
Projet « Golfe de Gascogne » : « Le seul contre-pouvoir, c’est le peuple » – Interview d’un avocat général honoraire
La mobilisation citoyenne contre un projet de ligne à très haute tension de 400 000 volts baptisé « Golfe de Gascogne », dans les Landes et au Pays basque, a fait l’objet d’un dossier dans le numéro 157 de Nexus (mars-avril 2025). Interrogé par Nexus, un avocat général honoraire, qui a souhaité rester anonyme, revient sur cette affaire et ce qu’elle révèle du rapport de force entre l’État, les intérêts privés et les citoyens.
Nexus : Que pensez-vous de l’établissement de l’arrêté préfectoral qui le 17 janvier 2025 a bloqué la forêt de Soorts-Hossegor, afin de recourir aux forces de l’ordre pour y déloger les écureuils ?
Avocat général honoraire : Cette approche est logique. L’État ne peut supporter un point de contestation sans rien faire, même si à mes yeux la réplique était disproportionnée.
Ces personnes dans les arbres posent une vraie question : comment défendre notre environnement, c’est-à-dire notre avenir ? Elles se basent sur un document de l’État lui-même, l’avis négatif émis au sujet de ce projet par le Conseil national de protection de la nature qui regroupe les 30 meilleurs experts français en matière d’environnement.
C’est-à-dire que l’on assiste à ce paradoxe que les écureuils défendent la position de l’organisme de l’État contre la représentante de l’État, la préfète des Landes, Mme Tahéri, qui ne prend pas en compte ce document.
Ce que l’on peut regretter, c’est l’absence de dialogue de la préfète avec les associations qui ont pourtant toujours privilégié la non-violence et la discussion. Cette attitude de rejet de la part de la représentante de l’État (qui présente les membres de RTE comme ses collègues) m’apparaît être un facteur bloquant quant à l’évolution du projet et son admission par la population.
L’État doit être pour cette question, comme pour toutes les autres, impartial et représenter l’intérêt général, et non prendre la défense d’intérêts privés, quels qu’ils soient.

Forces de l’ordre au pied de la cabane des écureuils.
Faut-il préciser que la presse a été empêchée d’accéder au site, puis, que les négociateurs mandatés par la préfecture ont instrumentalisé l’autorisation d’accès des journalistes de France 3 comme moyen de levier pour tenter de faire descendre les écureuils ?
Cela pose en effet la question de la liberté de la presse. C’est un quatrième pouvoir nécessaire. L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit que la liberté d’expression et la diffusion des informations constituent un des éléments importants pour promouvoir l’état de droit. L’accès à l’information devrait être un catalyseur du développement durable dans des domaines tels que la santé, l’environnement, la lutte contre la pauvreté et la corruption. La déclaration universelle des droits de l’homme a pourtant été rédigée par René Cassin, un Français né pas très loin d’ici, à Bayonne.
En plus de l’importance de la presse, soulignons que seule la présence des associations permet de porter des recours en justice. Que ce soit dans la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme, la corruption, la lutte pour la préservation de l’environnement, les associations ont un rôle fondamental.
Le seul contre-pouvoir, c’est le peuple. Depuis 2021, une large partie de la population a demandé des études d’impact de ce tracé sur l’environnement et la santé des personnes ; les faits semblent montrer qu’elles n’ont que du mépris pour cette demande. Mépris pourtant logique si on se souvient des récentes catastrophes sanitaires ! La justice sociale intervient comme un socle de défense de la justice climatique. Car elle permet de faciliter la rencontre du justiciable avec la justice.
Le crime environnemental pourrait-il être compris comme un crime contre l’humanité ?
Le crime contre l’humanité est une incrimination créée en 1945 dans le statut du Tribunal de Nuremberg qui vise la torture, la déportation, les crimes de masse. Comme pour le génocide et les crimes de guerre, ces faits sont imprescriptibles, c’est-à-dire que des poursuites peuvent être engagées sans limite de temps puisque nous pouvons travailler sur des archives, des décrets, des documents de toute sorte pour prouver le crime. Le statut de la Cour pénale internationale adopté le 17 juillet 1998 à Rome a déclaré tous ces crimes imprescriptibles.
Le concept de crime environnemental, également appelé écocide, est souvent assimilé à un crime contre l’humanité en raison de son impact profond et durable sur l’environnement naturel et les conditions de vie de l’humanité. Mais je suis hésitant sur cet amalgame. Il faut laisser à chaque infraction et à chaque crime sa spécificité.
