Une transition énergétique sans feuille de route !
Faute d’un plan de route validé, la laborieuse loi de transition énergétique fait pâle figure à trois mois de la COP21. Trop près de la filière nucléaire, trop loin de l’ambitieux et crédible « mix électrique 100 % renouvelable » du rapport de l’Ademe.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte a été promulguée le 17 août 2015 puis publiée le lendemain dans le Journal officiel, à moins de quatre mois de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21) (1). Après validation de l’essentiel de la loi par le Conseil constitutionnel qui avait été saisi par plus de soixante députés et autant de sénateurs pour se prononcer sur la constitutionalité de la totalité du texte (pas moins !).
Les Sages ont finalement censuré trois articles (2) dont ceux relatifs à la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels et à la réduction des gaz à effet de serre dans la grande distribution, ainsi que plusieurs dispositions relatives au gaspillage alimentaire.
Trois ans de batailles pour voter la loi
Tel est l’épilogue du laborieux cheminement d’un texte de loi adopté le 22 juillet par le Parlement, après 3 ans de batailles entre députés et sénateurs. « La France prend une énergie d’avance ! » pavoisait Ségolène Royale dans un tweet publié le jour du vote. En réalité, il s’agirait plutôt d’un train de retard, notamment pour le nucléaire, principal point de discorde entre les deux chambres. En effet, l’un des objectifs fixés (3) par la loi prévoit de réduire la part du nucléaire dans le bouquet électrique (ou mix électrique) (4) à 50 % « à l’horizon 2025 », contre environ 75 % aujourd’hui (5).
Aux oubliettes, donc, la sortie du nucléaire ! Enterrée la préconisation du rapport de l’Ademe « Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050 » (PDF) (6) dont la présentation avait été déprogrammée en mars dernier ! Commandée et financée par l’Ademe pour 294 000 euros, cette étude était passée à la trappe sous prétexte qu’elle n’était pas finalisée (après 14 mois de travail…) et qu’il fallait « affiner les implications économiques et technologiques ». Le rapport peaufiné sera communiqué au « second semestre de 2015 » promettait l’Ademe…
Rapport de l’Ademe : une électricité 100 % renouvelable
Un escamotage court-circuité par Médiapart qui, dès le 8 avril, a divulgué sur son site le fameux rapport. Que révèle-t-il ? Que le scénario d’une électricité 100 % renouvelable est économiquement crédible, qu’il ne coûterait pas beaucoup plus cher aux consommateurs que le maintien du nucléaire à 50 % de la production électrique. Installation, entretien, stockage et transport compris, le mégawatt-heure (MWh) 100 % renouvelable coûterait, en 2050, 119 € (7) contre 117 € avec le maintien du nucléaire (pour une part de 50 %) et 40 % de renouvelables. Il serait légèrement inférieur avec 80 % de renouvelables (113 € / MWh) et un peu supérieur avec 95 % (116 € / MWh). Un coût à mettre en regard du coût actuel de l’électricité de 91 € MWh (8).
Les gabegies financières et les fiascos du nucléaire
Ainsi, la prétendue compétitivité de la filière nucléaire est-elle réduite à un maigre avantage de 2 €, soit 1,7 % du coût au MWh, autant dire une goutte d’eau dans les énergies renouvelables…
Un chiffre bien gênant pour l’industrie électronucléaire française qui persiste dans ses projets pharaoniques et dysfonctionnels tels qu’ITER ce « fiasco scientifique et financier programmé » (9) dont le coût approche 15 milliards, le Laser Mégajoules livré avec trois ans de retard à un coût multiplié par six (plus de 7 milliards d’euros) et l’EPR de Flamanville qui accumule anomalies et retards avec un coût multiplié par trois (9 milliards). Auxquels s’ajoutent les 5 milliards d’euros (10) que l’État devra verser à EDF pour réparer le préjudice subi du manque à gagner lié à l’exploitation de la centrale qui devra fermer (Fessenheim…) au moment de la mise en service de l’EPR de Flamanville en 2018, pour maintenir le même niveau de production.
