Santé

Androcur et autres progestatifs : un scandale de plus lié aux médicaments

Dépakine, Mediator, Distilbène… Les scandales liés aux effets secondaires de médicaments s’enchaînent. En 2024, ce sont les victimes de l’Androcur qui sont passées à l’action, en engageant des recours contre l’État et en portant plainte contre X pour « administration de substance nuisible, atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, mise en danger de la vie d’autrui, non-signalement d’effet indésirable et tromperie aggravée ».

Deux plaintes contre l’ANSM

Le 7 mars 2024, deux requêtes ont été déposées contre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au tribunal administratif de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Il est reproché à l’agence d’avoir tardé à informer correctement les patients du surrisque de méningiome lié à la prise d’acétate de cyprotérone. Ce dérivé de la progestérone est commercialisé depuis les années 1980 par le laboratoire Bayer sous le nom d’Androcur, mais est également disponible en générique.

D’après nos confrères du Monde, les deux plaignantes réclament respectivement 748 777 € et 361 515 € d’indemnisations. Une cinquantaine d’autres recours étaient en préparation sur 450 dossiers identifiés, fin mars 2024.

Une plainte contre X déposée par une association de victimes

Le 5 novembre dernier, un deuxième volet judiciaire s’est ouvert, également révélé par Le Monde. Une plainte au pénal a cette fois été déposée au tribunal judiciaire de Paris par l’association Amavea, qui compte à ce jour un millier de victimes de l’Androcur et d’autres traitements hormonaux dérivés de la progestérone.

Cette plainte contre X vise cinq infractions pénales : administration de substance nuisible, atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, mise en danger d’autrui, non-signalement d’effet indésirable, et tromperie aggravée.

Les risques de l’Androcur connus dès 2004

L’avocat des victimes n’est autre que Me Charles Joseph-Oudin, devenu un spécialiste des scandales sanitaires et de l’indemnisation des préjudices corporels liés à des produits de santé (Mediator, Dépakine, vaccins contre la grippe H1N1, dispositif Essure…).

Selon lui, le risque de méningiome lié à la prise d’Androcur était connu depuis longtemps. « Dès 2004, le neurochirurgien Sébastien Froelich a alerté sur cinq cas de méningiomes », a-t-il déclaré à la cellule investigation de Radio France. « C’est à partir de cette date que la responsabilité des laboratoires et des autorités publiques est engagée. Le laboratoire aurait dû informer sur les risques d’effets indésirables et les autorités de santé auraient dû informer également. »

15 ans de silence

Or, l’ANSM ne réagira qu’en 2018. « Pendant 15 ans, malgré l’existence de ce signal, des femmes ont continué à être exposées à des produits toxiques et potentiellement mortels, sans qu’on les informe des risques », insiste l’avocat, qui estime que « la gravité des situations médicales et le nombre des victimes justifient que le parquet du tribunal judiciaire de Paris ouvre une information judiciaire et organise un grand procès pour les victimes de l’Androcur ».

Une dizaine d’autres plaintes devaient être déposées au pénal dans le courant du mois de novembre.

Un médicament de plus en plus prescrit au fil du temps

Hormone de synthèse, l’Androcur a une action antiandrogénique et bloque les hormones masculines. Initialement indiqué pour les cas d’hirsutisme (pilosité excessive) chez les femmes et pour certains cancers de la prostate chez les hommes, ce médicament a, au fil du temps, été prescrit aux femmes pour différents troubles gynécologiques (endométriose, notamment) ou comme contraceptif. Il est également utilisé contre l’acné ou dans le traitement hormonal des personnes transgenres « M to F ».

En 2017, 57 000 femmes en France étaient sous acétate de cyprotérone, selon un chiffre de l’ANSM rapporté par Le Quotidien du médecin, alors que le risque de méningiome était déjà connu.

La bataille d’un lanceur d’alerte

Le premier à avoir donné l’alerte est le neurochirurgien français Sébastien Froelich, chef de service à l’hôpital Lariboisière (AP-HP) à Paris. « J’ai commencé à me poser des questions le jour où j’ai vu en consultation deux patientes sous Androcur atteintes de méningiomes multiples, dont l’une était sur le point de devenir aveugle », confiait-il à L’Express en septembre 2018. Le lien avec l’Androcur a commencé à se préciser lorsque la tumeur d’une autre patiente a régressé suite à l’arrêt du traitement.

Le Pr Froelich explique le cas de sa première patiente sous Androcur atteinte de méningiomes multiples au Collège des gynécologues et obstétriciens d’Alsace en 2019 (image extraite de la vidéo de sa conférence).

