Les larmes de colère de la nouvelle génération, par Boris Aubel
Un matin d’été, un père de famille, très engagé dans la protection de la biodiversité, se retrouve à la fois touché, surpris et désarçonné par la détresse de sa fille face à la mort d’un petit gerbille. Il partage avec nous à travers un billet d’humeur ses émotions, réactions, interrogations et aspirations en tant que papa, mais aussi en tant qu’être humain faisant partie de la communauté du Vivant à laquelle nous appartenons tous.
Cette nuit, le petit gerbille de Colline nous a quittés après trois jours de calvaire pour ce tout petit animal qu’elle avait récupéré d’une famille bien sympathique, mais qui avait un peu vite confondu animaux et loisirs, lâchant en pleine nature les petites bêtes fautes de s’en occuper correctement (plusieurs étaient décédées par manque d’eau et de nourriture, je vous passe les détails).
Ce départ fait suite à celui de deux poussins qu’elle avait déjà tenté de sauver, issus de deux oeufs abandonnés par leur maman poule à peine éclos. Le premier poussin rescapé n’a pas tenu et s’est affaibli après deux ou trois jours d’espoir. Quant au second, ce sont les chats qui ont eu raison de lui. Comme quoi, même dans l’enceinte domestique, les interrelations entre les êtres vivants se retrouvent.
Comme quoi, la nature n’est ni morale, ni amorale, elle est.
Le petit gerbille est parti à 5h ce matin. Je l’ai gardé contre moi toute la nuit, somnolant plus que dormant pour vérifier qu’il ne file pas dans le froid et pour ne pas l’écraser. J’ai senti ses dernières secousses, puis l’absence de ses respirations. Petit à petit, son petit corps que je cherchais à maintenir au chaud, s’est raidi. C’était bel et bien la fin.
Je suis allé réveiller Colline pour lui annoncer la nouvelle et l’inviter à dormir avec nous. Elle a pleuré, puis s’est endormie.
Au matin les larmes ont repris. Longues, plaintives… J’étais évidemment touché. En même temps, j’ai tenté de mettre la situation en perspective : « Dois-je convenir de la peine à l’égard d’un petit rongeur alors qu’il y a tant d’enjeux au quotidien ? N’est-ce pas fragiliser l’enfant que de le dorloter à ce moment-là, tandis que d’autres mômes sont dans la boue, le bras armé d’un famas ? »
Sans vraiment savoir répondre, j’ai laissé mon coeur de père me guider… Mes mains n’ont alors cessé de caresser les cheveux de ma fille, tandis que mon torse soutenait sa tête.
Colline a pleuré, pleuré en attendant que la maison se calme, que les activités démarrent et que nous puissions nous faufiler sans être vus jusqu’au cimetière des animaux enterrer et célébrer le gerbille.
Avant ce rituel, les pleurs de Camille, toujours dans notre lit, se sont intensifiés. Ils sont devenus très forts et se sont transformés en véritable colère. Colère contre le sort, contre la peine, contre le départ des petits êtres innocents.
Mes méditations ont repris : « Qu’est-ce que cette mort, ces morts à comparer de l’effondrement de la biodiversité ? À côté de la disparition de tant d’animaux, d’espèces entières qui s’éteignent ? »
Colline en était à hurler dans notre coussin…
Et là j’ai fait le lien : « Quelle sera sa réaction quand elle va comprendre la destruction du Vivant par une poignée de connards cupides et un flot de gens hypnotisés par les pubs ou peureux comme les lâches qui ont fait les heures sombres de l’humanité ? »
J’ai anticipé et imaginé la colère noire, le désespoir que ma fille pourrait éprouver à ce moment-là. D’autant que contrairement à ma génération, pourtant touchée de plein fouet par les pollutions, le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité, les jours de la sienne seront comptés, puisque de tels bouleversements sur les conditions de vie risquent de ne pas lui permettre d’aller au bout de son espérance de vie…
Et second vertige… « Quelle sera ma réaction ? Celle d’un père lâche ? Ou celle d’un père qui aura passé sa vie à alerter, à tenter de tracer un chemin, le moins incohérent possible, pour embarquer un maximum de monde avec lui et montrer que d’autres possibles sont tellement épanouissants ? Ce père se rendra-t-il compte que tout cela aura été vain et décidera-t-il alors de mordre pour défendre sa fille, et possiblement de rendre son propre souffle à son tour dans un final digne d’un Besson, changeant seulement le prénom de l’enfant aimée : “De la part de Colline…” ? »
Je dois reconnaitre que j’espère encore – naïvement – que ce choix ne se présentera pas. Et je dois avouer que s’il advenait, j’espère choisir le second. Ne pas mourir lâche, et tout faire pour mes enfants.
Boris Aubel d’Etika Mondo, le 29 juillet 2021
Boris Aubel oeuvre au sein de l’association Etika Mondo pour développer l’agroécologie et la résilience alimentaire dans le respect de la biodiversité. Il a lancé les Chantiers Écologiques Massifs (ou CEM) que nous avons déjà évoqués dans plusieurs articles.
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