Un prix de l’électricité plombé par les centrales vieillissantes
Un autre curseur fait grimper la facture de l’énergie nucléaire, c’est l’investissement pour les centrales vieillissantes, tant pour leur maintenance que pour leur fermeture. La Cour des comptes a tiré l’alarme sur les dérapages des coûts de la filière nucléaire dans son rapport publié en 2014 (11). Elle estime qu’il faudra investir 90 milliards d’euros jusqu’en 2033 pour les travaux de maintenance et de modernisation des 58 réacteurs nucléaires français exploités, afin de pouvoir prolonger leur durée de vie au-delà de 40 ans.
Et pour les centrales qui seront mises à l’arrêt, les experts de l’International Energy Agency (IEA) ont évalué que la fermeture et le nettoyage d’une centrale nucléaire coûterait entre 900 millions – 1,7 milliard d’euros (12). Selon l’IEA, la facture mondiale de la fermeture des centrales vieillissantes s’élèverait à 100 milliards de dollars durant les 25 prochaines années (et ce montant ne comprend pas la gestion des déchets).
La PPE coincée : pas d’objectifs concrets
Malgré tous ces chiffres astronomiques, le spectre d’influence du lobby nucléaire continue de noyauter toutes les strates du pouvoir. C’est ainsi qu’un mix électrique 50 % nucléaire a été voté pour l’horizon 2025. Et si la loi de transition a été publiée, elle est bien loin d’être jouée. Un amendement gouvernemental adopté au Sénat le 10 juillet 2015 a en effet repoussé la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les délais étant jugés trop serrés. La PPE, arrêtée par décret, détermine par étapes la trajectoire à suivre pour les différentes filières énergétiques, c’est un instrument essentiel de pilotage de la politique énergétique.
C’est elle qui permettra d’atteindre, ou non, les objectifs en matière de renouvelables et de nucléaire. La première PPE devait couvrir la période 2016-2018… à condition qu’elle ait été établie avant la fin de cette année, ce qui n’est pas le cas car seules des« consultations » seront « engagées avant le 31 décembre 2015 ». Sans PPE pas de traduction concrète de la loi dans les faits…
Un mauvais signal avant la COP21
Pour Anne Bringault, chargée de la coordination pour les ONG des activités sur la transition énergétique au Réseau action climat (RAC), au Cler – Réseau pour la transition énergétique et dans les Acteurs en transition énergétique : « Pour nous, décaler la publication de la première programmation pluriannuelle de l’énergie, c’est reculer encore le moment des choix sur les énergies renouvelables ou le nucléaire et c’est une stratégie dangereuse et coûteuse pour la France et un très mauvais signal à quelques mois de la COP21. »
Pas de visibilité avant 2016, donc, sur les arbitrages concrets et les véritables intentions du Gouvernement sur la politique énergétique qu’il entend mener pour un vrai changement. Une situation qui donne raison à Patrice Carvalho, secrétaire de la commission du développement durable et député de l’Oise, qui s’était exprimé avec lucidité sur ce sujet dans l’interview qu’il a donnée à Nexus (n° 99 juillet-août 2015) : « Il y aura de grands effets d’annonce qui serviront peut-être un peu politiquement. Mais je ne suis pas persuadé que derrière tout cela il y ait une vraie volonté de changer les choses. »
POUR ALLER PLUS LOIN
DOSSIER « L’énergie de la désinformation » – NEXUS n° 99 (juillet-août 2015) :
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Les véritables enjeux de la transition énergétique
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Les obstacles politiques face au changement
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La confusion des stratégies
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Le décryptage du langage des protagonistes
Notes :
- La Conférence de Paris sur les changements climatiques aura lieu du 30 novembre au 11 décembre 2015 à Paris. Elle est à la fois la 21e conférence des parties (COP-21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et la 11e conférence des parties siégeant en tant que Réunion des parties au protocole de Kyoto (CRP-11). La COP 21 doit aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2° C.
