Des fuites nucléaires très discrètes en Europe
Une contamination à l’iode 131 s’est répandue en France et sur tout le continent européen, en janvier dernier. Peu relayé, cet incident questionne sur les organes de contrôle et la protection des populations. Il pose également la nécessité d’encadrer les organismes habilités, en Europe, à utiliser des produits nucléaires.
La contamination généralisée à l’iode 131 pendant le mois de janvier 2017 est passée quasiment inaperçue. Pourtant, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) donnait l’alerte le 13 février 2017. Ses mesures combinées à celles de ses homologues européens (cf le réseau européen d’experts Ring of Five), ont révélé des rejets présentant une concentration inhabituelle d’iode 131, dont l’origine reste encore inconnue.
Niveaux en Iode 131 (valeur +/- incertitude) sous forme aérosol dans l’air en janvier 2017 (µBq/m3). Source : IRSN
Un incident nucléaire en Norvège
Pour certains, il était évident que cette anomalie était en lien avec le rejet de gaz radioactifs provoqué par l’incident nucléaire survenu, en octobre 2016, dans un réacteur de recherche norvégien. Néanmoins, les autorités compétentes norvégiennes (Norwegian Radiation Protection Authority, NRPA) ont estimé que cette relation ne pouvait pas être établie car il s’agissait de trop faibles quantités de gaz. Et, toujours selon la NRPA, étant donné qu’aucune trace d’iode 131 n’aurait été détectée à la suite de l’incident, cela invaliderait toute relation de cause à effet avec l’épisode des contaminations européennes. Une conclusion qui lève de nombreuses questions sur les mesures des rejets réalisées par les différents organismes en Europe(1) et dans les pays voisins.
Aucun seuil des rejets en France
Nous avons interrogé l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) qui, en France, veille au respect des « critères de rejets », comme cela nous a été précisé lors de notre échange. Il nous a été répondu que « les autorisations de l’ASN ne sont pas des autorisations de rejet. Il n’y a donc pas de seuil de fixer ». Ainsi, les choses sont claires, il n’y a pas de surveillance nationale sur les quantités de rejets…
L’innocuité n’existe pas avec le nucléaire
« Après l’épisode récent de contamination à l’iode 131, on n’est pas dans des niveaux qui justifient des précautions sanitaires particulières, mais sur la question de l’impact sanitaire c’est très compliqué puisqu’en matière d’exposition à la radioactivité il n’y a pas de seuil d’innocuité », rappelle Bruno Chareyron, directeur de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Aucun doute possible, une dose radioactive même infime mais reçue de manière plus ou moins chronique aura un impact non négligeable sur la santé.
L’IODE 131 DANS LES CENTRALES ET LES EAUX USÉES
L’iode 131 utilisé dans le domaine médical, pour des diagnostics ou pour des thérapies, est retrouvé ensuite dans toutes les sécrétions des patients. Ce qui fait que l’on peut retrouver ces éléments radioactifs dans les stations d’épuration des eaux usées. Il est également présent dans les centrales nucléaires, les réacteurs de recherche, les centres d’études nucléaires, les instituts de production de radioéléments, etc. L’iode 131 est un radionucléide dont la période radioactive est courte (8,04 jours). La détection dans l’environnement de ce radionucléide à vie courte atteste donc d’un rejet relativement récent.
La dilution, prétexte à polluer
Les instances compétentes s’appuient sur le principe de dilution pour autoriser les rejets. Elles donnent ainsi un blanc-seing aux industriels pour rejeter des radioéléments dans l’atmosphère, dès lors qu’elles considèrent que grâce à la dilution, les gens seront exposés à des doses relativement faibles. Un principe pervers puisque l’on va exposer à des doses plus faibles une population bien plus grande.
Une surveillance non fiable
Plusieurs causes ont été évoquées pour expliquer l’épisode du mois du janvier en Europe : les rejets habituels de toutes les installations nucléaires en Europe et dans les pays voisins, combinés à des conditions météorologiques particulières.
