Le placebo, notre médecin intérieur
Tout le monde pense savoir ce qu’est l’effet placebo : un remède illusoire, une tromperie, qui repose sur le pouvoir de suggestion d’un prescripteur indélicat et la trop grande crédulité de son client. Mais le placebo n’a pas toujours eu cette mauvaise réputation : il fut un temps pas si lointain où il faisait partie […]
Tout le monde pense savoir ce qu’est l’effet placebo : un remède illusoire, une tromperie, qui repose sur le pouvoir de suggestion d’un prescripteur indélicat et la trop grande crédulité de son client. Mais le placebo n’a pas toujours eu cette mauvaise réputation : il fut un temps pas si lointain où il faisait partie des honorables manières de soigner, et il le redevient !
Les clichés ont la vie dure concernant le placebo : il est mensonger, son utilisation n’est pas éthique ; c’est du charlatanisme, le placebo ne soigne pas réellement, et les personnes qui y réagissent favorablement sont particulièrement suggestibles et crédules… Et pourtant : loin d’être confirmés, ces préjugés sont démentis par une étude approfondie du phénomène : il pointe vers rien de moins que notre capacité d’auto-guérison, et il représente dans le domaine des soins une voie pleine d’avenir. Pour en savoir davantage, suivez-nous dans un petit voyage à travers les récentes découvertes de la psychologie de la santé (1). En commençant mes études universitaires en psychologie, j’ai constaté que l’effet placebo était principalement étudié en tant que nuisance et qu’il n’intéressait pas pour lui-même. Cet effet inexplicable et encombrant, qui venait compliquer la mesure de l’efficacité thérapeutique, constituait un peu le caillou dans la chaussure des dignes procédures méthodologiques qui nous étaient exposées. Personne n’avait l’air de se poser la question de savoir ce que pouvait bien nous apprendre son existence dérangeante ; tout le monde ne rêvait que de l’éliminer ! Comme le dit le psychiatre et hypnothérapeute François Roustang, pour un point de vue scientifique, l’effet placebo est un scandale. Quoi, « quelque chose existe qui ne devrait pas exister » ? Comment, « un effet se produit sans cause », qui « vient narguer la science médicale et sa servante, la pharmacologie » ? « Une substance chimiquement neutre ou insignifiante est, pour guérir bien des maux […] d’une efficacité reconnue ? » : « La science est bafouée (2).»
◆ Bonjour les clichés !
Le paysage classique est donc, à ma gauche, le placebo : inactif, non spécifique et mensonger ; et à ma droite le médicament : actif, spécifique et si véridique qu’en pharmacologie on le nomme même verum : le véritable. Il semble qu’il n’y ait plus qu’à choisir son camp. Et pourtant… le placebo si mal famé n’a pas toujours eu cette mauvaise réputation. Il a fait partie des honorables manières de soigner. Il est aussi vieux que l’histoire de la médecine, qu’il suit comme son ombre. Omniprésent dans les soins, on le retrouve non seulement sous forme de médicaments placebos, mais aussi de traitements placebos divers, et même de chirurgie placebo (lorsqu’on se livre à une opération en réalité inefficace pour la condition traitée et que néanmoins l’état du patient s’améliore) ! On pourrait même considérer que tous les examens inutiles et les ordonnances délivrées à titre d’expédient constituent autant de placebos… En fait, des études déjà anciennes ont montré que les placebos seraient responsables au minimum d’un tiers des guérisons obtenues par notre médecine scientifique occidentale – au point que pour certains auteurs, « écrire l’histoire de la réponse placebo équivaut pratiquement à rédiger l’histoire de la pharmacie (3) » !
Médicament ou placebo ou… les deux à la fois ?
Avez-vous déjà fait l’expérience suivante ? En proie à un fort mal de tête, vous comptez vous soulager par un classique comprimé d’aspirine. Vous préparez un verre d’eau, avalez la dose habituelle, poussez quelques soupirs et commencez déjà à vous sentir mieux. Après quelques minutes, la tête allégée, vous reprenez l’activité en cours sans plus penser à vos douleurs. Or, les principes actifs de l’aspirine mettent une quinzaine de minutes à atteindre leur cible : tout soulagement ressenti avant ce laps de temps est donc attribuable à un effet placebo ! Une même et unique aspirine serait donc un placebo durant un quart d’heure, et un médicament durant les heures qui suivent ? On le voit, la distinction médicament/placebo est parfois délicate…
◆ Le placebo : du poil à gratter
L’expérience de l’aspirine (cf. encadré ci-dessus) le montre bien : l’effet placebo est entremêlé à tous les traitements aussi bien orthodoxes qu’alternatifs, et fait partie de leur effet total. Le problème, ce n’est donc pas qu’il existe un effet placebo, mais que la science traditionnelle soit incapable de l’expliquer. Pour le résumer avec François Roustang : « Si l’effet placebo est un mystère, c’est avant tout l’étroitesse de vue de la science pharmacologique qui en est responsable. Elle considère cet effet comme irrationnel parce qu’elle est enfermée dans sa propre manière de raisonner. […] L’intérêt du placebo réside dans le fait qu’il contraint la science médicale à sortir d’elle-même. Il la met hors d’elle, en ce sens qu’il l’irrite par son efficacité, mais il la met aussi hors d’elle, en cet autre sens qu’il lui indique une voie plus ouverte pour se penser elle-même, qu’il lui intime l’ordre de se dépasser, qu’il lui fait se souvenir du contexte dans lequel elle travaille. Le placebo lui rappelle, par exemple, la force de la relation médecin-malade…(4) » Et nous verrons que l’alliance thérapeutique, sceau d’une relation de qualité dans laquelle thérapeute et patient s’engagent à travailler ensemble pour un but commun, constitue en effet la clef de voûte de l’effet placebo…
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- Cet article reprend les résultats d’un mémoire de master en psychologie à l’université de Lausanne, dont les résultats ont été publiés sous une forme synthétisée aux éditions Jouvence : Rosselet-Capt M. (2012), Les Fabuleux Pouvoirs de l’effet placebo. Guérison et auto-guérison. Cette recherche se poursuit dans Le Pouvoir du symbole. Synchronicités, archétypes et mandalas selon l’approche jungienne, éditions Jouvence, automne 2019.
- Roustang F. (2000), La Fin de la plainte, Paris, Odile Jacob. Citations p. 191-192.
- Evans F. J. (1985), « Expectancy, therapeutic instructions, and the placebo response », in White L., Tursky B. et Schwartz G. (Eds.), Placebo: Theory, Research, and Mechanisms (p. 215-228), NewYork/ London, The Guilford Press. Citations p. 216, 181 et 183. Traduction personnelle.
- Roustang F. (2000), op. cit. Citation p. 194.