Un ministre belge à scandales futur commissaire européen ?
Depuis plusieurs mois, le ministre de la Santé belge, Frank Vandenbroucke, se retrouve au cœur d’une affaire explosive en lien avec des marchés de logistique de matériel médical. En 1995, il avait déjà dû démissionner de son poste de ministre des Affaires étrangères pour une affaire de rétrocommissions dans des marchés militaires. Aujourd’hui, ce poids lourd du parti socialiste flamand est donné favori pour intégrer la future Commission européenne…
◆ Bientôt une nouvelle Commission européenne
Dimanche 9 juin, les citoyens de l’Union européenne ont été appelés aux urnes pour élire leurs nouveaux députés européens. S’ensuivra la désignation du nouveau président ou de la nouvelle présidente de la Commission européenne, puis celle des nouveaux commissaires européens.
Plus que jamais, le rôle joué par la Commission est devenu problématique sous la présidence d’Ursula von der Leyen, tant cette instance semble parfois s’affranchir de toutes les règles pour agir seule et sans concertation avec le Parlement européen. L’affaire des SMS échangés directement entre Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer pour négocier en « off » le contrat d’achat des vaccins contre le Covid en est sans doute l’exemple le plus marquant.
Souvenons-nous aussi de la façon dont Stella Kyriakides, la commissaire européenne à la santé, a signé seule en juin 2023 un partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour lancer un certificat sanitaire mondial, inspiré du certificat Covid numérique européen.
Il n’empêche que la présidente von der Leyen est aujourd’hui candidate à sa propre succession, aidée en cela par un Parquet européen qui tente manifestement d’étouffer l’affaire des SMS.
⇒ Lire notre article du 27/05/2024 :
◆ Les casseroles du ministre Vandenbroucke
Selon le résultat des élections de dimanche, une autre personnalité politique sulfureuse pourrait faire son entrée sur la scène européenne : il s’agit de Frank Vandenbroucke, l’actuel ministre belge des Affaires sociales et de la Santé publique. L’homme traîne déjà une grosse casserole : l’affaire Agusta-Dassault, dans laquelle le parti socialiste flamand (SP), dont il a été président, a touché des rétrocommissions liées à des marchés militaires. Éclaboussé par cette affaire, Frank Vandenbroucke avait dû démissionner de son poste de ministre des Affaires étrangères en 1995.
De nouveau ministre depuis octobre 2020, le socialiste convoiterait aujourd’hui un poste de commissaire européen. Mais un autre scandale lui a récemment explosé à la figure : l’affaire Medista-Movianto, à laquelle nos confrères de Blast ont consacré une longue enquête en trois volets. Difficile à résumer tant elle est à tiroirs, cette affaire implique le ministère de la Santé belge durant la crise Covid, mais également dans le cadre de la guerre en Ukraine.
◆ Le cabinet Deloitte, responsable de 150 M€ d’achats de matériels inutilisables ?
Dans un premier temps, elle met en cause le cabinet de conseil Deloitte, chargé d’accompagner le ministère dans la gestion de la pandémie. Son incompétence a très vite été dénoncée par la société belge Medista, à qui avait été confiée la logistique du matériel médical pour les hôpitaux, ainsi que celles des tests et des vaccins. Achats de lots périmés, de contrefaçons, de produits à la date de validité trop courte pour la distribution… Selon Medista, les impérities de Deloitte auraient fait perdre au gouvernement belge quelque 150 M€ en produits inutilisables ou frauduleux.
Le problème est que la haute fonctionnaire en charge du dossier au sein du ministère prendra la défense de Deloitte et accusera Medista d’être responsable de ces achats. À partir de là, une sorte de harcèlement va se mettre en place envers l’entreprise, qui va également avoir de plus en plus de difficultés à se faire payer ses factures.
◆ Un marché attribué à un drôle de prestataire français
L’affaire prend une telle tournure que Medista finit par envoyer un courrier au ministre lui-même en janvier 2022. Mais Frank Vandenbroucke prend également la défense de Deloitte et, le mois suivant, suite à un appel d’offres, Medista perd ses marchés, qui couraient pourtant jusqu’en 2025.
Le nouveau prestataire sélectionné par le ministère de la Santé s’appelle Movianto. Un choix qui fait aussitôt tiquer la dirigeante de Medista, Sarah Taybi. En effet, cette filiale du groupe français Walden ne dispose d’aucune infrastructure en Belgique et ne possède pas les licences permettant de gérer la distribution de vaccins.
◆ D’anciens espions du Mossad investiguent…
Flairant l’arnaque, Medista saisit le Conseil d’État belge pour contester la procédure de mise en concurrence, mais sera déboutée. Pugnace, la dirigeante de la PME décide alors d’employer les grands moyens et de faire appel à une société de renseignements pour mener l’enquête. Elle s’adresse à Black Cube, une structure créée par d’anciens agents du Mossad !
Usant d’un stratagème destiné à piéger la haute fonctionnaire responsable du marché public et le directeur commercial de Movianto, l’« espion » missionné réussira à obtenir les aveux des deux protagonistes, enregistrés en vidéo : l’attribution de ce marché à 50 M€ a bien été convenue entre eux, en amont de l’appel d’offres, et Movianto a été aidé par la fonctionnaire pour le remporter.
◆ Un gros contrat à 50 M€, mais aussi un petit à 1,4 M€
Mais ce n’est pas tout. Les conversations enregistrées révèlent une autre affaire dans l’affaire, comme le rapporte Blast. Quelque temps avant le « gros contrat » à 50 M€, Movianto avait déjà décroché auprès du gouvernement fédéral un « petit contrat » à 1,4 M€ pour l’acheminement de matériel médical en Ukraine, dans le cadre du programme européen RescUE. Un contrat sur lequel la société Medista était déjà positionnée, avant d’être là encore écartée. Un contrat qui, lui aussi, a fait l’objet d’un « petit arrangement entre amis ».
◆ Un audit interne qui charge la fonctionnaire, mais dédouane le ministre
Les premiers extraits de ces vidéos ont été publiés en décembre 2023 dans le quotidien flamand Het Laatste Nieuws, forçant le ministre Vandenbroucke à organiser une conférence de presse en urgence. Mais selon Blast, celle-ci aurait surtout servi à faire taire la presse wallonne (francophone) qui n’a, depuis, que peu traité l’affaire. On en trouve toutefois un bon résumé sur le site du média indépendant 7sur7.
Frank Vandenbroucke a néanmoins annoncé lors de cette conférence qu’il allait lancer un audit interne, dont les conclusions ont été présentées en mars 2024. Mais si le rapport de l’audit fédéral pointe bien les fautes déontologiques de la haute fonctionnaire, il ne constate en revanche aucune erreur de procédure dans l’attribution du marché public.
◆ L’opposition réclame une enquête judiciaire
Dans les rangs de l’opposition, l’affaire fait débat. La première à s’en être saisie est la députée nationaliste flamande Kathleen Depoorter, qui dénonce « un mensonge flagrant » et a demandé en janvier 2024 la démission du ministre Vandenbroucke. Elle a depuis été rejointe par des parlementaires d’autres partis, qui réclament une enquête judiciaire indépendante à son sujet.
En attendant, le socialiste belge Frank Vandenbroucke reste l’un des favoris pour intégrer la future Commission européenne. Pas sûr que sa nomination, si elle devenait effective, contribuerait à renforcer la confiance des citoyens de l’UE dans cette institution…
Article par Alexandra Joutel
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