Les autorités compétentes tendent à banaliser et à minimiser ces émissions radioactives, mais cela n’a rien de banal et d’inoffensif, et on est en droit de savoir comment sont fixées les autorisations de rejets, très contestables dans certains pays.
Plus inquiétant encore, les hauts niveaux de radioactivité dans l’environnement passent sous le radar des moyens de contrôle qui ne sont pas assez pointus pour les détecter.
Exemple : le 19 octobre 2016, la centrale de Golfech a rejeté de manière incontrôlée des gaz radioactifs, estimés à 136 milliards de becquerels (136 Gbq) par EDF, en quelques minutes. Le système de surveillance français n’a pas été en mesure de le détecter, c’est dire qu’il n’est pas suffisamment performant.
DES DIZAINES D’INCIDENTS NUCLÉAIRES EN FRANCE
Petit florilège des incidents liés aux installations nucléaires et médicales recensés par l’ASN :
• 12 avril 2017 : Anomalie affectant le système de surveillance de l’intégrité des combustibles lors de leurs manutentions. (Centrales Cattenom, Flamanville, Nogent-sur-Seine, Paluel, Penly)
• 22 novembre 2016 : L’ASN a été informée le 25 juillet 2016 d’un événement significatif relatif à la perte de 17 colis de déchets radioactifs solides et liquides contaminés à l’iode125 ou au tritium, dont quatre bidons de 10 litres contaminés à l’iode 125, entre les mois de juillet 2015 et d’avril 2016 du Laboratoire de Biochimie Hormonale (LHB) de l’Hôpital Saint-Louis (Paris Xe).
• 25 juillet 2016 : Rejet non autorisé d’effluents contaminés à l’Iode 131 dans le réseau public d’assainissement (Institut Gustave Roussy,Villejuif).
• 20 mai 2014 : Déversement non contrôlé d’effluents radioactifs dans le réseau public d’évacuation des eaux usées (Pessac).
• 25 février 2014 : Perte ou vol d’une source radioactive de faible activité. (Centre Hospitalier Lyon-Sud).
Des niveaux autorisés très élevés
La vigilance est donc de mise quand on voit qu’un certain nombre d’installations nucléaires en France et en Europe sont autorisées à rejeter des éléments radioactifs dont l’iode radioactif. D’autant plus que les limites annuelles de leurs rejets sont fixées à des niveaux vraiment contestables.
À titre d’exemple, l’Institut des isotopes (Izotop Intezet) de Budapest, à l’origine d’un important rejet d’iode 131, disposerait d’une autorisation de rejets annuels de 1 600 GBq, selon l’Autorité à l’Énergie Atomique Hongroise (HAEA) ! Il a été établi que cet institut était à l’origine des concentrations anormales d’iode 131 mesurées dans l’air ambiant en Europe, fin 2011. Les autorités ont indiqué qu’un rejet de 324 Gbq avait été enregistré entre septembre et mi-novembre 2011. Un taux très élevé quand on sait qu’un rejet annuel de 279 GBq(2) conduit à la « limite d’exposition du public de 1 millisievert par an (mSv/an) » et qu’« à partir de 10 mSv, on préconise une mise à l’abri des populations », précise l’IRSN (cf « Quelle est la dose de radioactivité dangereuse pour la santé ? »).
Pourtant, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) indique dans son communiqué du 17 nov. 2011 que « les niveaux d’iode 131 détectés sont extrêmement bas. Il n’y a pas de risque pour la santé de la population ». Ben voyons !
Cette série d’incidents survenus ces dernières années révèlent des dysfonctionnements à grande échelle : le manque de transparence, l’incohérence des analyses des données, les niveaux d’autorisations de rejet scandaleusement élevés, une maîtrise des rejets défaillante et le manque de protection des populations.
(1) La plupart des données sont centralisées et accessibles sur la plateforme Eurdep.
(2) Selon l’Institut national des radioéléments (IRE), indique le Criirad dans l’Affaire de la contamination de l’air ambiant par l’iode 131 en Europe (21 nov. 2011).