Que se cache-t-il derrière l’affaire Pavel Durov ?
Après son arrestation surprise samedi dernier à l’aéroport du Bourget par les autorités françaises, le PDG de Telegram, Pavel Durov, a été mis en examen et libéré sous contrôle judiciaire mercredi. Il est aujourd’hui également poursuivi pour « violences graves » sur l’un de ses enfants. Que faut-il comprendre de toute cette affaire, qui fait étrangement penser à celle du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange ?
◆ Un coup de tonnerre
L’arrestation surprise de Pavel Durov, le PDG de Telegram, sur le tarmac de l’aéroport du Bourget samedi dernier par les autorités françaises en a abasourdi plus d’un et a produit l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel qui était déjà loin d’être serein.
De nombreuses réactions scandalisées se sont rapidement propagées sur les réseaux sociaux, en France comme à l’étranger, devant ce que beaucoup estiment être une affaire plus politique que judiciaire, les douze infractions de cybercriminalité reprochées à Pavel Durov n’étant qu’un prétexte pour pouvoir coincer l’un des tenants de la liberté d’expression dans le monde du numérique.
◆ Le patron de Rumble fuit l’Europe
La plus vive et la plus significative des réactions a sans doute été celle du patron de Rumble, Chris Pavlovski, qui a annoncé dès le lendemain sur X avoir quitté précipitamment l’Europe, où il ne se sentait visiblement plus en sécurité.
Rappelons que la plateforme de vidéos en ligne Rumble n’est plus disponible en France depuis novembre 2022, Chris Pavlovski ayant préféré en suspendre l’accès plutôt que de se plier aux injonctions du gouvernement français d’en retirer certains créateurs de contenus, en l’occurrence les chaînes russes RT et Sputnik, déjà interdites dans l’Union européenne depuis mars 2022.
◆ Polémique internationale et opération de « damage control »
Devant l’ampleur de la polémique, qui est montée jusqu’aux plus hautes sphères à l’étranger (en particulier en Russie, dont Pavel Durov est originaire, et aux Émirats arabes unis, pays où il vit et dont il a acquis la nationalité), Emmanuel Macron a dû sortir de son silence et tenter une opération de « damage control ».
Dans un tweet publié lundi dernier, le chef de l’État français assure que « la France est plus que tout attachée à la liberté d’expression et de communication », mais que « dans un État de droit, sur les réseaux sociaux comme dans la vie réelle, les libertés sont exercées dans un cadre établi par la loi pour protéger les citoyens et respecter leurs droits fondamentaux ». Il ajoute que « c’est à la justice, en totale indépendance, qu’il revient de faire respecter la loi. L’arrestation du président de Telegram sur le territoire français a eu lieu dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Ce n’est en rien une décision politique ».
◆ Un piège tendu par Macron ?
Le plus étonnant est qu’avant l’interpellation de Pavel Durov ce samedi 24 août, personne ne semblait au courant qu’il était recherché par les autorités françaises et qu’une information judiciaire était ouverte depuis le 8 juillet 2024, à la suite d’une enquête préliminaire diligentée par la JUNALCO (juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée), comme l’indique un communiqué de presse du parquet de Paris.
Pavel Durov le savait-il lui -même ? Si oui, qu’est-il venu se jeter dans la gueule du loup en atterrissant samedi soir sur le sol français ? D’après une information publiée le 27 août par le Canard Enchaîné, Pavel Dourov aurait « affirmé aux flics qui l’ont cueilli à sa descente d’avion qu’il était attendu pour dîner avec Macron ». L’Élysée a « démenti » cette affirmation en arguant que « ce soir-là, le Président était au Touquet », ce qui ne répond pas à la question de l’invitation. Le patron de Telegram a-t-il été pris dans un traquenard tendu par le chef d’État ?
Réponse de l’intéressé deux jours plus tard, lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion d’un déplacement en Serbie. « Je n’étais absolument pas au courant de la venue en France de [Pavel] Durov », a déclaré Emmanuel Macron, selon nos confrères de RFI. « Il est faux [de dire] que j’avais procédé à quelque invitation que ce soit, c’est totalement faux. Je n’étais pas supposé voir [Pavel] Durov ni en fin de semaine dernière ni dans les jours à venir ».