Pendant plusieurs mois, le Pr Froelich compile les cas, constitue un dossier, puis donne l’alerte. En 2009, la France saisit l’Agence européenne du médicament (EMA), qui met l’Androcur sous surveillance et finit par demander en 2011 que le risque de méningiome figure sur la notice du médicament. Et puis c’est tout.

Le risque de méningiome multiplié par 20

En France, aucune recommandation particulière n’est diffusée par l’ANSM auprès des médecins. Selon France Info, la France représente pourtant 60 % du marché européen de l’Androcur. Heureusement, Sébastien Froelich ne lâche pas l’affaire, monte un groupe de travail au sein de son service, puis demande à l’Assurance maladie de mener une étude à partir de ses données, pour évaluer l’ampleur du risque à l’échelle nationale.

Les résultats sont rendus publics en 2018 et publiés par l’ANSM dans un rapport final en 2019. Ils montrent que le risque de développer un méningiome augmente considérablement chez les femmes prenant régulièrement de l’acétate de cyprotérone. Il est multiplié par sept chez les patientes traitées à fortes doses (50 mg par jour) pendant plus de 6 mois et par vingt chez celles prenant ce traitement pendant au moins 5 ans (dose cumulée de 60 g). L’âge est un facteur de risque supplémentaire.

Entre 2006 et 2015, plus de 500 cas de méningiomes opérés ou traités par radiothérapie en France sont attribuables à l’Androcur. Auxquels il faut ajouter ceux, très certainement nombreux, n’ayant pas nécessité de geste invasif.

L’ANSM réagit enfin

Suite à cette étude, l’ANSM publie enfin une première alerte sur son site en août 2018, puis des recommandations aux professionnels de santé pour limiter l’usage de l’acétate de cyprotérone aux seules indications pour lesquelles ce médicament a reçu une autorisation de mise sur le marché. Un courrier d’information est également envoyé en mai 2019 à toutes les personnes traitées avec cette molécule au cours des 24 derniers mois, dont voici un extrait :

En un an, une diminution de près de 50 % des ventes d’acétate de cyprotérone est enregistrée en France. Mais en parallèle, d’autres dérivés de la progestérone commencent à être pointés du doigt.

L’Androcur, mais aussi le Lutéran, le Lutényl…

En février 2019, l’ANSM publie ainsi une première information sur des cas de méningiome observés chez des personnes prenant du Lutéran (acétate de chlormadinone), du Lutényl (acétate de nomégestrol) ou l’un de leurs génériques. Les deux molécules sont prescrites pour des troubles gynécologiques (endométriose, fibrome, irrégularités de cycle…) ou comme contraceptif.

Une étude épidémiologique réalisée par le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare vient confirmer le surrisque de méningiome intracrânien associé à ces deux macroprogestatifs en juin 2020. L’étude est publiée en mai 2022 dans le European Journal of Neurology. À noter que le Lutéran n’est plus commercialisé depuis janvier 2022.

… et encore trois autres progestatifs

En juin 2023, une nouvelle étude d’Epi-Phare révèle que le risque de méningiome intracrânien existe également pour d’autres progestatifs : le médrogestone (Colprone), le promégestone (Surgestone – plus commercialisé depuis 2020) et l’acétate de médroxyprogestérone (Depo Provera), un contraceptif injectable.

Au final, voici le tableau de multiplication des risques publié dans le compte rendu de la séance du comité spécialisé temporaire de l’ANSM du 28 juin 2023 :

Bonne nouvelle : aucun surrisque de méningiome n’a, en revanche, été observé chez les personnes exposées au lévonorgestrel (stérilets Mirena et Jaydess), à la progestérone (Utrogestan, Progestogel) ou à la dydrogestérone (Duphaston, Climaston).

Le diénogest en attente de données supplémentaires

Le diénogest et l’hydroxyprogestérone n’ont, pour leur part, pas pu être évalués en raison du manque de données. Cependant, une étude complémentaire a été demandée par l’ANSM concernant le diénogest, dont la consommation est croissante en France depuis 2020 (date à laquelle plusieurs génériques de l’ancien Visanne ont été autorisés et remboursés).

Il aura donc fallu du temps et de nombreuses victimes, mais les femmes utilisant des progestatifs sont désormais (enfin) bien informées.

Article par Alexandra Joutel

⇒ Lire notre article « Contraception : la pilule est amère » paru dans le numéro 73 du magazine Nexus (mars-avril 2011) et disponible en accès libre :

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