Santé

Le mpox est-il sorti d’un laboratoire ?

C’est reparti pour un tour. Après que l’Organisation mondiale de la santé a déclenché son plus haut niveau d’alerte mondiale pour le monkeypox, le système de santé français a été placé vendredi dernier en « état de vigilance maximale ». Mais suite à la crise du Covid, à ses mensonges et à ses révélations, nombreux sont ceux qui s’interrogent : ce « nouveau » virus est-il naturel ou échappé d’un laboratoire ?

◆ Déjà des expériences durant la guerre froide

La question est sur de nombreuses lèvres. Même Idriss Aberkane a dû le reconnaître ce dimanche 18 août, en survolant les questions écrites par les internautes qui suivaient en direct sur les réseaux sociaux son interview du Pr Didier Raoult. Quelle est la possibilité que le virus de monkeypox actuellement en circulation soit né en laboratoire ?

Idriss Aberkane a souligné que des « documents déclassifiés montrent que des expériences de gains de fonction ont été menées sur des orthopoxvirus par certains pays durant la guerre froide, notamment en Antarctique ». Il a également rappelé que les premiers cas de cette variole zoonotique ont été identifiés chez des singes de laboratoire, en 1958 au Danemark.

◆ Une idée « pas raisonnable » selon le Pr Raoult

Pour autant, l’ancien directeur de l’IHU Méditerranée Infection est resté très sceptique sur cette hypothèse de virus sorti d’un labo. « Je pense qu’il y a une variabilité virale chez les animaux qui est tellement monstrueuse, que l’idée de penser que ça va être un chercheur dans son coin qui va inventer ça, pour moi, ce n’est pas raisonnable », a-t-il répondu à la fois à son intervieweur et aux internautes.

« Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des gens comme Fauci qui y ait pensé », a-t-il toutefois ajouté. « Si vous me dites que Fauci a financé ça, je le crois, parce que je le prends pour une andouille. Mais moi, je ne crois pas que ça puisse marcher ».

◆ Anthony Fauci, « andouille » ou dangereux personnage ?

Effectivement, parlons-en d’Anthony Fauci, en poste pendant 38 ans jusqu’en décembre 2022 à la tête de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (National Institute of Allergy and Infectious Diseases – NIAID) aux États-Unis. Est-il véritablement une « andouille », comme l’estime Didier Raoult, ou est-il un dangereux personnage qui ment comme il respire et manigance des affaires en secret ?

Anthony Fauci a été interrogé en mai 2021 par le sénateur Rand Paul au Sénat américain, au sujet de l’origine du SARS-CoV-2. La question était de savoir si ce virus pouvait être issu d’une recherche sur les gains de fonction menée à l’Institut de virologie de Wuhan et financée par les Instituts nationaux de la santé américains (National Institutes of Health – NIH), en particulier le NIAID, via des subventions allouées à un organisme baptisé EcoHealth Alliance.

◆ Mensonge sur le financement des gains de fonction à Wuhan ?

Comme on peut le lire dans un article de Newsweek du 14 mai 2021, la réponse du Dr Fauci a été catégorique : « Les NIH ne financent pas et n’ont jamais financé de recherche sur les gains de fonction à l’Institut de virologie de Wuhan. » Ce qu’il redira par ailleurs, notamment aux membres de la sous-commission spéciale de la Chambre des représentants qui enquête depuis plus d’un an sur la pandémie de Covid-19 aux États-Unis.

Sauf que le 16 mai 2024, devant cette même sous-commission, le directeur adjoint principal et ancien directeur par intérim des NIH, Lawrence Tabak, a déclaré le contraire. À la question : « Les NIH ont-ils financé la recherche sur les gains de fonction à l’Institut de Wuhan par l’intermédiaire d’EcoHealth Alliance ? », Lawrence Tabak a répondu : « Cela dépend de votre définition de la recherche sur les gains de fonction. Si vous employez le terme dans son sens large, oui, nous l’avons fait. »

Dr Lawrence Tabak au cours de son audition du 16 mai 2024.

◆ Des soupçons, mais pas de preuve…

Anthony Fauci a-t-il menti ? Il semblerait que non. Comme le souligne le Dr Tabak, cela dépend de la définition que l’on donne de la recherche sur les gains de fonction. Des éclaircissements ont été apportés à ce sujet par le représentant Raul Ruiz, lors de la dernière audition d’Anthony Fauci, le 3 juin dernier.

Précisons que cet élu de Californie est démocrate et que la sous-commission d’enquête est menée à l’initiative des républicains, très soupçonneux à l’égard de l’ancien responsable du NIAID. Lors de cette audition du 3 juin, Raul Ruiz est véritablement venu au secours d’Anthony Fauci. Selon lui (49’08), aucun des centaines de milliers de documents étudiés par la sous-commission, des vingt entretiens menés à huis clos et de la douzaine de témoignages entendus en public n’a permis d’apporter la preuve que Fauci aurait menti.


Raoul Ruiz à la séance du 3 juin 2024.

◆ Une question de définition

Le représentant démocrate précise par ailleurs que trois définitions de la recherche sur les gains de fonction auraient été données au cours de l’enquête, dont une très large, qui permet d’y inclure toutes sortes de manipulations de laboratoire, y compris la fabrication de vaccins contre la grippe.

