Loi de programmation militaire : vers une modification inquiétante du régime des réquisitions ?
Passé en commission mixte paritaire ce lundi, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 doit encore être adopté par les deux assemblées pour être définitivement voté. Plusieurs personnalités alertent cependant sur ce texte, qui contient de nouvelles dispositions inquiétantes pour les libertés fondamentales. Biens, services et personnes pourraient en effet se voir réquisitionnés « en cas de menace, actuelle ou prévisible » par simple décret en Conseil des ministres…
◆ Un projet de loi en procédure accélérée
Depuis plusieurs jours, des personnalités tentent de tirer la sonnette d’alarme sur les réseaux sociaux : « Pendant que la rue est en feu, les textes passent sans encombre au Parlement », écrit le 1er juillet sur son fil Telegram l’avocate Virginie de Araújo-Recchia, très investie dans la défense des libertés publiques et des droits fondamentaux. « Loi de programmation militaire. Si l’article 23 du projet de loi passe, la présidence France peut réquisitionner, sans déclaration de guerre. Pour une gouvernance de réquisition par décrets ? » interpelle de son côté le sociologue Yves Darcourt Lézat sur son compte Twitter. On pourrait citer d’autres exemples.
Dans le collimateur de ces lanceurs d’alerte ? Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Soumis à une procédure accélérée (c’est-à-dire avec peu de temps pour en débattre), ce projet de loi a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 7 juin, puis par le Sénat le 29 juin. Finalisé en commission mixte paritaire lundi dernier, le texte doit encore être adopté par les deux chambres. Il sera présenté en séance publique au Sénat ce jeudi 13 juillet.
◆ « En cas de menace, actuelle ou prévisible »
Précisément, c’est l’article 23 de ce projet de loi qui pose problème, en raison des modifications profondes et importantes qu’il apporte au régime des réquisitions du Code de la défense. Très différent de sa version en vigueur, l’article L.2212-1 du Code est notamment réécrit de la manière suivante : « En cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous les biens et les services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en Conseil des ministres. »
Question : qu’est-ce qu’une « menace, actuelle ou prévisible » ? C’est vague. L’imprécision du texte laisse le champ libre aux interprétations et on peut légitimement se demander si toute situation ne pourrait pas potentiellement devenir une « menace actuelle » ou surtout « prévisible ». Il suffira au gouvernement de la déclarer comme telle. « Comme pour toute situation de crise, c’est la généralité des termes qui laisse craindre le pouvoir discrétionnaire pour ne pas dire arbitraire », souligne l’avocat David Guyon dans un article consacré à ce sujet sur son site internet.
◆ Les motifs de cette modification
Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est indiqué qu’actuellement, « les cas d’ouverture du droit à réquisition paraissent à la fois insuffisamment précis et mal adaptés aux besoins actuels de la défense nationale comme aux nouvelles missions des forces armées et formations rattachées. En effet, hormis quelques hypothèses limitées, les réquisitions militaires ne peuvent être utilisées qu’en cas de mobilisation partielle ou générale, ce qui apparaît particulièrement restrictif. Ainsi, la mise en œuvre des réquisitions pour les besoins généraux de la Nation est destinée, par les textes, à pourvoir aux “besoins de la défense” en cas de menace (dont ni la nature ni l’intensité ne sont précisément définies) […]. » Est-ce vraiment plus précis ? De plus, on apprend au passage que les réquisitions s’étendront au-delà des seuls cas de mobilisation partielle ou générale. Les contours sont donc de plus en plus vagues…
L’exposé précise cependant : « Concrètement, il n’est pas possible de recourir à une réquisition afin de répondre à une situation d’urgence susceptible d’affecter les forces armées sans qu’une menace sur la vie de la Nation ne soit réellement caractérisée. » Mais sur quels critères cette menace sera-t-elle caractérisée ?
◆ Réquisitions des personnes, des biens et des services
Le périmètre des réquisitions, qui comprend les personnes, les biens et les services, a suscité de nombreuses inquiétudes sur les réseaux sociaux. Pour autant, l’actuel Code de la défense prévoit déjà les réquisitions des personnes (chapitre II), et celles de biens et services (chapitre III). Mais pas de la même manière.
