Concours de nouvelles : “VIDOC, de la prison à la liberté” par Grégory Aimar
Nous avons lancé un concours de nouvelles cet été, et avons demandé à celles et ceux qui se lanceraient dans l’aventure de proposer des solutions à un scénario catastrophe en 2021. Nous remercions toutes les personnes qui ont participé, qui ont partagé avec nous leur coeur, leur plume, leurs tripes, leur imaginaire et leur analyse. Notre choix s’est arrêté sur deux histoires au lieu d’une, dont les auteurs remportent un abonnement numérique à notre magazine pendant un an. Nous n’hésiterons pas à en publier d’autres, avec l’accord de leurs créateurs bien entendu. Voici donc l’une des deux nouvelles lauréates : “VIDOC, de la prison à la liberté” par Grégory AIMAR.
En rappel, voici le scénario de notre appel à nouvelles :
« 2021…
Selon les médias et le gouvernement, le COVID-19 n’a toujours pas disparu et menace à chaque coin de rue de faire des ravages. Les gens ne peuvent pas s’approcher à moins de deux mètres les uns des autres et marchent masqués. Ils travaillent pour la plupart chez eux, quand ils ont la chance d’avoir un emploi. Les autres dépendent d’aides publiques attribuées sous conditions. Les parents font classe à leurs enfants avec des programmes en ligne obligatoires et identiques pour tous. Présenter son passeport santé avec son historique de tests et de vaccins permet de circuler et d’entrer dans les endroits publics et les commerces. Les théâtres et salles de concert ont fermé. Des drones surveillent les populations en permanence. La délation est encouragée, et les réfractaires au masque et aux vaccins sanctionnés par des amendes, des suppressions d’aides sociales ou envoyés en prison. Aucune manifestation n’est autorisée. Le système économique ne tient que par des prêts bancaires, les pays sont endettés jusqu’au cou et la pauvreté s’est répandue. Les productions agricoles sont au plus bas et l’eau manque.
Mais malgré ce scénario catastrophe, une vague de résistance se forme et le monde prend une tournure imprévue par nos élites… »
VIDOC,
De la prison à la liberté
Une nouvelle de Grégory Aimar
On les appelle les Imms. « Imms » pour « immunisés », car ces individus n’attrapent pas le virus. Ils ne sont même pas porteurs sains. Ils passent au travers, sans qu’on comprenne pourquoi. Ils ont été identifiés lors des séries de tests obligatoires, fin 2020. Il y a Florent, ce père de famille qui a passé plusieurs mois au contact de ses proches infectés, et qui n’a jamais développé de symptômes alors qu’il ne se protégeait pas d’eux. Il y a Lola, cette infirmière qui a secouru des centaines de malades pendant les pics de contagion, dans des conditions de sécurité déplorables, et qui est restée en parfaite santé alors que toutes ses collègues y sont passées. Il y a aussi Giulia, cette jeune femme âgée de dix-sept ans, qui n’a jamais été contaminée alors qu’elle a veillé, pendant des semaines, sur son frère jumeau à l’hôpital. Ils ne sont que quelques exemples parmi les milliers de personnes, à travers le monde, à être immunisés contre le COVID-19. Ils sont un mystère pour la science, autant qu’un espoir pour l’avenir.
Nous le sentons tous dans l’air du temps, cette situation ne pourra pas durer. Les sociétés sont au bord de l’explosion. Entre la perspective d’une mort par étouffement, et celle d’une vie en prison, chez soi, ad vitam eternam, où est l’espoir ? De nombreux groupes se fédèrent sur les réseaux sociaux, pour mettre fin à ce qu’ils appellent « la sanityrannie » et pour réclamer la levée de toutes les mesures de protection contre l’épidémie. Ces collectifs citoyens, soutenus par nombre d’opposants politiques en mal de notoriété, revendiquent le « droit de mourir libres, plutôt que de vivre enfermés ». Quelques actions coup de poing ont eu lieu en France et aux États-Unis. Des excités pour qui la liberté consistait à avoir le droit de retourner au fast-food et de faire les soldes. Ils, et elles, se sont coordonnés sur Internet et sont sortis dans la rue au même moment, à différents endroits, pensant déstabiliser les forces de l’ordre. Ils, et elles, sont morts. Pas libres. Ça a calmé les ardeurs révolutionnaires d’une frange de la population pour un temps, mais ce ne sera que temporaire. Surtout que des campagnes de vaccination massives ont eu lieu au début de l’année, alors pourquoi maintenir un confinement aussi rigide ? Si le vaccin est efficace, pourquoi conserver des mesures aussi liberticides pour les populations ? D’aucuns émettent l’hypothèse que Big pharma a tout fait pour tirer profit de la situation en produisant un vaccin à l’arrache et en le distribuant à tout-va, mais qu’elle ne peut garantir son efficacité. Alors les gouvernements maintiennent le confinement, en attendant de voir. Cette incohérence permanente dans le discours politique, depuis le début de la crise, ne fait qu’aggraver un contexte social déjà éruptif.
