Santé

Bientôt l’hiver, l’heure de la vitamine D ?

 « Plus d’un Français sur trois ne parvient pas à couvrir ses besoins physiologiques en vitamine D3 », selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, pour qui cette carence « constitue une préoccupation majeure de santé publique ». De nombreuses études prouvent en effet les bienfaits multiples de cette molécule sur notre santé, en particulier pour lutter contre les infections hivernales. Les avis restent cependant divergents.

◆ Une vitamine essentielle à notre santé

Les bienfaits de la vitamine D sur notre organisme ne semblent plus à prouver. De nombreuses études (que l’on ne peut toutes énumérer ici) vont dans ce sens, que ce soit pour montrer son utilité dans certaines pathologies ou pour souligner les effets délétères dus à sa carence. Dans une note d’appui scientifique et technique datant du 26 octobre 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en cite quelques-unes (p. 10), de manière non exhaustive, afin de donner un aperçu de la diversité de ses bénéfices.

◆ Des vertus multiples

Bien sûr, et c’est sa vertu la plus reconnue, la vitamine D « contribue au maintien de l’homéostasie phosphocalcique » et « assure la minéralisation de certains tissus (os, cartilages et dents) pendant et après la croissance ». Mais elle participe également « à la réponse du système immunitaire, en réduisant notamment le risque d’infections respiratoires ».

Elle jouerait, de plus, « un rôle dans l’équilibre métabolique, en réduisant le risque de prééclampsie chez les femmes enceintes et la pression artérielle chez des personnes hypertendues et déficitaires en vitamine D ». La supplémentation en vitamine D permettrait encore « d’améliorer l’espérance de vie des patients atteints de cancer », de « diminuer le risque de développer des maladies auto-immunes », ainsi que des maladies neurodégénératives. Mais d’autres bienfaits lui sont encore attribués. Un article scientifique publié en 2008 dans Alternative Medicine Review estime même que « la vitamine D réduit significativement la mortalité toutes causes confondues » et que sa carence est « impliquée dans la plupart des maladies dites civilisationnelles ».

◆ La majorité de la population est déficitaire

Malheureusement, note l’Anses dans un avis publié le 27 octobre 2022, « plus d’un Français sur trois ne parvient pas à couvrir ses besoins physiologiques en vitamine D3 », sa forme la plus répandue et la mieux assimilée. Autrement dit, 35 % de la population française serait carencée. Un pourcentage largement inférieur à celui qui ressort de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) réalisée en 2006-2007 et publiée en 2012 sur le site de Santé publique France.

Dans cette étude menée auprès de 1 587 personnes adultes ne prenant pas de supplémentation en vitamine D, les prélèvements sanguins ont montré que 80,1 % d’entre elles présentaient une insuffisance vitaminique, 42,5 % un déficit modéré à sévère et 4,8 % un déficit sévère.

◆ Le soleil, principale source de vitamine D

Il existe deux sortes de vitamine D : la vitamine D2 (ou ergocalciférol), d’origine végétale, et la vitamine D3 (cholécalciférol), d’origine animale. Quand on parle d’apport en vitamine D (calciférol), il s’agit généralement de la vitamine D3, celle que nous trouvons le plus facilement dans notre alimentation et que nous fabriquons nous-mêmes au niveau de notre peau sous l’effet des rayons solaires UVB. Elle est ensuite transformée par le foie en calcifédiol, puis par les reins en calcitriol, qui est sa forme active.

Un déficit en vitamine D est dû soit à un manque d’exposition au soleil, soit à un manque d’apport par l’alimentation, soit à une insuffisance hépatique ou rénale qui empêche sa transformation en calcitriol. Tout le monde peut en manquer, en particulier l’hiver où l’exposition au soleil est réduite. L’été, les écrans solaires anti-UVB nous empêchent également d’en fabriquer, même si 15 à 20 minutes d’exposition suffisent normalement à cette saison. Par ailleurs, une peau foncée en fabrique moins qu’une peau claire.

◆ Un manque d’apport nutritionnel

Quant à l’alimentation, il faut qu’elle soit notamment riche en poissons gras, œufs et beurre, mais dans des quantités journalières difficiles à atteindre. Le « must » étant l’huile de foie de morue si chère aux anciennes générations, mais assez rebutante à avaler, il faut bien le dire.

Dans sa fiche nutrition du 2 mars 2022, l’Anses précise que l’apport nutritionnel en vitamine D pour un adulte devrait être de 15 microgrammes par jour (μg/j), alors que l’apport moyen enregistré chez les 18-79 ans en France est de seulement 3,1 μg/j, d’après une étude réalisée par l’agence.

◆ Le curieux silence des autorités de santé

Pour pallier ce déficit, le plus simple en hiver est encore de prendre des compléments alimentaires, c’est-à-dire de la vitamine D3 sous forme de gouttes ou d’ampoules. Mais curieusement, malgré tous les bienfaits de cette molécule et la carence constatée dans la population, aucune recommandation officielle n’existe de la part de la Haute Autorité de santé (HAS) et beaucoup de médecins ont tendance à oublier de la prescrire, sauf dans certains cas de pathologies touchant le tissu osseux (ostéoporose, par exemple), chez les personnes âgées à risque de chutes et de fractures ou chez les jeunes enfants, afin de favoriser leur croissance et éviter le rachitisme.

◆ Un perturbateur endocrinien ?

Encore plus étonnant, la vitamine D a été classée par un arrêté du 28 septembre 2023 dans la liste des perturbateurs endocriniens devant faire l’objet d’une information auprès des consommateurs de produits en contenant, comme prévu à l’article 13-II de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC), tout en étant classée à part en raison de ses bienfaits pour la santé.

