L’inévitable conflit : crise ou opportunité pour évoluer en conscience ? Entretien avec le médiateur Jean-François Thiriet
Nexus s’est entretenu avec le médiateur et conférencier Jean-François Thiriet, ex-infirmier et auteur du livre sur son livre « Conflits au travail. Pour lui, les conflits sont inévitables et font partie de notre quotidien, mais il est possible de changer de posture pour passer de la crise à l’opportunité et de dénouer les situations les plus difficiles. Ne nous nous fions pas au titre, cet ouvrage peut également servir d’outil également pour des conflits extra-professionnels…
Photo credit : Mehdi Boswingel @tedxalsace
Nexus : Bonjour Jean-François, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Jean-François Thiriet. Dans une autre vie, j’ai été infirmier et cadre infirmier.
Depuis 18 ans, mon métier, c’est de faciliter la qualité des relations et la qualité des idées dans des équipes et des projets. Je suis médiateur depuis 12 ans, titulaire du certificat d’aptitude à la profession de médiateur.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Parce que la plupart d’entre nous n’avons pas appris à prendre soin de nos relations autrement qu’à travers la répétition de notre éducation et que la qualité des relations n’est pas enseignée à l’école. Il y a plusieurs éditions successives qui reprennent les sujets des participants qui émergent pendant les formations de gestion de conflit que je donne et qui complètent le livre
Qu’est-ce qu’un conflit, selon vous ?
C’est vouloir aller dans deux directions différentes en même temps alors qu’on est dans la même voiture. Plus théoriquement maintenant, c’est l’interaction de deux personnes minimum qui ont des oppositions de buts et qui perçoivent l’autre comme interférant dans la réalisation de leur but.
Est-ce que ce livre traite seulement des conflits au travail ou les solutions que vous proposez peuvent-elles s’appliquer dans d’autres sphères ? Lesquelles ?
Dans le contexte du travail, bien sûr, mais si on lit entre les lignes, ce livre s’adresse à toutes les situations où il y a une relation humaine : votre couple, votre relation avec vos enfants…
N’existe-t-il que des conflits avec autrui ?
Non, il y aussi des conflits intrapersonnels, lorsque nous sommes en conflit avec nous-mêmes : entre deux idées, deux valeurs importantes, entre deux possibilités. Je dis souvent que tout conflit interpersonnel (avec autrui) nous confronte avec un conflit intrapersonnel (avec soi-même) : dire, ne pas dire, faire ce que l’autre veut ou pas… On pourrait presque dire que tout conflit interpersonnel est aussi (d’abord ?) un conflit intrapersonnel. Il va donc falloir passer par une étape de résolution de conflit avec soi, de négociation avec soi-même. À quel conflit intrapersonnel ce conflit interpersonnel me confronte-t-il ? Au fond, quel est le conflit dans le conflit ?
Pouvez-vous nous expliquer une ou deux raisons principales des conflits, qu’ils soient avec nous-même ou avec autrui ?
Je pense que nous devons réaliser que l’harmonie dans les relations n’est pas la règle. Si vous avez de l’harmonie dans vos relations, c’est un cadeau et c’est précieux. Parce que la première cause générale des conflits, c’est l’altérité. Car c’est important que nous réalisions qu’autour de nous, tout est « Autre » chez les autres : leurs objectifs, leur représentation du monde, leurs expériences de vie… Cela crée de la diversité et de la richesse dans le monde, mais aussi des tensions quand ces différences sont vécues sur un mode antagoniste. Et c’est la seconde raison au conflit : c’est le rapport à la différence. Beaucoup d’entre nous vivent la différence sur le mode de l’opposition et non de l’apposition, de la juxtaposition de points de vue. Alors que je pourrais juste voir l’Autre comme Autre, mais pas comme Adversaire ou Ennemi.
Vers quelle(s) qualité(s) majeure(s) devons-nous tendre pour les résoudre ?
La connaissance de soi est vraiment une qualité essentielle. Nous avons tous des habitudes acquises depuis longtemps en matière de conflits : les connaître pour pouvoir mieux les rechoisir ou les changer selon le contexte est vraiment une capacité importante.
Ensuite, la préparation mentale, physique, émotionnelle et verbale présentée dans le livre est une clé essentielle.
Pouvez-vous nous donner un ou des biais cognitifs qui nous empêchent de résoudre un conflit ?
Le plus important : le biais fondamental d’attribution. Quand j’ai commis une erreur, je vais souvent l’attribuer à mon contexte extérieur : « C’est parce que le service comptable m’avait envoyé le rapport en retard… » La cause est extérieure. Alors que quand ma « méchante » collègue fait une erreur, c’est parce qu’elle est incompétente, incapable ou tout simplement qu’elle est comme ça ! La cause est intérieure, intrinsèque et est liée à qui cette personne est (sous-entendu, elle le sera toujours et j’ai bien raison…).