Alors, ces Imms, portent-ils en eux la clé de cet enfer virologique ? Trois mois après leur découverte, les scientifiques disent ne toujours pas comprendre l’origine de leur immunité. Des tests génétiques comparatifs ont été menés sur Giulia et son frère, mais ils n’ont abouti à rien. Pourquoi a-t-il contracté le virus et elle, non ? Il faut que j’en sache plus. Grâce à ma carte de presse, j’ai obtenu le droit exceptionnel de circuler pour continuer à informer les citoyens. Bien sûr, les sujets que nous sommes autorisés à couvrir sont plus restreints que jamais, mais j’ai l’habitude de travailler sous couverture. Je prends rendez-vous avec Lola, pour l’interviewer. Elle accepte tout de suite. Ça tombe bien, elle est de repos aujourd’hui. Après une heure passée à enfiler les protections vestimentaires désormais obligatoires, trois contrôles policiers et huit lavages de mains, j’arrive chez l’infirmière. Je la remercie tout de suite en lui offrant une bouteille de gel hydroalcoolique. C’est ridicule, parce qu’elle doit en avoir deux cents litres à l’hôpital et qu’en plus elle est immunisée, mais je n’avais rien d’autre sous la main. C’est l’intention qui compte, comme on dit. Elle me fait entrer dans son petit appartement et me propose un café, que j’accepte volontiers. Elle est grande, brune, je lui donne une trentaine d’années environ. Elle n’est pas vraiment jolie, mais a une prestance indéniable.
Après m’être brièvement présenté, j’entre dans le vif du sujet. Elle m’explique avoir subi une batterie d’examens, mais n’avoir aucune explication à me fournir quant à son immunité au COVID-19. Ça commence bien. Je lui demande si, d’habitude, elle tombe souvent malade, ou si elle est, au contraire, plutôt résistante aux épidémies. Elle me répond que, comme tout le monde, elle attrape des rhumes de temps à autre, ce qui est normal dans son métier, mais que ça ne lui arrive pas si souvent que ça, et que ça ne dure jamais très longtemps. J’interroge ses ascendants : ont-ils une santé de fer ? A-t-elle une mamie âgée de 130 ans ? Un oncle avaleur de sabres ? Un ancêtre viking ? Elle me répond que non, que sa famille est « normale », à sa connaissance. Je rame. Je cherche alors un indice autour de moi, dans son salon, une piste, une intuition… C’est comme ça le métier de journaliste, pas toujours rationnel. Je vois, sur le coin d’une étagère, un petit bouddha. Et je me remémore, tout à coup, l’enquête de mon amie Carole sur les guérisons spontanées à Lourdes. Après une hésitation, je me lance et lui demande si elle fait de la méditation, ou bien si elle a une pratique religieuse en particulier. Elle me répond que non, en tout cas pas régulière. Elle se dit croyante, mais elle est trop investie dans son travail pour avoir une pratique spirituelle quelconque. Pas le temps. En l’écoutant parler, je réalise qu’une sensation de calme me pénètre. Peut-être est-ce lié à son expérience de soignante qui lui confère une empathie particulière et une aptitude à rassurer ses patients ? Non… Je me souviens avoir ressenti la même chose, il y a deux jours, en écoutant une interview de Florent, le père de famille Imm. Je ne sais plus ce qu’il disait exactement, mais je me rappelle m’être senti, là aussi, apaisé. Étant d’une nature anxieuse en général, je ressens rarement ce sentiment de… De quoi, d’ailleurs ? Qu’est-ce que je ressens ? Je crois que c’est… de la confiance. Oui, je crois que c’est ça. Il faut que je creuse.
– Lola, j’aurais encore une question à vous poser.
– J’ai l’impression de ne pas tellement vous aider, mais dites-moi, me répond-elle en souriant.
– Qu’est-ce que vous pensez de ce virus ? De cette épidémie ? Plus globalement, de ce que nous sommes en train de vivre, mondialement ?
– Eh bien… évidemment, je trouve ça pénible et je suis vraiment triste pour les familles de victimes.
– D’accord, mais au-delà de ça, comment voyez-vous l’avenir ?