Plusieurs pays et organisations internationales s’efforcent d’intégrer cette notion, en prévoyant la répression de toute action ayant causé un dommage écologique grave dans leurs législations et leurs pratiques juridiques pour mieux protéger l’environnement et punir les atteintes les plus graves. Mais la Cour pénale internationale a refusé d’intégrer cette notion dans son ordonnancement juridique.
En France, des propositions visent à reconnaître l’écocide comme un crime distinct. Ces dispositions visent à renforcer la protection de l’environnement et à responsabiliser les auteurs de dommages environnementaux.
La justice peut-elle guider sa politique aux États ?
Il existe une séparation des pouvoirs, mais la justice doit s’emparer de cette délinquance comme des autres. Il existe effectivement quatre domaines dans lesquels on note une frilosité des services de l’État : les violences faites aux femmes et aux enfants, la corruption et la défense de l’environnement.
Dans un texte signé le 9 janvier, des avocats et universitaires s’inquiètent du traitement du projet de l’A69. En effet, le tribunal administratif de Toulouse a rendu une décision inattendue le 9 décembre 2024 concernant l’autorisation environnementale de l’autoroute. En lieu et place du délibéré attendu, le tribunal a rouvert l’instruction du dossier à la suite d’une note en délibéré, sans véritables éléments nouveaux décisifs. Cette décision survient après que la rapporteure publique a recommandé l’annulation des autorisations du chantier, en se fondant sur l’absence de « raison impérative d’intérêt public majeur » du projet autoroutier.
Selon eux, l’impartialité de la justice administrative est mise en cause ; et ce cas démontre de manière plus large un dysfonctionnement de la justice environnementale avec, pour conséquence, la défiance des citoyens envers l’institution judiciaire et, plus largement, l’État de droit. Ils redoutent « une politique du fait accompli » où « tout est fait pour préserver les intérêts économiques » au détriment du droit. Pour éviter « l’atteinte à la démocratie environnementale », ils réclament une réforme en profondeur, « avec l’instauration d’une véritable démocratie participative », « une suspension automatique des travaux lorsqu’un recours est déposé », sous certaines conditions, ainsi que « la mise en place de procédures accélérées ». Le 18 février a eu lieu une audience capitale au tribunal administratif où a été examinée la requête en annulation de l’autorisation environnementale de l’A69.
Le 27 février, alors que la justice a annulé l’autorisation environnementale, l’État, par l’entremise d’Agnès Pannier-Runacher, a annoncé faire appel, déclarant que « l’écologie, ce n’est pas faire des interdictions tout azimuts » !
Si du côté des pouvoirs publics le concept d’utilité publique reste flou, cela démontre, en tout cas, du côté de la justice, qu’elle continue d’exercer en toute indépendance. En effet, dans le cas du projet de l’A69, il a été jugé que les gains espérés de la future autoroute étaient insuffisants par rapport aux atteintes à l’environnement.
En ce qui concerne la ligne à très haute tension, les associations environnementales ont accueilli le jugement de la cour d’appel, qui a confirmé celui du 29 juillet pour la mise en péril de la faune marine, « une très bonne nouvelle pour ce dossier et d’autres à venir ». Et c’est le cas puisque cette décision fera jurisprudence.
Cela montre que les recours en justice pourraient changer la donne ?
Cela illustre en effet qu’un engagement citoyen sans violence est générateur de changements. Particulièrement pour les violences faites aux femmes, nous constatons qu’enfin, la société, l’État et la justice prennent leurs responsabilités.
Pour la corruption, dans un récent arrêt, une cour d’appel juge que la saisine d’une association de lutte contre la corruption constitue « une démarche non dépourvue de légitimité citoyenne ». Cette motivation par les juges sur la légitimité de la saisine d’une association et sur une action collective au service d’une noble cause démontre que la société et la justice progressent sur cette question. Mais cela suppose que la justice soit indépendante pour être impartiale.
Par contre, sur toutes les questions de la défense de l’environnement, on constate encore cette frilosité des services de l’État et de la justice administrative alors même que le Conseil constitutionnel a rendu un avis le 27 octobre 2023 en ces termes : « Le législateur doit, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. »
Le président de la République a récemment déclaré : « Nous sommes dans un pays de 66 millions de procureurs. » Cette formule est, certes, excessive, mais elle démontre que les citoyens souhaitent que la justice fasse son travail dans notre pays.
⇒ Lire le Rapport d’enquête publique
⇒ Lire notre dossier « Projet Golfe de Gascogne » dans notre n° 157 (mars-avril 2025) :
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