Par exemple, un nouvel article (L.2212-6) précise le périmètre des personnes, physiques ou morales, pouvant être réquisitionnées. Celui-ci se révèle très large : « Toute personne physique présente sur le territoire national. Toute personne physique de nationalité française ne résidant pas sur le territoire national. Toute personne morale dont le siège est situé en France. Tout navire battant pavillon français, que l’armateur soit de nationalité française ou étrangère, y compris en haute mer ou dans des eaux étrangères.» Étrangers résidant en France, vous voilà prévenus. Français vivant à l’étranger aussi. Nul n’y échappera.
En amont, l’exposé des motifs se veut encore une fois rassurant : « Les garanties apportées aux personnes faisant l’objet d’une réquisition sont consolidées : les réquisitions doivent être strictement nécessaires, c’est-à-dire qu’il est impossible que l’État atteigne ses objectifs sans y recourir, strictement proportionnées et limitées dans le temps. Elles sont également précédées de la recherche d’un accord amiable. »
◆ Recensement préalable pour des essais et exercices
Autre nouveauté : les « sujétions préalables aux réquisitions » (chapitre Ier réécrit, articles L.2211-1 à L.2211-5) qui prévoient « le recensement, parmi les personnes, biens et services susceptibles d’être requis […], de ceux que chaque ministre peut, dans les limites de ses attributions, soumettre à tous les essais ou exercices qu’il juge indispensables ». Le texte précise que « ces essais et exercices […] ne peuvent excéder cinq jours par an » et que leur « programmation […] est portée à la connaissance des personnes concernées et, le cas échéant, de leur employeur au plus tard quinze jours avant leur exécution». Un entraînement, en quelque sorte.
Mais encore une fois, sur quels critères ces personnes seront-elles désignées ? L’article ne le précise pas.
Il sera, dans tous les cas, difficile de s’y soustraire. À l’article L.2212-9, les réfractaires sont prévenus : « Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 500 000 euros le fait de ne pas déférer aux mesures légalement ordonnées en application des articles L.2212-1 et L.2212-2. » À bon entendeur…
◆ Les pleins pouvoirs donnés à l’exécutif
Enfin, une autre inquiétude majeure relative à ces nouvelles dispositions est le pouvoir donné à l’exécutif. En effet, selon l’article L.2212-1, les réquisitions peuvent être décidées « par décret en Conseil des ministres ». Pire encore, à l’article suivant (L.2212-2), il est stipulé que « lorsqu’il n’est pas fait application des dispositions de l’article L.2212-1 […], en cas d’urgence, si la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie, le Premier ministre peut, par décret, ordonner la réquisition de toute personne, physique ou morale, de tout bien et de tout service. Il peut également habiliter l’autorité administrative ou militaire qu’il désigne à procéder aux réquisitions. »
« En cas d’urgence »… Qu’est-ce qu’un cas d’urgence, formulation qui n’existait pas auparavant ? Comme le souligne Me Guyon dans son commentaire, en rappelant ce qu’il s’est passé pour les pass sanitaire puis vaccinal : « Aujourd’hui, “l’urgence” constitue le mot qui caractérise les lois sous la présidence Macron. »
◆ Les libertés fondamentales menacées
Considérant que « le législateur donne un blanc-seing au Premier ministre pour prendre toute mesure qu’il estime justifiée », l’avocat s’inquiète et souligne qu’une «telle délégation de pouvoirs peut laisser craindre tous les excès ». Il ajoute que « les contre-pouvoirs ont failli à leurs missions durant la crise sanitaire. Ces derniers ont validé toutes les mesures sans jamais exiger du gouvernement qu’ils rapportent la preuve de l’utilité, la nécessité et la proportionnalité des mesures. Pourquoi en serait-il différemment pour les menaces militaires?Dans ces conditions, les citoyens ont tout à craindre de telles mesures. En effet, les libertés fondamentales risquent de plus en plus de devenir facultatives. ». Et de conclure : « La démocratie rappelle que tous les coups ne sont pas permis. »
Article par Alexandra Joutel
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