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La quasi-totalité des fleurs vendues en France sont bourrées de substances dangereuses
Elles sont si jolies et semblent si inoffensives qu’on imagine mal que les fleurs coupées vendues en boutique, en grande surface ou en ligne puissent être un danger pour la santé. C’est pourtant le cas. Une enquête menée par l’UFC-Que Choisir vient de le confirmer. Sur quinze bouquets analysés en laboratoire, tous contenaient des résidus de pesticides, dont la plupart sont interdits en Europe en raison de leur forte toxicité.
◆ 100 % des bouquets contaminés
Si vous l’aimez, offrez-lui autre chose que des fleurs coupées. Et si vous êtes fleuriste, votre santé est certainement en danger. Telle est la conclusion que l’on peut tirer d’un récent test réalisé par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, dont les résultats ont été publiés le 14 février dernier, jour de la Saint-Valentin.
Quinze bouquets de roses, gerberas et chrysanthèmes, « achetés en boutique, en grande surface ou en ligne », ont été envoyés en laboratoire pour analyser leurs teneurs en pesticides. Verdict : tous étaient contaminés par des résidus de produits phytosanitaires.
◆ Jusqu’à 46 substances, pour la plupart interdites dans l’UE
Spiroxamine, carbendazime, difénoconazole, thiaclopride, thiophanate-méthyle… Entre 7 et 46 substances différentes ont été identifiées par bouquet ! Des résultats que l’association juge « effarants ».
Pire encore : parmi ces molécules, 33 sont interdites dans l’Union européenne. On les retrouve pourtant dans les deux tiers des bouquets analysés, indiquant que ces fleurs sont d’origine extracommunautaire. Selon l’UFC-Que Choisir, « environ 80 % des fleurs coupées commercialisées en France sont importées de pays extérieurs à l’Union européenne (Colombie, Équateur, Kenya…) », où de nombreux pesticides estimés dangereux en Europe sont toujours utilisés.
Interrogé par nos confrères du Monde, le ministère de l’Agriculture confirme que « les fleurs en provenance de pays tiers n’étant soumises à aucune réglementation européenne, nous ne disposons pas d’informations concernant les substances utilisées et aucun contrôle n’est effectué. ». Renversant.
◆ Les fleuristes, premiers concernés
Les substances interdites le sont généralement en raison de leur dangerosité pour la santé et/ou pour l’environnement. Dans le test réalisé par l’UFC-Que Choisir, chaque bouquet contenait en moyenne une douzaine de résidus de pesticides présentant « possiblement ou certainement un danger pour la santé ». Les molécules en question sont considérées comme pouvant être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbatrices sur le plan endocrinien.
Les plus exposés sont bien entendu les professionnels qui manipulent au quotidien ces fleurs bourrées de pesticides. « Une étude, menée en 2019 par des chercheurs belges, montre que les urines de ces derniers contiennent en moyenne, aux périodes d’activités les plus intenses (Saint-Valentin, fêtes des Mères…), deux fois plus de résidus de pesticides que ce que l’on trouve dans le reste de la population », souligne l’association.
◆ Le bébé de Laure Marivain, victime de ces poisons
Un exemple tragique de cette contamination aux pesticides est celui de Laure Marivain, rapporté en octobre dernier par la cellule investigation de Radio France et Le Monde. Alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant, cette maman travaillait comme représentante en fleurs pour un grossiste, après plusieurs années passées en boutique chez un artisan fleuriste. Jamais elle n’aurait imaginé qu’être au contact des fleurs toute la journée puisse porter préjudice à la santé de son bébé.
Les complications ont commencé avant même la fin de la grossesse. L’accouchement se passe, lui aussi, difficilement. À la naissance, la petite fille est violette, en sous-poids, ses bilans ne sont pas bons. Quant au placenta, il est « tout noir », comme si Laure s’était droguée pendant sa grossesse, ce qui n’était pas le cas.
◆ Des fleurs « tueuses invisibles »
La petite Emmy réussit malgré tout à reprendre du poil de la bête et à avoir une vie normale jusqu’à ses 3 ans, âge où elle commence à se plaindre de douleurs osseuses et semble très fatiguée. Quelques mois plus tard, après plusieurs examens médicaux, le diagnostic tombe : Emmy souffre d’une leucémie aiguë lymphoblastique B. La petite fille luttera pendant sept ans contre la maladie, avec des rémissions et des rechutes, puis succombera en mars 2022, à l’âge de seulement 11 ans.
Pendant toutes ces années, Laure ne croit pas à la malchance et veut comprendre d’où vient la maladie de sa fille. Elle mène ses propres recherches et finit par découvrir, choquée, que les jolies fleurs qu’elle manipulait toute la journée pendant sa grossesse sont en réalité « des tueuses invisibles », gorgées de poisons chimiques. Personne ne l’avait prévenue.
◆ Un lien de causalité reconnu, mais une indemnisation insuffisante
Alors que sa fille décline et vit les dernières semaines de sa courte vie, Laure dépose un dossier auprès du tout nouveau Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), créé en 2020. Trois ans plus tard, celui-ci reconnaît le lien de causalité entre la pathologie d’Emmy et son exposition aux pesticides due au métier exercé par sa mère durant la période prénatale. Une première chez les fleuristes.
Laure et son mari ont néanmoins saisi la cour d’appel de Rennes pour contester la proposition d’indemnisation du FIVP, d’un montant forfaitaire de 25 000 € chacun. Le couple estime en effet que cette offre ne tient compte que du préjudice qu’ils ont subi en tant que parents, en ignorant complètement celui subi par leur fille durant toutes ces années, sous prétexte qu’elle est décédée.
◆ Une expertise demandée à l’Anses
Suite à cette affaire et à une saisine de l’association écologiste Robin des Bois, le gouvernement a demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de lancer une expertise concernant l’exposition des fleuristes aux pesticides. D’après les informations obtenues par nos confrères de Radio France et du Monde, cette expertise devrait durer au moins 21 mois.
« C’est un premier pas », commente Laure Marivain, sans pour autant cacher sa colère. « L’État est au courant du problème depuis longtemps, au moins 2017. Il aurait dû se saisir du sujet il y a plusieurs années déjà et ils n’ont rien fait. Et ça a des conséquences graves. Les fleuristes développent des pathologies graves, et nous, nous avons perdu notre fille. C’est dramatique. Si on attend que cette expertise soit menée à son terme, il y aura encore des gens qui vont tomber malades. Le système de protection doit être adapté dès aujourd’hui, il aurait dû l’être hier. »
◆ L’UFC-Que Choisir exige une réglementation et des contrôles plus stricts
De son côté, l’UFC-Que Choisir réclame que les recherches de l’Anses évaluent les risques pas seulement pour les fleuristes, mais également pour les consommateurs. L’association appelle par ailleurs à interdire l’importation de fleurs traitées avec des pesticides interdits en Europe, à réglementer les doses maximales de résidus de pesticides autorisés et à renforcer les contrôles douaniers et sanitaires. Elle exige aussi une obligation d’étiquetage, mentionnant l’origine des fleurs commercialisées en France et les traitements subis.
Enfin, l’association préconise aux consommateurs d’agir à leur niveau, en privilégiant l’achat de fleurs bio ou de saison ou, à défaut, celles d’origine française et soumises à un minimum de règles concernant l’usage des pesticides, pour éviter ainsi les substances les plus nocives.
Article par Alexandra Joutel
(Image principale by Van3ssa Desiré Dazzy sur Pixabay)
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