
Telegram quittera la France plutôt que de permettre aux autorités d’accéder aux messages privés, a annoncé Pavel Durov
Alors qu’en mars, les députés ont supprimé un article du projet de loi sur le narcotrafic visant à donner aux autorités un accès aux messageries chiffrées, le préfet de police de Paris a relancé le débat la semaine dernière, en assurant qu’un tel accès aurait permis de déjouer les récentes attaques contre les prisons. Une déclaration qui a fait bondir le PDG de Telegram, Pavel Durov.
◆ Plutôt partir que de céder
Non, Pavel Durov ne créera pas de faille dans le système de cryptage de Telegram pour en permettre l’accès aux services de renseignement. Plutôt quitter le marché français que de céder à une telle injonction, si jamais une loi allant dans ce sens était adoptée.
Le message est clair et provient d’une série de tweets publiée le 21 avril dernier par le patron de Telegram, en réaction aux propos de l’actuel préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, lors d’une interview sur BFM TV trois jours auparavant.
◆ Le Sénat pour un accès aux messageries cryptées, l’Assemblée nationale contre
« Le mois dernier, la France a failli interdire le cryptage. Une loi exigeant que les applications de messagerie mettent en place une “backdoor” (porte dérobée) pour l’accès de la police à des messages privés a été adoptée par le Sénat. Heureusement, elle a été rejetée par l’Assemblée nationale. Pourtant, il y a 3 jours, le préfet de police de Paris a de nouveau plaidé en faveur de celle-ci », contextualise Pavel Durov dans son premier post.
Le fondateur de Telegram fait ici allusion à la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic en cours d’adoption. Lors de l’examen du texte par le Sénat en janvier dernier, un amendement de Cédric Perrin (sénateur LR) avait permis de créer un article 8 ter visant à contraindre les messageries cryptées à donner leurs clés de chiffrement aux services de renseignement, afin que ceux-ci puissent accéder aux messages et aux données des narcotrafiquants.
◆ Une mesure essentielle, selon le préfet de police de Paris
Cet article a cependant été supprimé par la commission des lois de l’Assemblée nationale et n’a pas été réintroduit lors du vote du projet de loi en séance publique, ni lors des travaux de la commission mixte paritaire. La version finale du texte devrait donc être adoptée sans cette disposition, le 28 avril prochain.
« Ça n’a pas été accepté et ça veut bien dire qu’on doit encore poursuivre notre pédagogie pour bien expliquer en quoi ça nous est utile », a commenté le préfet de police de Paris au micro d’Apolline de Malherbe sur BFM TV. Persuadé (tout comme le Premier ministre, François Bayrou) que les attaques de prisons qui se sont déroulées la semaine dernière sont le fait de narcotrafiquants, Laurent Nuñez a insisté pour dire que les messageries cryptées, en particulier Telegram, sont « leur mode de communication privilégié » et qu’il faut que les services de renseignement ou de police judiciaire puissent y accéder, par exemple pour connaître à l’avance et déjouer ce type d’action.
◆ Trop de risques d’atteinte aux droits fondamentaux et au respect de la vie privée
Étonnant comme l’actualité est tombée à pic pour la démonstration… Mais contrairement à ce qu’affirme le préfet de police, ce n’est pas le manque de compréhension ou de pédagogie sur l’efficacité du dispositif qui a poussé une majorité de députés, qu’ils soient de gauche ou d’extrême droite, à rejeter l’article 8 ter du projet de loi. Les opposants au texte ont plutôt pointé du doigt les risques inhérents d’atteintes aux droits fondamentaux et au respect de la vie privée que représentent les « backdoors » pour l’ensemble des utilisateurs de messageries cryptées.
Pavel Durov le confirme : « Il est techniquement impossible de garantir que seule la police peut accéder à une porte dérobée. Une fois introduite, une porte dérobée peut être exploitée par d’autres parties – allant des agents étrangers aux pirates informatiques. En conséquence, les messages privés de tous les citoyens respectueux de la loi peuvent être compromis. »
◆ Une mesure qui aurait été inefficace, selon Pavel Durov
Le patron de Telegram estime, par ailleurs, que la disposition de l’article 8 ter de la loi « n’aurait de toute façon pas contribué à lutter contre la criminalité. Même si les applications cryptées traditionnelles avaient été affaiblies par une porte dérobée, les criminels pouvaient toujours communiquer en sécurité à travers des dizaines d’applications plus petites – et devenir encore plus difficiles à tracer en raison des VPN », précise-t-il dans ses tweets.
De manière plus générale, il rappelle que « le chiffrement n’est pas conçu pour protéger les criminels », mais pour protéger « la vie privée et la sécurité des gens ordinaires. Perdre cette protection serait tragique », insiste-t-il, en soulignant que cette loi « aurait fait de la France le premier pays au monde à priver ses citoyens de leur droit à la vie privée ».
◆ Une initiative similaire, présentée récemment par la Commission européenne
Mais l’affaire des « backdoors » est loin d’être terminée. « Nous allons déposer prochainement une loi sur le renseignement qui reprendra cette mesure », a ainsi déclaré le sénateur Cédric Perrin, selon des propos rapportés par Public Sénat.
De son côté, la Commission européenne vient de publier un texte baptisé « Protect EU : a european internal security strategy » (Protéger l’UE : une stratégie européenne de sécurité intérieure), daté du 1er avril 2025, dans lequel elle annonce vouloir mettre en place « une feuille de route technologique sur le chiffrement, afin d’identifier et d’évaluer les solutions technologiques qui permettraient aux autorités répressives d’accéder aux données chiffrées de manière légale, tout en préservant la cybersécurité et les droits fondamentaux. »
◆ Pavel Durov déterminé à défendre le cryptage jusqu’au bout
Jusqu’à présent, Telegram a accepté de fournir aux autorités les adresses IP et les numéros de téléphone de suspects dans le cadre d’une décision de justice en cours d’exécution, mais jamais la plateforme n’a « révélé un seul octet de messages privés », assure Pavel Durov.
Si des mesures françaises ou européennes devaient l’y contraindre, « Telegram préférerait quitter un marché plutôt que de saper le cryptage avec des portes dérobées et violer les droits de l’homme fondamentaux ».
◆ Un autre projet très proche : le règlement européen CSAR, soutenu par la France
Malheureusement, au nom de la sécurité ou de la lutte contre la criminalité, ce type de mesures liberticides est de plus en plus dans l’air du temps. Rappelons qu’un autre projet de règlement européen, baptisé CSAR (pour Child Sexuel Abuse Regulation) et surnommé « Chat control », est dans les tuyaux depuis 2022.
Ce texte, dont le but est de lutter contre la cyberpédocriminalité, prévoit notamment d’obliger les fournisseurs de services de communication interpersonnelle en ligne (réseaux sociaux, messageries, courriels, chats, applications de rencontre…) et les hébergeurs à scanner et analyser tous les contenus de leurs utilisateurs, afin de vérifier que ceux-ci ne sont pas à caractère pédopornographique. Un dispositif qui reviendrait lui aussi à supprimer le chiffrement de bout en bout et à anéantir toute confidentialité des échanges.
⇒ Lire notre article du 05/10/2023 :
Pour l’instant, cette proposition de règlement en est au point mort, suite aux réserves émises par plusieurs États membres, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas… La France, en revanche, pays dit des droits de l’Homme et des libertés, y est totalement favorable. Cherchez l’erreur.
Article par Alexandra Joutel
(Image principale extraite de l’entretien accordé par Pavel Durov au journaliste Mike Butcher lors de l’événement TechCrunch Disrupt en 2015)
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