Risques du Beyfortus pour les nouveau-nés ? Entretien avec Hélène Banoun, auteur d’un article scientifique à ce sujet
Commercialisé en France depuis le 15 septembre 2023, le Beyfortus® est recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS) dans le traitement préventif de la bronchiolite à virus respiratoire syncytial (VRS) chez les 0-6 mois et pour les enfants de moins de 2 ans dans leur première saison de bronchiolite. Ce produit pourrait néanmoins être responsable d’une facilitation et d’une aggravation de la maladie chez certains nouveau-nés. Entretien avec la pharmacienne-biologiste Hélène Banoun, qui vient de publier un article à ce sujet dans la revue Current Issues in Molecular Biology.
Hélène Banoun, vous êtes pharmacienne-biologiste à la retraite, ex-chargée de recherches à l’Inserm. Aujourd’hui, vous poursuivez vos activités en tant que chercheuse indépendante. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser au nirsevimab, ce nouvel anticorps monoclonal commercialisé sous le nom de Beyfortus et recommandé en France depuis le 15 septembre 2023 pour prévenir la bronchiolite à VRS chez les nourrissons ?
C’est la lecture d’un article paru en août 2023 sur le site de l’association Children’s Health Defense qui m’a alertée. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) venaient de recommander ce produit pour les nouveau-nés aux États-Unis, mais cette décision était très critiquée par certains experts médicaux. L’article soulignait qu’il y avait eu 12 décès de nourrissons dans les groupes traités des essais cliniques, mais qu’aucun n’était attribué au traitement. J’ai voulu en savoir plus et ai décidé de me pencher sur ces essais cliniques.
Vous semblez avoir tout de suite suspecté un possible effet ADE (antibody-dependent enhancement), c’est-à-dire une facilitation de l’infection et une aggravation de la maladie dues à des anticorps facilitants. Pourquoi ?
Dans les années 1960, il y a eu des essais de vaccin à VRS inactivé qui ont été un fiasco : deux enfants sont décédés et, par rapport au groupe des non-vaccinés, une aggravation de la maladie a été observée chez 80 % des enfants vaccinés. Malgré cet antécédent, le risque d’ADE du nirsevimab n’a pas été correctement évalué dans les essais cliniques, alors que l’Agence européenne du médicament (EMA) recommandait de le faire avec une procédure déterminée. Les résultats des essais indiquent pourtant qu’il y a eu des cas d’hospitalisations dues à la bronchiolite ou à d’autres infections respiratoires dans les groupes traités et ces cas semblaient plus graves que chez les enfants non traités. Même s’ils sont rares, cela incite à se questionner sur un possible ADE.
Vous dites également que ces essais cliniques comportent de nombreux biais. Lesquels ?
Par exemple, il n’y a pas eu de recherche systématique de VRS chez les enfants atteints d’infection respiratoire aiguë, ce qui est quand même très surprenant pour un médicament censé prévenir les infections dues à ce virus. On constate aussi que des participants ont été exclus des essais, sans que l’on sache pourquoi. Parfois jusqu’à 8 % du nombre total des participants l’ont été. Sur quels critères ?
Et que dire des décès enregistrés ?
Pour l’ensemble des essais, il y a eu davantage de décès dans les groupes traités que dans les groupes placebo, ce qui est interpellant. Même l’Agence américaine du médicament (FDA) l’a noté. Une étude réalisée sur des nourrissons fragiles ou prématurés a également enregistré plus de décès dans le groupe traité avec le Beyfortus (5 décès) que dans le groupe traité avec le Synagis (1 décès), un autre anticorps monoclonal administré depuis une vingtaine d’années aux nouveau-nés fragiles ou prématurés, également en prévention de la bronchiolite à VRS. Le défaut du Synagis (nom commercial du palivizumab) est qu’il nécessite plusieurs injections et coûte très cher, il ne peut donc être administré à tous les nouveau-nés. Le Beyfortus a été développé par AstraZeneca, déjà fabricant du Synagis, pour pallier ce défaut : ils ont modifié la molécule au niveau d’un fragment appelé Fc pour augmenter sa durée de vie après injection, de manière à ce qu’une seule injection suffise. Ils ont également modifié un autre fragment de la molécule, appelé Fab, pour augmenter sa capacité neutralisante, c’est-à-dire sa capacité à empêcher l’entrée du virus dans la cellule. Mais ce faisant, ils ont augmenté le risque d’ADE par un mécanisme biologique que je décris dans mon étude et que les personnes intéressées peuvent lire.
Pourtant, sur la base de ces résultats et malgré l’absence d’évaluation complète d’un possible effet ADE, la commercialisation du Beyfortus a été autorisée en procédure accélérée et ce médicament est recommandé par les autorités sanitaires. Pourquoi une telle prise de risque selon vous, alors que la bronchiolite est une maladie la plupart du temps bénigne ?
