Distribution de la presse en France : un enjeu démocratique à défendre coûte que coûte
De nombreux journaux et magazines n’étaient pas distribués le 10 avril dernier, du fait d’une grève chez Presstalis, la principale messagerie de distribution en France dont Nexus dépend. En cause, la réforme indigne de la loi Bichet, présentée dans la matinée en Conseil des ministres par le ministre de la Culture, Franck Riester. Focus sur un […]
De nombreux journaux et magazines n’étaient pas distribués le 10 avril dernier, du fait d’une grève chez Presstalis, la principale messagerie de distribution en France dont Nexus dépend. En cause, la réforme indigne de la loi Bichet, présentée dans la matinée en Conseil des ministres par le ministre de la Culture, Franck Riester. Focus sur un nouveau scandale qui se profile.
Lors d’une présentation à la presse celui-ci, a précisé que ce projet de loi vise à « moderniser l’environnement législatif sans casser les fondamentaux qui font le succès du système de distribution de la presse ». Dans un communiqué, la CGT-SGLCE, le puissant syndicat dont sont adhérents une grande partie des salariés de Presstalis, a mis en avant l’absence de concertation avec les acteurs du métier et dénoncé « la mort programmée du système de distribution actuel : la pluralité des idées et l’égalité de traitement entre les titres seront directement menacées. » Le projet de loi de réforme devrait être discuté au Sénat le 22 ou 23 mai.
Un secteur plongé dans la crise permanente
Encadrée par la loi Bichet de 1947, la distribution de la presse se fait actuellement dans le cadre d’un système coopératif, censé́ assurer l’égalité et la solidarité entre les éditeurs, afin de garantir à la fois le pluralisme de la presse et un accès égal à celle-ci sur tout le territoire. Deux messageries se partagent le secteur de la distribution : Presstalis et Les Messageries de presse lyonnaise (MLP). Or, les graves difficultés financières de la principale messagerie, Presstalis (qui achemine tous les quotidiens, 350 millions d’exemplaires par an, et les trois quarts des magazines sur le territoire), une nouvelle fois sauvée in extremis de la faillite l’an dernier sur le dos des éditeurs avec à un prélèvement supplémentaire de 2,25 % imposé sur les ventes des journaux et un prêt de l’État de 90 millions d’euros (dont 25 millions restent à débloquer), a conduit le gouvernement à réformer la loi Bichet (lire à ce propos notre dossier dans Nexus n°116). De plus, avec l’avènement du numérique, les quotidiens impriment de moins en moins. Les camions qui viennent les chercher à la sortie des imprimeries (et qui viennent récupérer les invendus chez les marchands) roulent à moitié vide et sont donc coûteux pour une presse déjà aux abois.
L’ubérisation en marche de la distribution de la presse
Le gouvernement entend faire reposer son projet de loi sur 3 piliers. Premièrement le projet de loi du gouvernement précise qu’à partir de 2023, le capital des messageries, actuellement détenu par les éditeurs de presse regroupés en coopératives, pourra être ouvert à des sociétés spécialisées dans la distribution comme la Poste, Géodis voire Amazon. C’est l’un des principaux griefs de la CGT-SGLCE à ce projet de réforme qui déplore « l’ouverture à la concurrence » annonciatrice d’une « casse sociale ». Pour le syndicat, ces entreprises n’auraient sans doute pas trop de scrupules à restructurer les messageries, notamment en coupant dans les effectifs. Avec la réforme annoncée, il n’y aurait plus d’obligation pour les titres de passer par une coopérative existante, mais d’organiser de nouvelles messageries afin de réaliser des groupages. Là où la loi Bichet était protectrice pour les titres les moins riches, comme Nexus, ils se retrouveraient alors à la merci des plus gros. Le système de mutualisation s’achève pour se diriger vers une ubérisation de la presse française qui pose une question de fond démocratique sur la liberté d’information, la presse devenant une marchandise comme une autre.
Un appauvrissement démocratique !
Dans ce projet de loi, un volet concerne également les marchands de journaux. La réforme vise à leur donner un plus grand contrôle sur les types de publications qu’ils reçoivent afin de limiter les invendus. Ils ne seront donc plus tenus de proposer l’ensemble des titres de presse, comme la loi Bichet les y oblige actuellement, permettant ainsi aux lecteurs d’avoir un choix varié dans les titres et la circulation des idées. Seule la presse dite « d’information politique et générale » (IPG, environ 45 titres) conservera un « droit d’accès absolu au réseau de distribution ». Pour le reste, les marchands auront plus de souplesse dans la constitution de leur offre, même si leur liberté de choix sera contrainte par des négociations interprofessionnelles avec les éditeurs définissant les règles d’assortiment. «Nous voulons donner plus de marge de manœuvre aux marchands, qu’ils se sentent plus à l’aise. Cela contribuera à améliorer la facilité de gestion donc les résultats financiers des kiosques», prédit le ministre de la Culture. Une vision très optimiste des choses quand on sait la dégradation des conditions de vie et de travail des kiosquiers à mesure que la presse papier s’effondre (lire notre dossier dans Nexus 116). Pour la CGT, une pareille réforme « fait entrer la concurrence sauvage dans la distribution de la presse. Nombre de titres pourraient disparaître, faute de moyens pour bénéficier d’une distribution sur l’ensemble du territoire ; des disparitions qui auront des conséquences sociales importantes, tant dans les imprimeries que dans les sièges éditoriaux où ils sont élaborés, rédigés, corrigés, montés, fabriqués, imprimés et expédiés » , fait valoir le syndicat sur son site (1). Ce projet de loi ne va donc pas, c’est le moins que l’on puisse dire, dans le sens d’une plus grande liberté de la presse. Pourtant, la presse papier, même si beaucoup l’enterrent déjà, reste un outil indispensable dans la diffusion de l’information palpable et des idées. Demain un titre comme Nexus sera peut-être juste relayé au centre des plus grandes villes, pour les kiosques qui survivent encore à ce jour. Avec ce projet de réforme, ce n’est pas seulement la loi Bichet qui serait abrogée, mais aussi celle du 23 juillet 1881 consacrant la liberté de la Presse inspirée des droits de l’homme et du citoyen de 1789. On pourrait ici reprendre les mots de G. Orwell : « C’est toute la vie culturelle et intellectuelle de la communauté́ (journaux, livres, éducation, cinéma, radio…) qui sera contrôlée par les riches qui auront toutes les raisons d’empêcher la propagation de certaines idées. »
Retrouvez notre article complet sur Presstalis : https://www.nexus.fr/