Un reportage de France TV sur l’éducation sexuelle qui incite au débat
Le 21 novembre 2024, France TV publiait un reportage intitulé “Éducation sexuelle : une infirmière scolaire sous la pression d’associations conservatrices”. Un extrait de l’un de nos reportages réalisé en 2023 sur les dérives de cette éducation était utilisé sans notre autorisation. De quoi ouvrir le débat sur ce sujet pas toujours consensuel ?
◆ Des propos inexistants ou déformés ?
Le reportage de France TV semble présenter un parti pris dès le début : une infirmière de Saint-Étienne, accusée en 2023 d’avoir choqué des élèves de CM2 lors d’un cours d’éducation sexuelle, se décrit comme victime de fausses accusations. L’introduction donne l’ambiance : “De supposées citations d’enfants sont présentées dans les médias jusqu’à jeter le discrédit sur toute l’éducation à la sexualité.” Selon l’infirmière, certains termes qui ont choqué certains, tels que “sexe dans les fesses”, n’ont pas été prononcés par elle, mais par les élèves eux-mêmes, pendant les questions qu’ils ont posées durant la séance. Comme elle l’explique, il n’est pas rare que des enfants demandent pendant cette séance ce qu’est “sucer”. En résumé, l’infirmière affirme que ce ne sont pas ses mots, mais ceux des enfants.
◆ Une parole étouffée et décrédibilisée ?
Si cela était vrai, totalement ou en partie, cela remettrait-il en cause la légitimité d’un élève à se sentir traumatisé par de tels propos ? Le fait même d’entendre leur camarade poser ce genre de questions, même si l’infirmière déclare leur avoir répondu que ces questions étaient inappropriées, ne peut-il pas choquer un enfant de primaire ?
La parole des élèves et de leurs parents a-t-elle une once d’importance pour la journaliste de France TV ? Cette question se pose, car ni les parents ni les enfants concernés par l’incident avec l’infirmière scolaire n’ont été interviewés pour des raisons que nous ignorons. Nous aurions pu douter de leur existence si nous n’avions pas nous-mêmes recueilli des témoignages dans notre reportage dont certains extraits ont été utilisés par France TV sans notre consentement, comme celui de la maman de l’un des élèves.
◆ De la compassion unilatérale ?
Nous pouvons voir l’infirmière scolaire pleurer, encore sous le choc de s’être sentie accusée de ne pas avoir protégé les enfants alors que c’était son but par ces séances. Cela peut certes donner lieu à de la compassion, mais aucune n’est exprimée envers les enfants qui ont pu sortir traumatisés de telles séances, même si ce n’était pas à cause de ses propos à elle. Et comment les gens auraient-ils pu savoir en 2023 sa version des faits puisque le reportage de France TV dit qu’il est le premier à partager son témoignage, que le rectorat lui-même (que notre journaliste avait contacté à l’époque mais qui ne lui avait pas répondu) l’a désavouée et qu’elle a été suspendue de ses fonctions ?
◆ Un cas particulier plutôt qu’une situation globale
Un autre point “mystérieux” (pour reprendre l’adjectif utilisé dans le reportage de France TV pour qualifier le collectif de parents en colère mobilisés contre les cours d’éducation sexuelle) est que le reportage semble réduire la controverse sur l’éducation sexuelle au seul cas de l’infirmière de Saint-Étienne. Pourtant, des parents d’élèves scolarisés dans d’autres régions de France racontent avoir vécu le même genre d’expérience, comme ce père qui, dans notre reportage, témoigne à Montpellier du fait que sa fille est rentrée bouleversée d’un atelier d’éducation sexuelle dont il n’avait pas été informé.
La journaliste préfère notamment axer le reportage sur le fait que Sophie Audugé, présidente de l’association SOS Éducation jugée “conservatrice”, outrée notamment par le fait qu’on la questionne seulement sur “un cas sur 100” évoqués dans son livre, s’est énervée pendant l’interview et a quitté la pièce au moment où a été évoqué ce cas stéphanois. Ou sur le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Pap NDiaye, contacté par les collectifs de parents, qui déclare qu’il n’avait avec eux “aucune interaction puisque ce sont des groupes extrêmes qui n’entendent aucun argument rationnel et qui ont des objectifs parfaitement contraires à l’intérêt des élèves” et qu’il avait “mieux à faire que lire leur prose fétide”.
◆ Plutôt de l’émotionnel que du fond
Il semblerait dans ce reportage qu’être contre ces séances soit tout simplement “conservateur”, voire extrémiste, sans entrer dans le fond des choses. Pas un mot sur le contenu des programmes pour l’éducation sexuelle dès la maternelle, leur origine et les divers points pouvant prêter à interrogation ou à confusion, notamment sur celui recommandé par l’OMS aux autorités politiques européennes, ou encore certaines sources utilisées par Eduscol. Nulle expression d’une possibilité d’“effraction psychique” chez les enfants et aucun entretien avec un pédopsychiatre remettant en question ces sessions d’éducation sexuelle, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises chez Nexus, ou les encourageant en expliquant pourquoi. La question de l’influence de l’accès très facile au porno n’est pas non plus évoquée.
Page 38 des standards de l’OMS, dans un tableau dédié aux enfants de 0 à 4 ans.
