Fraude sur les eaux en bouteille : Nestlé Waters échappe à son procès d’une bien étrange manière
Visé par deux enquêtes préliminaires concernant des forages illégaux et des faits de tromperie sur ses eaux vendues en bouteille, Nestlé Waters vient d’échapper aux deux procédures en concluant avec le parquet d’Épinal une convention judiciaire d’intérêt public. Pourtant, ce type d’accord n’est normalement pas prévu pour les délits de tromperie…
◆ Un tiers des marques vendues en France concernées
En janvier dernier, une enquête journalistique de la cellule investigation de Radio France et du Monde avait révélé que les groupes Nestlé et Sources Alma avaient eu recours à des systèmes de purification interdits pour leurs eaux en bouteille, ce qui représente un tiers des marques commercialisées en France.
⇒ Lire notre article du 5 mars 2024 :
◆ De l’eau traitée, mais toujours étiquetée « naturelle »
Concernant les eaux de Nestlé Waters (Vittel, Perrier, Contrex, Hépar), la répression des fraudes a découvert que les usines du groupe utilisaient des filtres à charbon actif et des traitements par rayons ultraviolets. Selon les dirigeants, convoqués au ministère de l’Industrie en août 2021, ces procédés servaient à purifier des eaux provenant de sources régulièrement contaminées par des bactéries ou des traces de polluants chimiques. Autrement dit, ils pompaient de l’eau contaminée et la traitaient sans en informer personne, tout en continuant à la vendre sous l’étiquette « eau minérale naturelle » !
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sanitaires (Igas), remis en juillet 2022 au gouvernement, indique de plus que ces pratiques ont été « délibérément dissimulées » aux yeux des inspecteurs, lors de leurs visites de contrôle au sein des usines.
◆ Une enquête préliminaire pour « tromperie »
En octobre 2022, l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est a saisi le procureur de la République d’Épinal, dans les Vosges, où Nestlé Waters possède des usines à Vittel et Contrexéville et où l’eau Hépar est également mise en bouteille. Une enquête préliminaire pour « tromperie » au Code de la santé publique a été ouverte par le parquet en janvier 2023.
De son côté, suite aux révélations de l’enquête journalistique, l’ONG de défense des consommateurs Foodwatch a dénoncé une « fraude massive » et porté plainte en février 2024 devant le tribunal judiciaire de Paris contre Nestlé Waters et Sources Alma (Cristaline, Courmayer, Mont-Blanc, Saint-Yorre…), pour neuf infractions à la directive européenne sur les eaux minérales, au Code de la consommation et au Code de la santé publique. S’agissant de Nestlé Waters, la plainte a été transférée au tribunal d’Épinal.
◆ Deux affaires liquidées en même temps
Dans les Vosges, la filiale eau du groupe suisse était en fait visée par deux enquêtes préliminaires : l’une pour forages illégaux (suite à des plaintes déposées par des associations de défense de l’environnement), l’autre pour tromperie. Mais ce mardi 10 septembre 2024, Nestlé Waters a conclu une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le parquet d’Épinal, un accord qui lui permet d’échapper aux deux procédures en payant en échange une amende de 2 M€. Deux millions d’euros, une somme dérisoire pour le n°1 mondial de l’eau en bouteille, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 3,4 milliards d’euros en 2023.
Selon France Info et l’AFP, Nestlé Waters s’est néanmoins engagé, en sus, à réparer l’impact écologique de ses forages illégaux en investissant la somme de 1,1 M€ dans un « ambitieux plan de renaturation et de restauration » des cours d’eau et des zones humides impactées sur le territoire de Vittel et Contrexéville. Ce plan, qui doit durer deux ans, sera mis en œuvre sous la supervision de l’Office français de la biodiversité. Nestlé Waters va, de plus, indemniser plusieurs associations de défense de l’environnement pour un montant total de 516 800 €.
◆ Foodwatch dénonce une mise sous le tapis
Si « certaines associations plaignantes ont accepté de chiffrer un préjudice » tout en critiquant la méthode, comme le rapportait Radio France quelques heures avant la signature, « d’autres, comme Foodwatch, refusent catégoriquement toute transaction financière, accusant Nestlé de vouloir […] s’en sortir sans autre explication ni conséquence ».
Dans un communiqué en date du 10 septembre, l’ONG affirme en effet qu’elle « ne lâche rien ». « C’est une décision scandaleuse qui envoie un très mauvais message sur le climat d’impunité, commente l’une de ses responsables, Ingrid Kragl. Nestlé Waters peut tromper les consommateurs pendant des années dans le monde entier et s’en tirer à bon compte en sortant simplement le chéquier. Compte tenu de la gravité et de l’étendue des faits, des nombreuses infractions au Code de la santé publique et au Code de la consommation, il est inadmissible que cette fraude massive soit ainsi glissée sous le tapis. » Foodwatch déclare qu’elle « utilisera tous les moyens légaux pour briser [ce] climat d’impunité ».
◆ Une convention judiciaire pas très claire
Radio France rappelle d’ailleurs que ce n’est pas la première fois que Nestlé échappe à un procès par le truchement d’une CJIP. « En 2022 déjà, [le groupe] avait signé ce type de convention judiciaire avec le parquet de Charleville-Mézières, après la pollution d’une rivière ayant entraîné une forte mortalité piscicole ».
Notre consœur du service public souligne cependant que « si cette procédure, créée en 2016 par la loi Sapin, a bien été élargie en 2020 aux atteintes environnementales, elle ne peut être utilisée selon la législation pour les délits de tromperie, comme c’est le cas dans l’affaire des eaux contaminées traitées illégalement ». Le page du site du ministère de la Justice consacrée aux CJIP confirme cette affirmation.
◆ Un dossier louche à plusieurs égards
Plusieurs anomalies parsèment en réalité ce dossier des eaux traitées et interrogent sur la complicité de l’État. Pourquoi, après l’aveu au ministère de l’Industrie en 2021, le gouvernement n’a-t-il informé ni la justice, ni les autorités européennes, comme il aurait dû le faire ? Pourquoi les parlementaires ne peuvent-ils pas avoir accès au rapport de l’Igas de 2022, comme l’a indiqué le sénateur de l’Oise Alexandre Ouizille (PS) au micro du Monde Moderne en février 2024 ?
Et pourquoi cette affaire a-t-elle subitement été fusionnée avec celle des forages pour aboutir à une CJIP, alors que cette procédure ne peut normalement concerner les délits de tromperie ?
◆ Nestlé est-il protégé par Macron ?
Certains commentaires sur les réseaux sociaux rappellent que l’un des hauts faits bien connus d’Emmanuel Macron, à l’époque où il était encore banquier d’affaires chez Rothschild & Cie, a été de conseiller Nestlé pour remporter à l’arraché le rachat de la division nutrition infantile de Pfizer, devant son concurrent Danone.
C’était en 2012. Même si de l’eau (pas forcément minérale et naturelle) a coulé depuis sous les ponts et que le PDG de Nestlé n’est plus celui avec lequel le jeune Macron avait, semble-t-il, tissé des liens serrés, peut-on totalement exclure la possibilité d’une forme de protection de la part de l’actuel chef de l’État vis-à-vis de son ancien client ?
Article par Alexandra Joutel
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