COVID-19 dans les Ehpad : le rapport accablant du Défenseur des droits
Le rapport du Défenseur des droits concernant « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », publié le 29 avril dernier fait froid dans le dos. Il souligne notamment les limitations du droit de sortie des personnes âgées, mais aussi des actes pouvant s’apparenter à de la maltraitance concernant les conditions de réalisation des tests PCR, les mises en isolement, la règlementation abusive des visites et les pratiques inhumaines lors des décès des résidents pendant le premier confinement.
Veiller à la protection des droits et des libertés et de promouvoir l’égalité, c’est la mission du Défenseur des droits (ou DDD). Selon cette autorité administrative indépendante, il y a beaucoup à redire et à faire au sujet des droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD.
◆ Assignation à résidence et « droit souple »
À partir du 31 mars 2020, le droit de sortie des résidents d’Ehpad a été soumis tout d’abord à un texte publié par le ministère chargé des Solidarités et de la Santé sur son site internet dédié au Covid-19 puis à une « Foire aux questions » légiférant également sur les consignes à appliquer et interdisant toute sortie individuelle des personnes âgées. Deux textes à la valeur juridique difficilement identifiable selon le rapport de Claire Hédon à la page 38 : « Alors que la formulation de ces directives témoigne de l’existence de consignes antérieures visant à suspendre les sorties des personnes résidant en EHPAD, ces sources ne sont aujourd’hui plus accessibles, ou non identifiées.
On ne peut que regretter le flou relatif à la source édictant cette instruction, comme à sa base légale.
C’est par ailleurs sous forme de droit souple, certes publié mais non impératif, que la consigne d’interdiction de sortie des personnes résidant en EHPAD a initialement été donnée par le ministère des Solidarités et de la Santé aux directions des EHPAD, sans qu’aucune mesure d’ordre législatif ou réglementaire n’ait fixé de limites spécifiques aux personnes résidant en EHPAD » (…) la confusion est source d’insécurité, voire d’illégalité, alors même que les mesures consistant à “suspendre les sorties” des résidents en dehors de l’établissement constituent des mesures aussi contraignantes qu’une assignation à résidence, et ne devraient pouvoir être prises que conformément au cadre légal prévu à cet effet ».
Les familles n’ont donc bénéficié d’aucun recours car cela ne reposait sur aucune loi : « le Défenseur des droits constate que les mesures mises en place lors de la crise sanitaire l’ont été en dehors des cadres prévus à cet effet et ne présentent pas les garanties procédurales prévues par le législateur ».
◆ Un confinement forcé en chambre, même après le premier déconfinement
On peut lire dans ce même rapport « qu’aucun rappel du principe de libre arbitre de la personne accueillie n’était effectué au sein de ces recommandations. De plus, le confinement du résident dans sa chambre n’était pas soumis au recueil et à l’obtention de son consentement à ces mesures. » Ce qui signifie que les résidents ont donc été enfermés de force ou considérés « en fugue » s’ils sortaient.
De même qu’après l’autorisation nationale exceptionnelle pour les fêtes de fin d’année 2020, leur retour en maison de retraite nécessitait qu’ils subissent obligatoirement un test PCR. À ce sujet, le rapport souligne que : « Le Défenseur des droits a été saisi de situations de tests de dépistage réalisés sans recueil de consentement de la personne concernée, et parfois malgré son refus explicite, en méconnaissance de ses droits, sous contrainte par contention ».
◆ Je ne reviens pas… te chercher
Le 27 décembre 2020, le gouvernement a annoncé le déploiement d’une campagne de vaccination massive avec comme personnes prioritaires les publics les plus vulnérables.
« Au 2 mars 2021, 57,9% des résidents en EHPAD, et 26,1% des professionnels y exerçant avaient reçu une couverture vaccinale complète (à savoir deux injections), pour atteindre 73% des résidents au 6 avril 2021 ».
