Santé

Les médicaments anticancéreux sur le gril de la Cour des comptes

Un coût exorbitant, des prix non négociés, des évaluations basées uniquement sur les études des fabricants, aucune observation sur l’efficacité à long terme en vie réelle pour des produits de plus en plus administrés… Dans son dernier rapport sur les dépenses de la Sécurité sociale, la Cour des comptes pointe du doigt le recours aux médicaments anticancéreux et appelle à plus d’indépendance à leur sujet.

◆ Jusqu’à 400 000 € pour certains traitements

Dans un rapport publié mercredi 29 mai, la Cour des comptes épluche les dépenses de la Sécurité sociale et propose un chapelet de mesures destinées à les réduire. Dans le lot, si certaines préconisations ont de quoi laisser perplexe, comme celles visant à réduire drastiquement le nombre de jours d’arrêt maladie indemnisés par la Sécurité sociale (lire notre article à ce sujet), d’autres semblent plus pertinentes, comme celles remettant en question le coût des médicaments anticancéreux.

Comme le souligne le rapport, « le recours à des médicaments innovants dans la lutte contre le cancer s’est beaucoup développé depuis les années 2000. La dépense pour l’assurance maladie, en forte croissance, a atteint 5,9 Md€ en 2022, 2,4 Md€ après déduction des remises versées par les laboratoires. Le coût des molécules varie de 3 000 à 27 500 € annuels pour les dix plus courantes. Il peut aller jusqu’à 400 000 € pour une perfusion de récepteurs d’antigènes chimériques, dits cellules CAR T. » À ce prix-là, il faut espérer que ces traitements « innovants » aient un minimum d’efficacité, voire apportent une réelle plus-value pour la santé du patient comparés aux traitements déjà existants.

◆ Des prix non négociés basés sur les études des laboratoires

Or, c’est bien la question que se pose la Cour des comptes. Dans son rapport, elle note que ces médicaments anticancéreux sont « de plus en plus largement prescrits (19 % des prises en charge) et apportent des bénéfices substantiels (amélioration de 21 points du taux de survie à 5 ans du cancer de la prostate par exemple) ». Cependant, « ils ne remplacent pas les traitements classiques mais s’y ajoutent ». De plus, ils ne sont administrés qu’à un nombre restreint de patients, car ils sont encore en phase d’essai clinique.

Et c’est tout le problème. On apprend en effet dans le rapport que dans l’attente de l’évaluation complète d’une molécule, les prix ne sont pas négociés et sont ceux imposés par les laboratoires pharmaceutiques sur la base des résultats « prometteurs » issus de leurs propres études ! Mais, pointent les rapporteurs, ces études « ne sont pas suffisantes pour s’assurer d’une amélioration du service rendu, car elles sont établies sur des effectifs et selon des méthodes qui ne garantissent pas que les traitements proposés sont meilleurs que les traitements existants ».

◆ Un coût qui a doublé entre 2018 et 2022

En attendant, suite à des procédures dérogatoires, ces produits sont accessibles sur la « liste en sus » des hôpitaux et sont remboursés intégralement par la Sécurité sociale. Cette liste, précise le rapport, « comptait 72 médicaments anticancéreux en 2022, soit 37 % des médicaments de la liste, mais 70 % de ses dépenses ».

Leur coût pour la collectivité a par ailleurs « doublé entre 2018 et 2022, à la fois du fait de la hausse du nombre de bénéficiaires et de la hausse du coût des prises en charge avec l’introduction de nouvelles molécules ».

Pour la Cour des comptes, c’est trop. Sans aller jusqu’à dire ouvertement que les laboratoires s’engraissent sur le dos de la « Sécu », l’idée suinte entre les lignes.

◆ Faire appel aux universités pour produire des études indépendantes

Pour remédier à cette dérive, la Cour des comptes préconise que les évaluations médico-économiques produites par la Haute Autorité de santé (HAS) pour ces nouvelles molécules soient indépendantes des laboratoires. À l’heure actuelle, ces évaluations s’appuient en effet « sur les dossiers d’évaluation des industriels » et sont donc « peu utilisées pour la négociation des prix », observent les rapporteurs. Ces derniers invitent donc la HAS à faire appel aux universités pour produire des études indépendantes, à l’instar de ce qui se fait en Angleterre.

Selon la Cour des comptes, « le recours à des analyses indépendantes permettrait également d’utiliser dans la négociation de prix un indicateur qui met en rapport le surcoût revendiqué du médicament et ses résultats en termes de nombre d’années de vie gagnées en bonne santé », mais aussi de comparer le bénéfice réel de ces nouveaux médicaments par rapport aux médicaments existants.

◆ Renégocier les prix selon l’efficacité observée en vie réelle

Les experts de la rue Cambon estiment par ailleurs que « les études cliniques ne devraient pas être la seule source pour évaluer ces médicaments » et proposent de mettre en place « un registre commun […] pour observer leur efficacité à plus long terme dans la vie réelle ». Prévoyant qu’un « tel registre serait onéreux », les rapporteurs proposent que celui-ci soit financé par une contribution des laboratoires concernés.

Enfin, les experts proposent de renégocier les prix de ces médicaments anticancéreux « lorsque de nouvelles études, notamment issues de conditions en vie réelle, montrent des résultats inférieurs à ceux attendus ».

◆ Quid des autres médicaments innovants ?

Produire des études indépendantes, vérifier l’efficacité des produits à long terme en vie réelle, renégocier les prix d’achat… On se prend à rêver. À quand les mêmes recommandations pour d’autres médicaments innovants, tels que les vaccins à ARN messager ou le tout nouveau Beyfortus®, un anticorps monoclonal contre la bronchiolite du nourrisson, dont le prix négocié à 401,80 € la dose a enfin été dévoilé, pour un bénéfice qui reste discuté (lire notre article du 26/09/2023) et des risques mal évalués (lire notre article du 03/01/2024) ? On pourrait même aller plus loin : à quand un état des lieux réel et indépendant de tous les médicaments mis sur le marché au cours de ces dernières décennies ?

Article par Alexandra Joutel

(Image par Michal Jarmoluk de Pixabay)

⇒  Lire notre article « Vaccins, un plan mondial », paru en 2019 dans notre numéro 121 (épuisé au format papier et accessible seulement au format numérique) qui contient des informations majeures sur l’organisation en cours de la gouvernance sanitaire mondiale. Nous l’avons mis depuis en accès libre. Vous pourrez le lire en cliquant sur ce lien.

Nexus #121

⇒  Lire également en accès libre notre dossier de 2018 sur la vaccin Gardasil paru dans notre numéro 118 :

Par Senta Depuydt Vaccin Gardasil : notre dossier papier de 2018 en accès libre !

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