Il est vrai que la vitamine D n’est en réalité pas une vitamine et agit plutôt comme une hormone. Cependant, pour le chercheur et biologiste Jean-Marc Sabatier, qui a notamment étudié son mode d’action sur le système rénine-angiotensine, si la vitamine D a effectivement une action sur la balance hormonale, celle-ci est très bénéfique et ne peut être assimilée à celle d’un perturbateur endocrinien, comme il l’a rappelé lors d’un récent Conseil scientifique indépendant (CSI) consacré à cette molécule. Or, son classement dans cette liste tendrait à faire croire que la vitamine D est aussi dangereuse pour la santé que certaines substances néfastes comme le bisphénol A.

Jean-Marc Sabatier lors du CSI du 10 octobre 2024 (capture d’écran).

◆ Dosage sanguin déremboursé

Autre bizarrerie : depuis 2014, le dosage sanguin en vitamine D n’est plus remboursé par la Sécurité sociale, sauf dans de très rares cas : rachitisme, ostéomalacie, transplantation rénale, chirurgie bariatrique, prise en charge des personnes âgées sujettes aux chutes répétées… En effet, un rapport d’évaluation de la HAS a estimé en octobre 2013 que ce dosage était inutile dans les autres cas.

Or, comment savoir si l’on est en déficit sans dosage sanguin ? Et comment savoir quels sont nos besoins quotidiens si l’on ne sait pas quel est notre statut vitaminique de départ ?

Selon l’Assurance maladie, « la détermination des valeurs de référence pour la concentration en vitamine D dans le sang reste encore aujourd’hui un sujet de débat. En conséquence, les définitions d’une carence, d’une insuffisance et du taux optimal à atteindre sur la seule base d’une concentration sanguine ne sont pas encore complètement consensuelles. De plus, il n’existe pas de protocole validé d’adaptation posologique de supplémentation de vitamine D en fonction de sa concentration. » Ainsi, « une supplémentation en vitamine D peut être instaurée et suivie sans dosage ». Dans tous les cas, « il semble peu probable d’observer des signes de toxicité avec des apports journaliers inférieurs à 10 000 UI ».

◆ Entre 2 000 et 5 000 UI par jour

UI est l’abréviation d’« unité internationale ». Les 15 μg par jour recommandés par l’Anses correspondent à 600 UI. Mais la plupart des spécialistes estiment que cette dose est beaucoup trop faible. Lors d’une interview accordée à Nexus en mai 2020, le médecin-nutritionniste Éric Ménat explique qu’« on donne toujours des doses en lien avec certaines études sur le tissu osseux », mais que « si on prend des études sur la santé en général, il en faut davantage ».

La dose minimale, selon lui, est de 2 000 UI par jour pour que la vitamine D apporte tous ses bénéfices à notre organisme. Cependant, on peut facilement monter jusqu’à 4 000, voire 5 000 UI par jour. Tout dépend de notre dosage sanguin initial, que le Dr Ménat estime essentiel de réaliser, même s’il est déremboursé (le tarif est de 10 à 15 € selon les laboratoires).

⇒ Voir l’interview du Dr Ménat accordée à Nexus en mai 2020 :

◆ Débat sur le taux sanguin optimal

Le dosage sanguin permet de connaître notre taux sérique de calcifédiol (la forme de vitamine D métabolisée par le foie). Sa valeur optimale pour un adulte serait de 30 ng/ml (ou 75 nmol/l, selon le système de mesure utilisé). Mais là encore, les avis divergent.

Dans un article publié en 2023 sur le site du Vidal, le Pr Jean-Louis Schlienger, ancien chef du service de médecine interne et nutrition au CHU de Strasbourg, estime que « le seuil de 20 ng/ml paraît raisonnable, faute de quoi plus de 80 % de la population “normale” française se retrouverait déficitaire ! » Et pourquoi pas ? Ce sont en tout cas les conclusions de l’étude ENNS citée plus haut. En ramenant le taux optimal à 20 ng/ml, il n’y a plus que 40 % des Français qui se retrouvent déficitaires. Mais suffit-il de baisser un seuil pour dire que tout le monde va bien ? Quant à la carence, elle se situerait en dessous de 10 ng/ml.

En recoupant les résultats de plusieurs études, le Dr Ménat est pour sa part arrivé à la conclusion que le taux optimal de calcifédiol dans le sang devait être de 50 ng/ml (ou 125 nmol/l), comme il l’a expliqué lors de son intervention au CSI du 10 octobre dernier. Certaines études vont même jusqu’à 70 ng/ml. Le seuil limite à ne pas dépasser est dans tous les cas de 150 ng/ml (risque de toxicité).

◆ Gouttes ou ampoules ?

Enfin, le mode d’administration de la vitamine D a lui aussi son importance. La supplémentation peut se faire sous forme de gouttes à prendre quotidiennement ou sous forme d’ampoule à prendre une fois par mois, par trimestre ou par semestre.

Une fois de plus, il y a débat. Si le Pr Schlienger estime que « l’administration intermittente est préférable, car elle favorise l’observance et maintient un taux vitaminique plus stable », Éric Ménat et Jean-Marc Sabatier ne sont pas du tout de cet avis et préconisent plutôt le dosage quotidien sous forme de gouttes. Selon ce qu’ils ont observé, avec les « mégadoses », notre taux sanguin redescend au contraire très rapidement après avoir été « boosté ».

Alors, supplémentation en vitamine D ou pas ? À quelle dose et de quelle manière ? À chacun de se faire son avis ou de voir avec son médecin.

Article par Alexandra Joutel

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