- Le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution les articles relatifs à la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels(art. 6) et à la réduction des gaz à effet de serre dans la grande distribution (art. 44),ainsi que plusieurs dispositions relatives au gaspillage alimentaire (art. 103). L’article 83, relatif à la composition du capital des « éco-organismes constitués sous forme de société » a également été rejeté.
- Les objectifs fixés par la loi transition énergétique pour la croissance verte sont les suivants : faire tomber à 50 % en 2025 la part de l’énergie tirée du nucléaire ; réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990) et les diviser par quatre en 2050 ; diminuer de moitié la consommation énergétique finale en 2050, avec un premier palier de 20 % en 2030 ; baisser la part des fossiles de 30 % à la même échéance ; promouvoir les renouvelables pour atteindre 32 % de la consommation d’énergie et 40 % de la production d’électricité à la même date.
- Le mix électrique définit la part du thermique, du nucléaire ou encore de l’hydraulique et des autres énergies renouvelables dans la production d’électricité.
- Mix de la production électrique en France en 2013 : nucléaire (73,3 %), hydraulique (13,8 %), énergies renouvelables – hors hydraulique (4,8 %), énergies fossiles (8,1 %). Source : Bilan électrique français 2013 édité par le Réseau de transport électrique (RTE) en janvier 2014.
- Ce rapport de 119 pages intitulé « Vers un mix électrique 100% renouvelable » devait être présenté lors d’un colloque « 40 % d’électricité renouvelable en 2050 : la France est-elle prête ? » organisé par l’Ademe, les 14 et 15 avril 2015 à Paris.Il étudie la faisabilité technique et économique d’un mix électrique français constitué à 100 % d’énergies renouvelables (ENR). Tout en envisageant d’autres scénarios à 95 % ENR, 80 % ENR et 40 % ENR.
- Le coût total annuel de gestion d’un système électrique 100 % renouvelable en 2050 est évalué par l’Ademe à 50,1 Mds € réparti de la manière suivante : 65 % correspondant aux coûts des EnR ; 8 % relatif au stockage ; 23 % correspondant aux coûts des réseaux de distribution et de répartition ; 4 % pour le coût du réseau 400 kV. C’est en prenant en compte ce coût total et un volume annuel de consommation de 422 TWh, que le coût de l’énergie est estimé à 119 € / MWh (hors taxes) pour un mix électrique 100 % ENR.
- Voir http://www.observatoire-electricite.fr/Les-prix-finaux-de-l-electricite en comptabilisant les mêmes postes de coûts que dans l’étude, à savoir la production, le tarif d’utilisation du réseau public de l’électricité (TURPE) et la partie de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE). Extrait du Rapport de l’Ademe « Vers un mix électrique 100% renouvelable » – Avril 2015.
- Cf article collectif signé de Michèle Rivasi, députée européenne EELV, Jean-Pierre Petit, physicien et ancien directeur de recherche au CNRS, Christian Desplats, conseiller régional Paca, publié en 2012 sur le site de Médiapart.
- Rapport présenté le 30 septembre 2014 par les députés Hervé Mariton (UMP, Drôme) et Marc Goua (PS, Maine-et-Loire) qui ont évalué le coût de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans le cas où celle-ci interviendrait fin 2016.
- La Cour des comptes a rendu public, le 27 mai 2014, un rapport « Le coût de production de l’électricité nucléaire (actualisation 2014) » commandé par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les coûts de la filière nucléaire.
- World Energy Outlook 2014 de l’International Energy Agency (IEA). Les estimations des coûts s’échelonnent entre quelques centaines de millions $ à plus de 11 milliards $ par centrale, mais la majorité des experts penchent pour 1 à 2 milliards $ l’unité. Les experts de l’IEA évaluent ces mêmes coûts à un minimum de 500 millions $ par réacteur.