instruction en famille », or, ce n’est point du tout notre revendication, au contraire, nous trouvons l’instruction en famille parfaitement inégalitaire. Notre revendication se situe sur les communs, les communaux: retrouver une école libre, égalitaire, communale, citoyenne, débarrassée de l’État, dans les espaces publics et communs, autogérée. Voilà notre revendication et ce sur quoi nous travaillons.
Merci néanmoins d’avoir présenté Jean-Pierre Lepri et quelques autres, et de vous être penchés sur cette question pour participer à la faire rentrer peu à peu dans les mœurs et dans les esprits.
Sylvain Rochex, Descolarisation.Org
Réponse de l’auteur
Merci d’avoir lu ce (long) dossier dans son ensemble, en particulier les entretiens avec Léandre Bergeron et Jean-Pierre Lepri qui, à nos yeux, soulèvent des questions politiques absolument critiques autour de l’histoire du xxe siècle. Bien sûr, les guerres et tueries, comme vous dites, ne sont pas une invention du siècle passé. En revanche, ce qui semble nouveau, c’est l’énormité des massacres, des millions de personnes mortes au cours des deux guerres mondiales. Dans leur réflexion, qui s’étend au-delà de ces deux entretiens, ces deux pères, voire grands-pères, s’interrogent aussi implicitement, tout comme Ivan Illich plus directement, sur l’industrialisation de nos vies au cours du siècle passé, et donc sur la situation du monde aujourd’hui. Or, en effet, et c’est choquant d’accord, ils pointent fermement le doigt sur l’éducation obligatoire et scolaire qui a appris aux élèves la docilité avec juste ce qu’il faut de savoir pour obéir convenablement aux missions et tâches usuelles.
Bien sûr, personne ne pourrait réduire l’éducation scolaire à cela ! Heureusement ! Mais quelle est finalement la toile de fond méta-politique sous-jacente, la résultante ? Oui, l’école peut être émancipatrice, même dans sa scolarité le plus étroite. Des enfants y trouvent des maîtres (y trouvaient ?), des personnes qui leur ouvrent l’esprit. Mais doit-on cela à l’Institution, ou davantage à ces personnes qui éveillent, comme parfois un ami de la famille, un oncle ou une tante peuvent l’être auprès d’enfants qui souffrent de l’atmosphère étriquée, au bas mot, qui règne dans leur entourage proche ? De même qu’un Krishnamurti lance ce cri de l’esprit et du coeur conjoints et demande : Pourquoi éduque-t-on ? De même qu’un Jacques Rancière raisonne bien autour du « Maître ignorant », pouvons-nous nous demander pourquoi les enseignants choisissent de devenir enseignants ? Peut-on poser sérieusement la question ?
Peuvent-ils se la poser en leur for intérieur ? Pourquoi ? Par ailleurs, peut-être, oui, que l’alphabétisation générale du monde est (était) nécessaire pour passer à une prochaine étape au cours de laquelle les enfants baigneront naturellement dans cette éducation du « lire, écrire, compter », etc.
Édouard Ballot