◆ Quel rapport avec Xavier Niel ?
Parmi les autres étrangetés de l’affaire, on peut aussi se demander pourquoi le PDG de Telegram a demandé à ce qu’on prévienne Xavier Niel, le fondateur et principal actionnaire du groupe Illiad (qui comprend Free et Free mobile), de son placement en garde à vue. Certes, d’après le journal Le Monde, les deux milliardaires « se connaissent de longue date et s’apprécient ». Mais Xavier Niel est aussi un proche d’Emmanuel Macron.
Par ailleurs, une partie des faits de cybercriminalité reprochés à Pavel Durov, notamment la « complicité pour diffusion en bande organisée » d’images pédopornographiques, pourrait également l’être à Xavier Niel. D’après un rapport du Centre canadien de protection de l’enfance, publié en 2021 et relayé par Le Monde Moderne, 48% du matériel pédopornographique mondial serait « hébergé physiquement » et téléchargé à l’aide des services de télécommunications de Free qui, selon les rapporteurs, ne ferait pas grand-chose pour s’attaquer au problème.
Si l’affaire Pavel Durov n’est pas politique, pourquoi la justice française ne s’intéresse-t-elle pas au principal propriétaire de Free ? Et en quoi celui-ci pouvait-il aider le patron de Telegram durant sa garde-à-vue ?
◆ Une deuxième affaire de « violences graves » sur enfant
Il y a donc de nombreuses zones d’ombre dans ce dossier. D’autant plus qu’une nouvelle affaire dans l’affaire est apparue mercredi, jour de sa mise en examen et de sa libération sous contrôle judiciaire. En plus des douze infractions déjà retenues contre lui et qui pourraient lui valoir jusqu’à 20 ans d’emprisonnement, le milliardaire franco-russe (qui a obtenu la nationalité française en 2021 à titre émérite) est également visé par une enquête menée par l’Office des mineurs (Ofmin) pour des faits de « violences graves » à l’encontre de l’un de ses enfants, qui vivait alors à Paris.
La mère de l’enfant, ex-compagne de Pavel Durov résidant désormais en Suisse, aurait déposé plainte le 27 mars 2023 à Genève, pour trois faits de violences envers leur fils cadet, d’après des informations du magazine américain Forbes confirmées par Le Monde.
◆ Le même scénario que pour Julian Assange ?
À l’évidence, le feuilleton politico-judiciaire autour de Pavel Durov ne fait que commencer et rappelle par bien des aspects celui qui a permis de « faire tomber » Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, d’abord accusé de délits sexuels par le parquet suédois, dans une affaire instrumentalisée par le Royaume-Uni.
Que les faits de violences graves sur enfant soient vrais ou non, on peut hypothéquer dans tous les cas que le principal défaut de Pavel Durov est surtout de tenir tête aux gouvernements, en refusant de leur donner l’accès aux données sécurisées de Telegram. Dans une interview accordée en avril dernier au journaliste Tucker Carlson, Pavel Durov expliquait avoir déjà été approché par le FBI pour installer des « backdoors » (des failles de sécurité) sur Telegram, mais a refusé de le faire.
◆ Un signal politique pour préparer le futur « chat control » européen ?
Pour le spécialiste en géopolitique du numérique Fabrice Epelboin, interrogé par RFI, la mise en examen de Pavel est « éminemment politique ». Le but de cette opération est, selon lui, d’« envoyer un signal clair au monde des technologies et préparer le terrain, notamment pour le fameux « chat control », cette réglementation européenne qui ambitionne d’imposer à toutes les messageries chiffrées de donner un accès aux autorités européennes. Cela de façon à pouvoir mettre sous surveillance l’ensemble des citoyens ».
⇒ Lire notre article du 5 octobre 2023 sur le projet de règlement européen CSAR :
Article par Alexandra Joutel
(Image extraite de l’interview de Pavel Durov par Tucker Carlson diffusée sur YouTube le 17/04/2024)
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