L’autorisation en urgence va maintenant devenir une norme pour les nouveaux médicaments et vaccins. La bronchiolite a été choisie comme une pathologie rentable pour les labos et, dès 2022, a été menée une campagne de « sensibilisation », c’est-à-dire une campagne destinée à répandre la peur face à cette maladie. Des vaccins sont désormais destinés aux femmes enceintes et aux plus de 60 ans, et pour les nouveau-nés, c’est le Beyfortus. On note toujours cette triade de populations captives, car suivies régulièrement par les médecins, comme je l’explique dans mon livre La Science face au pouvoir – Ce que révèle la crise Covid-19 sur la biopolitique du XXIe siècle (éditions Talma Studios).
La première campagne d’immunisation par le Beyfortus s’est déroulée en France entre le 15 septembre 2023 et le 31 janvier 2024, principalement au sein des maternités. Les études observationnelles réalisées post-commercialisation ont-elles confirmé votre hypothèse ?
Des études observationnelles ont été réalisées dans quatre pays : la France, l’Espagne, le Luxembourg et les États-Unis. Dans la quasi-totalité de ces études, on constate une exclusion des cas précoces d’infection à VRS, donc ceux qui se sont déclarés dans les premiers jours suivant l’injection de Beyfortus. En Galice, par exemple, alors qu’ils ont injecté les bébés au premier jour de vie, ils ont exclu de leur étude les cas nosocomiaux, c’est-à-dire ceux qui sont apparus alors que le nouveau-né était encore à l’hôpital. En France, une étude a exclu 52 % des cas. Cette exclusion empêche tout signal d’un éventuel effet ADE. Mais quand les données sont disponibles, elles montrent un pic d’infections respiratoires précoces. Dans l’étude des CDC aux États-Unis, 77 % des cas de bronchiolite enregistrés chez les nouveau-nés traités ont lieu moins de 7 jours après l’injection. Une autre étude française révèle, si on analyse bien les données, une inefficacité du produit pendant les 7 jours suivant l’injection. Donc, il y a un problème.
Est-ce que l’on retrouve ce « problème » dans les chiffres de pharmacovigilance ?
Oui. Les données recueillies au 15 avril 2024 par EudraVigilance, la base de pharmacovigilance européenne, indiquaient 140 déclarations d’effets indésirables. Plusieurs effets peuvent être déclarés pour un même individu, mais on note 89 déclarations pour bronchiolite, 129 pour infection à VRS et 56 pour médicament inefficace. Donc, là encore, tout laisse supposer l’existence d’un effet facilitant l’infection.
Pour votre étude, vous avez également travaillé avec la biostatisticienne Christine Mackoi, qui s’est intéressée au taux de mortalité, toutes causes confondues, chez les enfants âgés de 2 à 6 jours, sur une période allant de janvier 2018 à avril 2024. Deux pics de mortalité apparaissent en septembre-octobre 2023, puis en décembre 2023-janvier 2024, donc pendant la campagne d’immunisation par le Beyfortus. Selon Christine Mackoi, ce signal est faible, mais significatif. Que peut-on en dire ?
Ces deux pics sont un indice supplémentaire pour faire l’hypothèse d’un effet ADE du Beyfortus. Malheureusement, aucun lien de causalité ne peut être établi, ni d’ailleurs exclu, entre cette augmentation des décès néonatals et le Beyfortus, car nous ne savons pas la cause des décès de ces bébés, nous ne savons pas s’ils ont reçu ou non une dose de Beyfortus et, de manière générale, nous ne savons pas combien de doses ont été administrées durant cette campagne pour faire une éventuelle corrélation. Mais le fait qu’il y ait deux fois de suite une augmentation significative pendant deux mois consécutifs est un signal à surveiller.
Selon un récent article de l’AFP Factuel, qui cherche visiblement à démonter votre étude, cette hausse soudaine de la mortalité néonatale, reconnue par l’Insee, pourrait être attribuable à l’épidémie de coqueluche. Qu’en pensez-vous ?
Plusieurs choses sont fausses dans cet article, qui prétendait d’ailleurs au départ que mon étude n’était qu’un preprint non revu par les pairs. Comme je les ai menacés d’un droit de réponse, ils ont corrigé leur article sur ce point, mais d’autres passages restent faux. Ils affirment, par exemple, que la FDA a minutieusement investigué les cas de décès dans les essais cliniques, ce qui est faux, car aucune autopsie n’a été menée, alors que c’est ce qui est demandé, notamment par l’EMA, en cas de suspicion d’ADE. Concernant l’attribution possible des pics de mortalité néonatale à l’épidémie de coqueluche, ils ne donnent aucune justification scientifique ni aucun lien de temporalité entre l’épidémie de coqueluche et la hausse des décès, qui est en revanche concomitante à la campagne de Beyfortus. De plus, les nouveau-nés n’attrapent pas la coqueluche dans les premiers jours de vie : cette explication est absurde. Donc pour moi, en l’absence de données supplémentaires venant étayer cette piste, elle reste non valable.
Il y aurait donc un risque d’effet ADE pendant les 7 jours suivant l’injection. Passée cette période critique, peut-on dire que le Beyfortus est ensuite efficace pour prévenir la bronchiolite ?