– Je ne sais pas… je n’y pense pas tellement. Je dirais que ça ne me préoccupe pas. Je crois que ça finira par passer. Ça partira comme c’est venu et, en fin de compte, cette crise n’aura pas été pire que d’autres catastrophes que nous avons connues, les siècles passés. La vie continue… Vous voyez ?
– Oui, je crois que je vois…dis-je, pensif.
En sortant de chez Lola, je me sens bredouille et frustré. J’ai l’impression d’être passé à côté de mon enquête. Je repense à l’interview de Florent. J’essaye de trouver des vidéos de Giulia, sur mon smartphone. Je cherche des indices, des points communs, des liens. J’attrape un taxi pour rentrer. Je me repasse mon entretien avec Lola, sur le trajet. Mais qu’est-ce qu’ils ont en plus, ces Imms, pour être résistants à un virus mondialement mortel ?
– … ou en moins ? me demande mon chauffeur.
– Pardon ?
– L’air conditionné, Monsieur : vous en voulez en plus ou en moins ? Ça va la température ?
– Oui, oui… dis-je, tout en replongeant dans mes réflexions.
Ou en moins ? Qu’est-ce que les Imms ont « en moins » ? C’est peut-être ça la question ! En arrivant près de chez moi, nous longeons l’école de mon quartier, désespérément vide depuis le début de la crise. J’aperçois des dessins d’écoliers aux fenêtres et je prends conscience que, dans le monde entier, depuis plus d’un an, les enfants sont, dans leur très grande majorité, épargnés par le virus. Cela n’a pas interpellé les scientifiques, ou bien ils n’ont pas su quoi en conclure, mais je me dis qu’il doit y avoir un rapport entre l’immunité des enfants et celle de ces mystérieux Imms.
Une fois à la maison, je me pose à mon bureau avec un café et je commence à transcrire l’interview de Lola. Bon sang, je sens que je tiens quelque chose… Mais quoi ? Soudainement, j’ai une double révélation. Je réalise que j’ai peur et que cette peur est précisément la réponse à ma question : qu’est-ce que les Imms ont en moins ? La peur. Ils n’ont pas peur. Ils ne redoutent ni la maladie, ni l’avenir, ni « l’autre »… Ils ont confiance. Confiance en la vie. C’est cette tranquillité que j’ai ressentie au contact de Lola. Une joie de vivre inaltérable, quelles que soient les circonstances, la même que l’on retrouve chez les enfants et qui les rend si spontanés et résilients. Voilà ce que je ne parvenais pas à voir, ou plutôt à m’avouer. Parce que j’ai peur. J’ai peur de la réaction de ma boss, si je lui envoie ma découverte. Je redoute le scepticisme des lecteurs, les critiques des scientifiques, les moqueries de mes pairs… Quelle ironie ! S’empêcher de voir que la cause de la contagion est la peur, parce qu’on a soi-même peur d’être rejeté ! Mais l’évidence est telle, pour moi, que je ne peux plus reculer. Les enjeux sont trop importants. Je dois le clamer haut et fort, au monde entier : les Imms sont invulnérables au COVID-19 parce qu’ils n’en ont pas peur. Par un mécanisme immunitaire qui m’échappe, les émotions telles que l’anxiété, l’angoisse et la crainte, ouvrent les portes de l’organisme au virus, lui permettent de s’y répandre, puis d’être transmis à son entourage. Les affects négatifs, comme les virus, sont contagieux.
Mais si j’ai ressenti ce calme, au contact de Lola, c’est qu’une contagion positive doit également être possible ? Peut-être même que cette confiance est transmissible par le sang ? L’épigénétique nous montre que certains traumatismes peuvent s’imprimer sur l’ADN, et s’il en allait de même pour les émotions positives ? Une grande joie grandit en moi à l’idée qu’enfin, au cœur de cette crise sans précédent, après plus d’un an d’enfermement et de lutte, une lueur d’espoir apparaît et nous ouvre, à nouveau, un horizon de liberté. Il est temps d’ouvrir nos cœurs. Il est temps de nous faire confiance. Il est temps de nous démasquer.
Grégory Aimar
Grégory Aimar est né en 1978 à Saint-Germain-en-Laye.
Après douze années passées dans la production audiovisuelle et la communication en tant que journaliste et réalisateur, suivies d’un passage dans le domaine éducatif auprès d’enfants porteurs de handicaps, il se consacre désormais à l’écriture de livres et de documentaires sur ses thèmes de prédilection : la science, la technologie, la psychologie et la spiritualité.
Son site internet : https://www.gregoryaimar.com
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