Un conflit doit-il absolument mener à une réconciliation pour être considéré comme étant résolu ?
Non, la séparation consensuelle est aussi une issue possible et elle peut être bénéfique.
D’ailleurs, faut-il absolument résoudre tous les conflits ?
C’est une excellente question. Si la relation avec la personne avec laquelle vous êtes en conflit est importante, alors ma réponse est « oui. Il y a toujours deux dimensions dans chaque conflit : l’objet du conflit et l’importance de la relation avec la personne avec qui je suis en conflit. »
Que faire pour exprimer sa colère de manière juste quand la moutarde nous monte au nez ?
La première règle si la moutarde est trop forte et monte trop, attendez ! On ne gère pas un conflit à chaud. Et c’est un vrai apprentissage. Nous voulons souvent gérer les situations tendues tout de suite, dans l’instant. C’est souvent lié à la confusion entre se défouler et gérer un conflit. La gestion des conflits à chaud est souvent plus un défouloir qu’une gestion de conflit. Apprendre à temporiser est une vraie qualité ! Et si ce n’est pas possible, demandez la possibilité de revenir dans deux minutes et profitez de ces quelques minutes pour respirer lentement.
Pouvez-vous nous donner des exemples de phrases ou de comportements à proscrire si on veut éviter qu’un conflit ne dure ?
La plus importante sur le plan verbal : arrêtez de dire « Calme-toi ! » En général, ça ne fait qu’empirer les choses parce que c’est un ordre que vous donnez à l’autre. Le plus important sur le plan non verbal : mettez-vous à 45 degrés de votre interlocuteur plutôt qu’en face de lui. Vous verrez que ça change tout.
Inversement, quels sont ceux à privilégier pour que le conflit disparaisse ou s’atténue ?
Il n’y a pas de comportements magiques, mais une nouvelle fois, c’est une quadruple préparation : mentale, émotionnelle, corporelle, et verbale. L’un sans l’autre va générer de l’incongruence, de l’incohérence dans vos messages, et ça ne va pas marcher.
Avez-vous un exercice simple à conseiller à nos lecteurs à pratiquer seul ou à plusieurs pour résoudre un conflit ?
Le plus important : mettez-vous physiquement à la place de l’autre et adoptez son point de vue pendant quelques minutes. Et voyez tout ce que cela vous apporte pour mieux comprendre et moins juger. Car au fond tout est là.
Comment prévenir au maximum un conflit ?
Allez vivre sur une île déserte ! Non, les conflits font partie de la vie, il n’y a pas à vouloir les prévenir, mais plutôt à grandir sur cette réalité.
Avez-vous vous-même été souvent en conflit ?
J’ai été longtemps épargné par les conflits parce que ma famille utilisait une stratégie d’évitement extrêmement forte pour ne pas avoir à y faire face. Cela m’a rendu inadapté et incapable de faire face aux conflits pendant longtemps. J’ai dû tout apprendre depuis le début.
Avez-vous pu expérimenter les outils que vous proposez avec votre entourage et à quoi cela a-t-il mené ? Pouvez-vous nous citer un exemple ?
J’ai tellement pratiqué ces outils (je venais de loin) qu’aujourd’hui, ils sont devenus une seconde nature. Par exemple, avec mes enfants, je leur parlais toujours en me mettant à leur hauteur quand j’avais des choses à leur dire et je savais adapter mon ton de voix au contexte et à eux. Je continue de pratiquer, c’est une discipline et la perfection dans ce domaine n’existe pas.
Vous avez fait un TEDx au mois de mai 2023, intitulé « Si “Je” ne peux pas, peut-être que “Nous” le pouvons ». Pouvez-vous nous en résumer l’objet ?
L’idée de ce TEDx était de mettre en lumière l’importance d’oser demander de l’aide. Il y a tellement de réponses à nos problèmes dans les ressources que les autres seraient heureux de partager avec nous. Accepter de reconnaître que nous avons besoin des autres est essentiel dans un monde où la solitude augmente et le sentiment de solidarité diminue. Je voulais souligner l’importance d’avoir des lieux d’écoute et de soutien mutuel pour se sentir pleinement vivant.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Merci pour la qualité de vos questions. J’espère que mes éclairages résonneront avec vos lecteurs.
👉Lire le livre de Jean-François Thiriet :
👉Visionner le TEDx de Jean-François Thiriet :
👉Découvrir le site de Jean-François Thiriet
Entretien par Estelle Brattesani
(Image principale parRyan McGuire dePixabay)
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