D’après les données des études, ce médicament semble efficace par la suite pour prévenir la bronchiolite à VRS. Mais les autres infections respiratoires pourraient, elles, être augmentées ou, du moins, ne pas être diminuées. En effet, il peut exister une facilitation non spécifique des infections respiratoires due à la perturbation globale du système immunitaire chez les bébés ayant reçu ces fortes doses d’anticorps monoclonal. Par ailleurs, nous ne disposons pas de données à long terme, à plus de six mois ou un an après l’injection. Dans cette période, la concentration en Beyfortus circulant chez les enfants traités pourrait baisser et atteindre des taux sub-neutralisants, capables de faciliter l’entrée du virus dans les cellules. De plus, on note un début de sélection de virus mutants résistants au Beyfortus dans les essais cliniques : ces mutants pourraient alors provoquer des bronchiolites chez des enfants traités, jusqu’à six mois, un an ou plus après l’injection, malgré la présence de Beyfortus circulant chez eux.
Revenons à la raison principale pour laquelle le Beyfortus a été autorisé. Son administration devait permettre de réduire la charge hospitalière durant la période pandémique de la bronchiolite, qui dure environ sept semaines chaque hiver et saturerait les hôpitaux. Dans son avis du 19 juillet 2023, la HAS émettait des doutes sur la capacité du Beyfortus à remplir cette mission. Mais suite à la campagne d’immunisation 2023-2024, Santé publique France a publié le 26 avril dernier un bulletin annonçant au contraire l’efficacité du Beyfortus à réduire les hospitalisations chez les nourrissons. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
D’après les données de Santé publique France, l’épidémie de bronchiolite a été exceptionnellement importante en 2022-2023, contrairement à la saison 2023-2024 qui a été normale. Toujours d’après leurs données, on note pourtant que l’activité hospitalière pour l’hiver 2023-2024 a été légèrement supérieure à celle de l’hiver précédent. Le nombre d’admissions en soins intensifs pour les moins de 2 ans a été comparable. Et le nombre de passages aux urgences suivis d’une admission pour les nourrissons de plus de 3 mois a été supérieur à celui de 2022-23. On observe également un pic d’activité concernant les admissions des nourrissons à partir du 15 septembre 2023, début de la campagne de Beyfortus. Le bénéfice de ce traitement pour la charge hospitalière ne me semble donc pas évident du tout.
Dans votre étude, vous soulevez également la question du rapport coût-efficacité de la campagne d’immunisation de masse par le Beyfortus, dont le prix de vente a été négocié en France à 401,80 € la dose, ce qui est très élevé. Pour la saison 2024-2025, près de 600 000 doses seront disponibles dans notre pays, d’après France Info, ce qui représente un coût de 241 M€. Au regard du service médical rendu par ce médicament, cela vous semble-t-il raisonnable ?
Pour moi, ce médicament ne rend service ni aux bébés ni aux hôpitaux. Des études citées dans mon article ont d’ailleurs estimé que le prix du Beyfortus devrait être drastiquement diminué, afin qu’il devienne « rentable » de l’injecter à tous les nouveau-nés. Son seul intérêt est de remplir les caisses des laboratoires pharmaceutiques, à savoir AstraZeneca qui le fabrique et Sanofi qui le commercialise. Les concernant, le Beyfortus est une véritable poule aux œufs d’or puisqu’il est prévu pour être prescrit à tous les nouveau-nés de tous les pays, enfin de tous les pays assez riches pour l’acheter, ce qui représente des milliards de doses vendues chaque année.
Le fait que le Beyfortus puisse être le prochain blockbuster de Sanofi explique-t-il, selon vous, les attaques dont vous faites l’objet, par exemple à travers l’article déjà cité de l’AFP Factuel ? Nous-mêmes, à Nexus, avons déjà reçu des remarques par mail de la part d’un organisme de fact-checking qui s’appelle NewsGuard concernant nos précédents articles sur le Beyfortus, dont un du 3 janvier 2024 qui relayait les premières observations de Christine Mackoi sur la mortalité néonatale. On dirait qu’il ne fait pas bon critiquer ce médicament…
Tout à fait ! Je suis apparemment la seule à avoir critiqué ce produit en peer review et suis donc facilement ciblée. Depuis la parution de mon article, mes publications sur X concernant le Beyfortus sont quasi invisibles. Même Telegram a commencé à me censurer sur ce sujet.
Avez-vous autre chose à ajouter ?
Je tiens à préciser aux mamans que si le Beyfortus est recommandé, il n’est pas obligatoire. Elles peuvent le refuser, même si tout est fait pour les culpabiliser et les inciter à accepter ce traitement.
Propos recueillis par Alexandra Joutel
(Image d’Hélène Banoun extraite de la réunion du Conseil scientifique indépendant n°152 du 26/09/2024)
⇒ L’article d’Hélène Banoun publié dans Current Issues in Molecular Biology est également disponible en français sur le site de l’Association internationale pour une médecine scientifique indépendante et bienveillante (AIMSIB), précédé d’un résumé rédigé par l’auteur à destination du grand public.
⇒ Lire notre dossier sur le Beyfortus et la bronchiolite du nourrisson dans le n°150 de Nexus (janv.-fév. 2024) :
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