Par la suite, « le conseil d’État a été saisi d’un recours en référé-liberté à l’encontre des recommandations publiées le 28 janvier 2021, sur lesquelles il a accepté d’exercer un contrôle ». Malgré cela et malgré cette vaccination importante pour nombre d’entre eux, le ministère des Solidarités et de la Santé a maintenu la recommandation de « suspension des sorties » pour tous dans un grand nombre d’établissements : « les directions ne souhaitant assouplir les mesures que dans une situation dans laquelle l’ensemble des indicateurs de la crise était rassurants (couverture vaccinale complète de l’ensemble des résidents et personnels, absence de variant circulant dans le département, etc.) »
Cette interdiction les a même privées de leur droit de vote.
« Toutefois, lors de la période de déconfinement, l’attention du Défenseur des droits a été appelée sur des situations de maintien des restrictions de circulation au sein des EHPAD, notamment pour les accès aux extérieurs (jardin, patio, etc.), pour rendre visite à son conjoint résidant également au sein de l’établissement, ainsi que pour se rendre au bureau de vote lors du second tour des élections municipales, sans que soit par ailleurs mis en place de système de procuration ».
◆ Droit au parloir
La limitation du droit de visite des familles, admise lors du confinement strict, a été très mal vécue ensuite : « Les aidants familiaux, se rendant habituellement quotidiennement dans les EHPAD pour aider leur proche, notamment à s’alimenter, n’ont guère obtenu de dérogations à ces limitations de visites (fréquence et durée). Des situations ubuesques ont été rapportées au Défenseur des droits telles que l’interruption brutale du repas en raison de la fin du temps de visite octroyé. Les situations de perte de poids de personnes résidant en EHPAD ont également fréquemment été dénoncées ». Le rapport lui-même indique une forte ressemblance avec le milieu carcéral : « Les conditions de visites ont été couramment décrites comme celles d’un « parloir », de personnes en détention sous la surveillance d’un membre du personnel ».
◆ De lourdes conséquences
« Ce constat se poursuit depuis lors, et nombre de témoignages et réclamations font état de personnes ayant perdu le goût de la vie, souffrant de dépression, exprimant le sentiment d’être emprisonnée ou encore leur envie de ne plus vivre. Le Défenseur des droits a également reçu de nombreux témoignages de proches craignant que la personne résidant en EHPAD ne meure de tristesse et de solitude ».
◆ L’homme de Neandertal enterrait ses morts
Le décret du 1er avril 2020 a interdit, pendant un mois, les pratiques habituelles de soins et de conservation des défunts avant leur inhumation et ordonné une mise en bière immédiate de ceux possiblement atteints du Covid. Malgré l’abrogation du 11 mai 2020 et l’annulation par le Conseil d’Etat le 22 décembre 2020 : « le Défenseur des droits a été saisi de situations où des personnes résidant en EHPAD sont décédées seules, sans accompagnement de leur proche, en raison du maintien de strictes mesures de précaution suspendant toute visite dans le cas d’apparition de cas de Covid-19 dans l’établissement ».
◆ Une série de recommandations
Le Défenseur des droits propose à partir de la page 46 de son rapport : 64 recommandations. Ayant pour base les principes « du libre choix, du consentement éclairé et droit à l’information de la personne accueillie », celles-ci sont destinées aux agences régionales de santé, aux conseils départementaux et à divers ministres afin d’améliorer la situation. Notamment la recommandation 59 qui incite à « veiller à ce que toutes les décisions liées au renforcement des mesures de contrainte sanitaire (restriction de visites, limitation de la liberté d’aller et venir) soient prises pour une durée déterminée et limitée dans le temps, et proportionnées aux situations individuelles. » Auront-elles un impact concret et permettront-elles de faire évoluer et de préciser le cadre juridique concernant les droits et libertés des personnes en EHPAD ?
Retrouvez l’intégralité du rapport : « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad »
(notamment le chapitre II, à partir de la page 35, intitulé : « L’impact de la crise sanitaire sur les droits et libertés des personnes accueillies en EHPAD »)
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