L’eurodéputée Sarah Knafo, interviewée dans ce reportage, dit sur X ne pas avoir apprécié que certaines informations n’aient pas été communiquées sur l’infirmière et s’être sentie flouée par l’omission de certaines informations.
◆ Des points de vue qui divergent
Sophie Audugé, interviewée fin novembre par Pascal Praud sur Europe 1, qualifiée d’opposante à la sexualité dans le reportage de France TV, déclarait pourtant que l’école a son rôle à jouer pour lutter contre les abus sexuels dont l’inceste : “Ce n’est pas en parlant de consentement, ce n’est pas en donnant les mots du sexe, ce n’est pas en parlant de sexualité, c’est en posant des interdits. Et ce mot ‘des interdits’, ça doit être dit par les parents, et ça doit être dit par l’école, les deux.” Elle ajoute que l’école n’a pas à défaire ce qui est fait à la maison et qu’un enfant “à qui on va dire quelque chose dans le cadre scolaire par une personne ayant autorité sur lui, avant 9 ans, va la croire sur parole”.
L’infirmière scolaire déclare quant à elle dans le reportage que ces sessions d’éducation sexuelle ont permis à certains enfants de comprendre et de dénoncer les violences sexuelles dont ils sont victimes, notamment à la maison, car oui, l’inceste est bel et bien présent et il est fort à parier que certains parents sont contre l’éducation sexuelle pour ne pas se faire repérer.
◆ Un clivage à dépasser ?
Le sujet est sensible et il n’est pas rare de constater comme dans d’autres domaines une certaine binarité dans la manière de présenter les choses en la matière. Des étiquettes comme “wokistes”, “pervers” ou “dégénérés” sont utilisées d’un côté, et de l’autre celles de “conservateurs”, “réacs” ou “fachos”, sans compter les “gauchistes” ou “l’extrême droite”. Les associations, parents et enfants qui se disent “choqués” par les cours d’éducation sexuelle sont-ils tous réellement “conservateurs” et non “progressistes”, comme le laisse entendre le titre du reportage de France TV ? Et les personnes qui tiennent par exemple à ce qu’on explique à leurs enfants le consentement sont-elles “wokistes” ?
Si tel était le cas, n’auraient-ils pas le droit d’éduquer leurs enfants à leur façon, notamment sur les questions sexuelles ? Et finalement, de manière plus générale, l’éducation à la sexualité, quand elle dépasse à partir du secondaire l’explication du fonctionnement de la reproduction et de la transmission des maladies, a-t-elle lieu d’être à l’école ?
◆ Des interrogations légitimes
Face à ces différentes façons d’appréhender le sujet, quelques autres questions et pistes de solutions sont à mettre sur la table. Par exemple, les idéologies mises de côté, la psychologie des enfants selon leur âge est-elle toujours bien prise en considération dans les programmes d’éducation sexuelle ? Y a-t-il un suivi prévu par l’Éducation nationale lorsqu’un enfant est traumatisé par des informations qui lui ont été transmises, alors même qu’elles auraient été au préalable jugées comme adaptées à son âge par certains spécialistes ?
Quant à apprendre le consentement aux enfants sans le consentement des parents, voilà qui peut paraître pour le moins “insolite”… Ne pourrait-on pas envisager de systématiquement demander aux parents leur accord pour que leurs enfants participent aux ateliers d’éducation sexuelle en étant informés au préalable de leur contenu ? Voire d’organiser une réunion explicative en leur présence ? Tout en restant conscients que les élèves y participant ou non échangeront en dehors des cours et qu’on ne pourra pas les en empêcher.
Y a-t-il des solutions existantes ou à envisager, lorsque les sessions d’éducation sexuelle n’ont pas lieu dans les écoles, ou lorsque les parents refusent que leurs enfants y participent (quand ils sont prévenus), pour que les enfants violentés sexuellement puissent s’exprimer et être protégés ?
◆ Des passerelles à créer
S’ils étaient réunis autour d’une table, que ce soient les associations appelées “conservatrices” ou “wokistes”, les infirmières scolaires participant aux programmes d’éducation sexuelle, les pédopsychiatres, les journalistes de France TV ou de Nexus, les parents et politiques, la plupart d’entre eux s’accorderaient probablement sur le fait qu’ils veulent la protection et le bien-être des enfants pour qu’ils deviennent des adultes les plus épanouis et bienveillants possibles.
Plutôt que parler de “grands fantasmes autour du programme” comme le fait cet article de l’internaute, ou de “perversion” comme nous avons pu nous-mêmes le faire, serait-il possible de débattre de ce sujet posément, même lorsqu’au départ nous ne semblons pas d’accord ? C’est ce que nous allons tenter de faire prochainement dans une prochaine vidéo, en rassemblant des personnes aux opinions de prime abord ou réellement divergentes, si elles acceptent de s’ouvrir et d’échanger via notre média…
Article par Estelle Brattesani
⇒ Voir le reportage de Valentine Watrin et Mikael Bozo diffusé sur France TV :
⇒ Voir notre reportage réalisé par Armel Joubert des Ouches en 2023 :
→ Lire notre dossier paru dans notre n° 152 (mai-juin 2024) :
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