Cette définition très large n’a en réalité « aucune valeur juridique », a expliqué Raul Ruiz, notant que la seule définition à laquelle Anthony Fauci s’est toujours référé dans ses déclarations est celle, très précise, contenue dans un protocole réglementaire appelé « P3CO ». Et selon cette définition, Anthony Fauci l’a réaffirmé le 3 juin (51’11), les NIH n’ont pas financé de recherche sur les gains de fonction à l’institut de Wuhan.

◆ Quels liens avec les recherches du Dr Baric ?

L’ancien patron du NIAID a également ajouté (54’40) qu’il était « moléculairement impossible » que les virus étudiés à Wuhan avec les fonds versés à EcoHealth Alliance aient pu évoluer en SARS-CoV-2 ou même en être l’ancêtre.

Anthony Fauci lors de son audition du 3 juin 2024.

Le problème, comme le rapporte l’article de Newsweek cité plus haut, est que les NIH ont financé des projets de recherche du Dr Ralph Baric, de l’université de Caroline du Nord, et que ceux-ci concernaient des gains de fonction sur des coronavirus. Selon Newsweek, au moins un de ces projets a été mené en collaboration avec l’Institut de virologie de Wuhan. Mais y a-t-il un lien entre ce(s) projet(s) et les recherches menées ensuite à Wuhan et financées par les NIH via EcoHealth Alliance ?

◆ Dissimulation de documents

Autre question : si les recherches financées par les NIH à Wuhan étaient si « inoffensives », pourquoi l’un des adjoints de Fauci, le Dr David Morens, a-t-il mis en place des canaux de communication secrets pour échanger avec EcoHealth autour de ce dossier, comme l’ont révélé des courriels obtenus par la sous-commission d’enquête ? Et pourquoi différentes techniques ont-elles été utilisées, afin que des emails ou des documents liés au dossier soient détruits ou échappent au moteur de recherche de la FOIA (Freedom of Information Act – Loi sur la liberté de l’information) lors de demandes de consultation ?

Pourquoi autant d’opacité de la part des fonctionnaires des NIH, si le sujet n’a rien d’explosif ?

◆ Une inquiétante expérience sur le mpox menée au NIAID

C’est alors qu’arrive sur la table le sujet du mpox. Le 11 juin 2024, la commission de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants américaine publie un rapport d’enquête de 73 pages. Son sujet : une expérience menée au sein du NIAID sur le virus mpox et considérée « à risque ». Dans son communiqué, la commission indique que l’enquête a été lancée suite à un article paru en septembre 2022 dans la revue Science, où Bernard Moss, virologue au NIAID, parlait d’une expérience qu’il menait avec son équipe sur les virus mpox.

À l’époque, les chercheurs avaient tenté de rendre moins virulente la souche la plus mortelle de mpox (appelée clade 1), en y insérant des gènes de virus appartenant à l’autre souche (clade 2), moins létale mais plus transmissible. N’ayant pas obtenu le résultat escompté, l’équipe de Bernard Moss s’apprêtait à expérimenter l’inverse, c’est-à-dire à transférer des gènes de virus du clade 1 dans des virus du clade 2.

◆ Le risque de créer une souche à la fois contagieuse et virulente

Cette déclaration a aussitôt alarmé plusieurs scientifiques, inquiets du risque de créer une nouvelle souche « augmentée » du virus mpox, à la fois contagieuse et virulente, ce qui pourrait occasionner une « pandémie catastrophique » en cas de fuite de laboratoire. La polémique a donné lieu à un second article dans Science, publié un mois plus tard.

La commission de l’énergie et du commerce a donc voulu en savoir plus sur cette expérience, mais indique que « pendant près d’un an et demi, le département de la Santé et des services sociaux (HHS), les NIH et le NIAID [lui] ont menti et [l’ont] trompée en niant à maintes reprises que l’expérience potentiellement dangereuse avait été proposée et approuvée ».

◆ Les autorités de santé tentent de noyer le poisson

À force d’insistance, le HHS a tout de même fini par admettre que l’équipe de Bernard Moss avait reçu en 2015 l’autorisation de « mener une expérience de transfert de gènes du mpox virus bidirectionnelle » (d’une souche à l’autre et vice versa).

Le HHS, les NIH et le NIAID continuent en revanche d’affirmer que le projet de recherche le plus risqué (du clade 1 vers le clade 2) n’a jamais été concrétisé. Peu convaincue, la commission souligne qu’« aucun document ni aucun élément de preuve n’a été produit» pour le confirmer. « Le NIAID n’a pas non plus fourni d’explication des circonstances et des raisons qui auraient conduit l’équipe de recherche de Moss à abandonner l’expérience de transfert de gènes bidirectionnelle du mpox, après avoir reçu l’approbation du projet ».

◆ De nouveau des soupçons, mais toujours pas de preuve…

Encore une fois, hormis l’absence de transparence et d’honnêteté de la part des organisations de santé américaines, en particulier du NIAID dirigé par Anthony Fauci, cela n’apporte aucune preuve que la nouvelle souche de mpox apparue récemment (catégorisée clade 1b et considérée comme plus transmissible et plus létale que le clade 2) soit issue de cette expérience en particulier, ni d’une quelconque autre expérience de laboratoire.

Cependant, dire que « ce n’est pas raisonnable » de l’envisager est peut-être… déraisonnable. Les scientifiques qui se sont alarmés de ce genre de recherches en 2022 avaient, semble-t-il, de bonnes raisons de s’émouvoir. À chacun de se faire son avis.

Article par Alexandra Joutel

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