SMSgate et plainte pénale contre Ursula von der Leyen : comment le Parquet européen tente de récupérer (et d’enterrer) l’affaire
En avril 2023, le citoyen belge Frédéric Baldan a déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile au tribunal de Liège contre Ursula von der Leyen, suite à l’affaire des SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne et le PDG de Pfizer pour négocier le contrat d’achat des vaccins contre le Covid. Mais le Parquet européen semble vouloir faire obstruction au dossier.
◆ Des SMS toujours tenus secrets
Pour comprendre l’affaire, il faut d’abord revenir en arrière. En avril 2021, le New York Times révèle qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, aurait négocié elle-même, sans y être autorisée, le contrat d’achat des vaccins contre le Covid du laboratoire Pfizer, en échangeant des SMS avec Albert Bourla, le PDG du groupe pharmaceutique. Un contrat estimé à plus de 35 milliards d’euros pour 1,8 milliard de doses achetées.
Depuis cette révélation, plusieurs entités (la Cour des comptes européenne, le Parquet européen, la médiatrice de l’UE, les eurodéputés membres de la Commission COVI…) ont demandé à Ursula von der Leyen de rendre publics ces SMS. En vain, la principale intéressée laissant entendre qu’elle ne les a plus et la Commission européenne faisant l’innocente.
Le New York Times a lui-même engagé une procédure auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en février 2023 pour obtenir le contenu de ces SMS, au nom de la transparence et de la liberté d’accès à l’information. Une procédure qui n’a toujours pas abouti.
◆ D’abord un plaignant et aujourd’hui 500 !
C’est dans ce contexte que le citoyen belge Frédéric Baldan, par ailleurs lobbyiste, décide d’entreprendre une action en justice en avril 2023, en saisissant le tribunal de Liège. Estimant que ce contrat a porté atteinte aux finances publiques de son pays et que la façon dont il a été négocié nuit à sa confiance de citoyen envers les institutions européennes, il a déposé devant le juge d’instruction Frédéric Frenay une plainte pénale avec constitution de partie civile contre Ursula von der Leyen pour « usurpation de fonctions et de titre », « destruction de documents publics », « prise illégale d’intérêts et corruption ». L’espoir de Frédéric Baldan est que le juge d’instruction liégeois, réputé pour sa ténacité, soit « en mesure de réquisitionner les SMS et pas seulement de les demander ».
Au fil des mois, le Belge a été rejoint dans son action par d’autres plaignants qui s’estiment lésés : des citoyens, des associations, mais également deux États membres de l’Union européenne (la Pologne et la Hongrie), des partis politiques et, tout récemment, 467 personnels navigants français et hollandais (pilotes de ligne, hôtesses de l’air, stewards) des collectifs Les Navigants Libres et Luchtvaart. Soit quelque 500 plaignants en tout.
◆ Un Parquet européen qui se dit compétent
Mais la procédure engagée par Frédéric Baldan prend très vite une tournure inattendue, puisque le European Public Prosecutor’s Office (EPPO) décide de s’en mêler, en se déclarant compétent dans ce dossier. Opérationnel depuis juin 2021, ce nouveau Parquet européen a pour mission d’instruire les affaires de préjudices liés au budget de l’Union européenne. Au moment de la plainte, il dit être déjà en train d’enquêter sur l’acquisition des vaccins contre le Covid dans l’Union européenne.
Le problème est que les vaccins n’ont pas été achetés avec l’argent européen, mais avec celui des États membres, chaque pays ayant lui-même contracté avec les fabricants et acheté les vaccins avec ses propres deniers, l’Europe n’ayant eu qu’un rôle d’intermédiaire pour négocier des achats groupés. En ce sens, il n’y a donc pas eu atteinte au budget de l’UE, ce qui rend normalement l’EPPO incompétent. Normalement…
◆ Une demande d’irrecevabilité des plaintes
Dans les faits, le Parquet européen a quand même décidé de se saisir de l’affaire fin juin 2023, comme le rapporte le média belge Le Vif, qui aurait eu confirmation de ce transfert de juridiction tant par le parquet liégeois que par l’EPPO. Mais depuis cette date, c’est visiblement le grand flou et plus personne ne sait où en est l’avancement du dossier, l’EPPO refusant de communiquer dessus, comme le relate un long article de France-Soir publié le 9 mai dernier.
De son côté, le juge d’instruction Frenay poursuit son enquête qui, selon une source proche citée par France-Soir, serait « plus que sérieuse », avec des « preuves à charge suffisantes pour des poursuites ».
Mais, nouveau rebondissement, le Parquet européen fait soudain une requête d’irrecevabilité des constitutions de parties civiles des plaignants et demande au tribunal de Liège une audience de règlement du dossier.
◆ Un dossier… inexistant ?
L’audience a eu lieu le 17 mai dernier devant la Chambre du conseil du tribunal liégeois. Celle-ci n’a en réalité pas porté sur le fond de l’affaire, mais sur les modalités de la procédure et notamment sur le fait de déterminer si oui ou non l’EPPO est compétent pour instruire ce dossier.
Dans une conférence de presse organisée le lendemain, Frédéric Baldan et son avocate, Me Diane Protat, ont réaffirmé que, selon eux, le Parquet européen s’est indûment saisi de cette affaire. Ils ont par ailleurs émis des doutes sur le fait que l’EPPO ait instruit véritablement le dossier, puisque quand ils ont demandé à y avoir accès pour préparer leur défense, un officier de l’EPPO leur aurait répondu qu’il n’y avait pas de dossier !
◆ Un « no man’s land juridique » et une affaire renvoyée au 6 décembre
Comme le résume Frédéric Baldan, « cette procédure est devenue un sac de nœuds, car on ne sait plus qui est compétent dans l’affaire », « on se retrouve dans un no man’s land juridique ». Un court-circuitage selon lui voulu par l’EPPO et très certainement politique, dans le but d’enterrer l’affaire et de protéger Ursula von der Leyen, candidate à sa propre succession à la tête de la Commission européenne.
Pour autant, malgré les efforts du Parquet européen pour clore ce dossier dès ce 17 mai, la justice belge n’a pas suivi. Elle a renvoyé l’affaire au 6 décembre prochain, en demandant aux différentes parties d’apporter des éléments de réponse sur trois questions : celle de l’immunité d’Ursula von der Leyen, celle de la compétence de l’EPPO et celle de l’intérêt des victimes à agir. Pendant ce temps, le juge Frenay va pouvoir poursuivre son enquête.
Article par Alexandra Joutel
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